L’année qui vient de s’écouler a été, à nouveau, marquée par une résurgence de l’idéologie mortifère du populisme, entre la réélection de Trump et la percée fracassante du RN à l’Assemblée. L’année qui s’en vient ne se présente pas moins bouleversée.
Les populistes se sont maintenant imposés sur plusieurs continents : en Amérique avec Javier Milei en Argentine, le président à la tronçonneuse, en Europe continentale dans la lignée de Viktor Orbán, le leader hongrois qui mélange l’autoritarisme d’extrême droite, le rejet de l’immigration et ce qu’il appelle «la démocratie illibérale», qui prospère en Slovaquie et en République tchèque. Evidemment en Hongrie où il se présente volontiers comme étant le véritable inspirateur du trumpisme américain. L’extrême droite fleurit partout y compris dans des pays comme la Suède ou les Pays-Bas. L’Allemagne est atteinte à son tour avec l’AfD, comme la France l’est avec le Rassemblement national qui arbitre désormais une grande partie la vie politique nationale.
Le populisme sévit également en Afrique, où il a encouragé l’arrivée de Wagner et l’expulsion de la présence militaire française. Et naturellement aux Etats-Unis, où en novembre, pour la première fois depuis cent trente-deux ans, un président se voit confier un second mandat après une défaite entre ses deux victoires électorales, après avoir été condamné en justice et victime d’un attentat en pleine campagne. Son avance dans le vote populaire est ramenée à 1,5 point : cet écart entre lui et Kamala Harris est le quatrième plus maigre depuis 1900 dans les élections américaines.
Trump juge de paix ?
La candidate démocrate a souffert des accusations de «wokisme» qu’elle a pourtant cherché à éviter à tout prix dans sa campagne, du renoncement trop tardif de Joe Biden et surtout du redoutable populisme trumpien qui s’est traduit dans un programme massif de baisse d’impôts, de baisse du prix de l’énergie combiné à des droits de douane très dissuasifs imposés à la Chine mais également à l’Europe. Sans compter la croissance toujours impressionnante de l’économie américaine, indifférente aux efforts de la Fed de restreindre l’inflation, et l’importante captation de l’épargne mondiale qui devrait financer la dette publique américaine. L’isolationnisme américain défendu par Trump bannit toute expédition militaire américaine dans le monde, à l’exception d’une potentielle confrontation avec la Chine communiste, et les économies générées permettront de financer les mesures de l’anti-immigration. Les bases militaires américaines dans le monde ne vont pas disparaître mais les pays qui les hébergent devront passer à la caisse.
Au cœur de l’Europe, cette guerre atroce dure depuis trois ans, avec des soldats ukrainiens qui résistent héroïquement à l’armée russe. Elle coûte cher aux Etats-Unis et à l’Europe, mais aussi à la Russie, qui, pour la financer, a dû construire une coalition coûteuse avec la Chine, l’Iran, la Corée du Nord. Trump va chercher par tous les moyens à rompre l’accord entre la Chine et la Russie.
Au Moyen-Orient, l’armée israélienne a infligé défaite sur défaite à chacune des milices associées à l’Iran. Alors que des otages israéliens restaient détenus par le Hamas, le gouvernement israélien envisageait des annexions à Gaza, sur le plateau du Golan, et sans doute en Cisjordanie, pour relancer la colonisation et pour calmer l’extrême droite israélienne qui en a fait son objectif politique majeur. Le grand vaincu dans cette guerre, c’est évidemment l’Iran des mollahs.
Donald Trump, et l’équipe de milliardaires qui l’entoure, va s’engager dans la reconstruction, en Ukraine, au Liban, mais aussi à Gaza. C’est la première épreuve internationale du nouveau président américain.
La crise française
Un président français à bout de souffle a précipité l’accès au pouvoir des populistes. Car la France n’a pas échappé à la vague. Le 9 juin, Emmanuel Macron le soir du second tour des élections européennes dissout l’Assemblée et renvoie tous les partis aux urnes, pour éviter l’éventuelle censure de son gouvernement. C’est une décision mystérieuse, mais finalement ce retour aux urnes était bel et bien espéré par l’électorat. En 1988, le FN gagne 1 député ; en 2022 le RN, «dédiabolisé», en obtient 89 ; il en a aujourd’hui 143.
Le Rassemblement national est devenu le premier parti de France. Ce score fait une victime : le Président qui disposait d’une majorité à l’Assemblée, et qui n’en a plus. La Chambre basse est divisée en trois et elle est devenue ingouvernable. Avec un arbitre, le RN qui neutralise tous les gouvernements, et choisi les ministres. Les thématiques du RN deviennent celles de tous les partis populistes : le peuple contre des élites dévaluées, une mobilisation générale contre les migrants, et un plébiscite de l’autoritarisme ; l’AfD menace en Allemagne et Elon Musk, l’homme le plus riche du monde qui joue les vice-présidents de rechange auprès de Donald Trump, se propose de financer l’extrême droite, en Allemagne et au Royaume-Uni et sans doute partout dans le monde.
2025 risque donc de devenir annus horribilis. La France, qui fut longtemps le pays le plus stable d’Europe, en est devenue le grand malade à ceci près que le populisme a chez nous deux faces : une d’extrême droite, l’autre d’extrême gauche avec LFI. Les deux partisans de la crise à outrance, qui souhaitent accélérer la décomposition du régime en précipitant la démission de Macron et une élection présidentielle.
Le populisme, symptôme de crise
Le populisme est à la fois très ancien et très moderne. Il apparaît en Russie et aux Etats Unis au XIXe siècle, mais beaucoup d’historiens voient dans le phénomène très français du boulangisme (1886-1891) le précurseur du populisme nationaliste. On retrouve la même matrice : l’opposition entre des élites supposées corrompues face à «un peuple proclamé pur». Le populisme est d’ailleurs souvent utilisé comme un moyen de mobilisation électorale, en usant d’arguments grossiers, d’accusations souvent caricaturales. En novembre 2020, on assiste lors de l’élection présidentielle américaine entre Trump et Biden à une mobilisation jamais vue depuis cent vingt ans.
Le philosophe argentin Ernesto Laclau a développé une autre approche : le populisme comme un moyen d’émancipation entre «eux» et «nous», entre le système institutionnel et le peuple. C’est la démocratie libérale consensuelle qui serait le problème. Le déclin des idéologies traditionnelles trouverait son origine dans l’intensification de la globalisation, selon le sociologue anglais Anthony Giddens, et dans le retour des fondamentalismes, lorsque la tradition ne peut plus se justifier.
Le politologue Pascal Perrineau dans le Populisme (2021) écrit : «Cette idéologie tend à répondre à des situations changeantes, à accompagner la “grande transformation” économique, sociale et culturelle de nos sociétés et à se lover au cœur de traditions idéologiques diversifiées, et même parfois opposées.»
A l’heure où le monde change trop rapidement pour beaucoup d’électeurs, où les repères sociaux et politiques s’étiolent, cette idéologie plastique qu’est le populisme est particulièrement adaptée. Elle est peut-être l’idéologie de transition d’un monde lui-même en transition. Elle porte nombre de nostalgies du vieux monde qui s’enfuit et pose quelques grandes questions du monde qui s’annonce.