Korsia à Montpellier : « Il y a toujours autant de haine antisémite »

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Plus haute personnalité religieuse de la communauté juive de France, le Gand Rabbin de France vient débattre d’éthique à Montpellier

Quel regard portez-vous sur la situation au Proche-Orient ?

Je n’ai pas vocation à dire autre chose que ce qu’a dit le président de la République : il y a un agresseur, le Hamas, et un pays qui répond. C’est une situation terrible où Israël, qui essaie de promouvoir la paix, n’a malheureusement pas eu d’autre choix que de répliquer, face au Hamas qui prend les civils en otages. Israël lutte contre les mêmes ennemis que ceux que nous affrontons ici. C’est la même haine.

Le dialogue peut-il s’instaurer ?

On peut toujours dire que c’est mieux de se parler sauf que régulièrement… Là, il n’y a pas d’occupation. Ce ne sont pas les Palestiniens mais le Hamas qui a mis à mal le pouvoir palestinien, qui a fait de Gaza une base arrière du terrorisme. Bien sûr que l’idéal c’est la parole. Mais il ne faut manifester aucune faiblesse pour pouvoir faire advenir la paix et une véritable réconciliation. Ça ne peut pas se faire par une absence ponctuelle de violence. La population d’Israël ne peut pas être sans arrêt à la merci d’une pluie de missiles. Il y a un moment où il faut extirper le mal pour permettre aux personnes de bonne volonté de construire une véritable paix.

Vous vous dites un « irréductible optimiste », vous le restez ?

Bien sûr, plus que jamais. Cette fois, les pays arables n’ont plus été dans la simple condamnation habituelle d’Israël, mais dans l’évidence que les foyers de terrorisme sont alimentés de la même haine qui s’abat sur tous.

Année après année, les indicateurs montrent une montée de l’antisémitisme en France, vous êtes inquiet ?

On pensait qu’avec la pandémie, il y aurait un infléchissement, mais il y a toujours autant de haine et de théories conspirationnistes antisémites sur internet, les faits antisémites sont récurrents et on s’habitue. Il faut impérativement qu’on arrive à considérer que chaque acte antisémite est un appel à lutter tous ensemble. J’ai été bouleversé par la déclaration de la conférence des évêques de France sur le fait que l’antisémitisme n’est pas du simple ressort des juifs. Chaque fois qu’une société se livre à l’antisémitisme, à court terme, ce ne sont pas que les juifs qui sont visés, c’est l’ensemble de la population.

Vous avez appelé à « transformer les lois » après que la cour de cassation a confirmé l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi.

Les experts sont unanimes pour dire qu’il y a eu un moment où l’assassin de Sarah Halimi a eu une perte de conscience. Certains vont dire « abolition du discernement », le procureur a dit « altération ». Pour moi, il y a besoin d’un procès, et s’il y a abolition du discernement, on ne condamne pas, puisqu’en France, on ne condamne pas les « fous ». Il y a une grande différence entre quelqu’un qui « manque de discernement », qui est « fou », et quelqu’un qui se met lui-même, par la prise de drogue ou d’alcool, en situation de ne pas être conscient. Il faut qu’on m’explique pourquoi quand on prend de la drogue et qu’on tue quelqu’un en voiture, on est dans un cas de circonstance aggravante alors que quand on tue madame Halimi, on ne sera pas jugé. Quand quelqu’un se met lui-même en état d’être inconscient, il devrait être responsable de quelque chose. La cour de cassation en a décidé autrement, elle peut se tromper.

Quel est le rôle du Grand Rabbin de France ?

C’est créer du lien entre les communautés, porter une espérance une perspective, et c’est aussi le sens de ce colloque auquel je participe à Montpellier, où la faculté de médecine, pendant 800 ans, s’est dit qu’elle allait trouver. Pour trouver, elle a cherché. Et pour cela, il fallait espérer. Nous-mêmes sommes le résultat de l’espérance de nos anciens.

Les religions sont-elles en phase avec les défis du monde moderne ?

Dans un monde qui n’attend que des réponses, les religions posent des questions. S’interroger sur ce qu’on vit, c’est être capable de questionner le monde, notre engagement, notre façon de faire. Il y a une expression que je ne supporte pas : faire les choses sans état d’âme, c’est-à-dire sans se questionner. « Religion » qui vient de « religere », l’enjeu est beaucoup plus celui de relier des humains entre eux que de les relier à Dieu !

Vous appelez souvent la société à se « réinventer ». La crise sanitaire nous y oblige plus encore ?

La crise a révélé notre besoin de lien social et j’ai été impressionné que notre société tienne grâce à ceux qui n’incarnaient pas la réussite : les caissiers, livreurs, personnels de pompes funèbres, éboueurs… Pour que des personnes fassent de grandes et belles choses, il faut 66 millions de personnes engagées. Je crois que la société française a dit « Me voici », à commencer par les soignants.

Vous étiez membre du comité national consultatif d’éthique, que pensez-vous de la révision de la loi de bioéthique, en juin ?

Je ne sais pas si c’est le bon timing. On pose sans arrêt les mêmes questions. Sur la fin de vie, la loi Leonetti-Claeys, remarquable, intègre tous les cas de figure. Je ne comprends pas cette pulsion de l’euthanasie. Une société qui autorise de donner la mort est une société qui n’a pas confiance dans sa capacité à produire de la fraternité, de l’attention à l’autre.

Un des projets phare est d’ouvrir l’accès à la PMA pour toutes. Vous y êtes favorable ?

Il y a des choses qui se font et qui n’ont pas besoin d’être légiférées. Il faut que chacun puisse faire ce qu’il veut, sans le faire au nom de tous. Je conçois que certains aient un désir d’enfant, qu’ils partent à l’étranger, et on les accompagne. Il y a une différence entre accompagner et légiférer. À trop vouloir légiférer, on en oublie la capacité de choix et de décision de chacun. À trop vouloir jouer sur les symboles, on oublie la structuration de ce qui fait une société. Je crois qu’il n’y a pas la nécessité de transformer la loi.

Un tableau de Soulages est en couverture de votre dernier livre. Qu’est-ce qui vous touche chez lui ?

Je suis bouleversé par sa capacité à produire de la lumière à partir de ce qui semble être de l’obscurité pour nous. C’est une très juste métaphore de ce qui pourrait être notre société. Certains y voient de l’ombre, de l’impossibilité, lui y trouve de la lumière. J’ai une admiration sans limite pour Pierre Soulages, son épouse et son œuvre.

Bio Express

Haïm Korsia, 57 ans, est Grand Rabbin de France depuis 2014. Ex-aumônier en chef du culte israélite des armées, il est candidat à sa réélection le 6 juin. Il s’est retrouvé sous les feux de l’actualité, en 2004, l’année où il projette d’inviter l’humoriste Dieudonné à Auschwitz, avant de renoncer. Auteur de nombreux livres, dont « Réinventer les aurores », paru en 2020, il a été accusé de plagiat pour « Être juif et Français\ » (2006) et « La Kabbale pour débutants » (2007). Il a été membre du comité national consultatif d’éthique de 2005 à 2009.

Source midilibre