Les violentes agressions contre des supporteurs du club israélien de football ont renforcé les inquiétudes au sein de la communauté juive d’Amsterdam, déjà profondément marquée par le 7 Octobre.
« On ne pensait pas que cela pouvait nous arriver à Amsterdam. C’est un choc », confie au téléphone Tevel Caro, 18 ans. Le motif de sa stupeur ne laisse guère de place au doute, assure ce jeune Israélien, futur appelé dans les rangs de Tsahal, l’armée d’Israël : « On ne nous a pas attaqués parce que nous sommes des supporteurs de football mais parce que nous sommes des Israéliens, des juifs. » Le 7 novembre dernier, après la défaite du Maccabi Tel-Aviv sur la pelouse de l’Ajax d’Amsterdam (5-0), de nombreux ressortissants de l’État hébreu ont été agressés dans le centre-ville de la cité néerlandaise.
Des scènes d’une rare violence, qui ont suscité une vague d’indignation. Le président israélien, Isaac Herzog, a dénoncé un « pogrom antisémite ». « Une nuit noire et un jour sombre », s’est attristée pour sa part la maire de la ville, Femke Halsema. Un an après les attaques terroristes du 7 Octobre perpétrées par le Hamas et la sanglante riposte lancée par Israël contre Gaza, « la guerre au Moyen-Orient a menacé la paix dans notre ville », s’inquiète aujourd’hui l’édile. Un mea culpa royal a même été adressé par Son Altesse Willem-Alexander des Pays-Bas. « Nous avons manqué à notre devoir envers les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et nous avons échoué à nouveau l’autre soir », s’accablait ainsi le souverain du royaume batave dont à peine un quart de la population juive a survécu à l’Holocauste.
« Au stade, tout allait bien mais quand le match s’est terminé, les forces de l’ordre nous ont laissés nous débrouiller seuls sur le chemin du retour, comme si leur boulot était terminé », se souvient Tevel Caro. Réfugié dans sa chambre d’hôtel pendant les violences, le jeune Israélien a été ensuite déplacé avec une centaine d’autres supporteurs dans un « abri » tenu secret mis en place par les membres de la branche néerlandaise de Maccabi, une association internationale juive consacrée au sport et à l’éducation. « On les a rassemblés, on les a mis en sécurité et on s’est assuré qu’ils puissent rejoindre l’aéroport et rentrer chez eux avec les avions mis à disposition », témoignent dans un pavillon discret des faubourgs d’Amsterdam Leah et Ruth*, deux bénévoles encore marquées par certains de ces « grands gaillards tremblant comme des enfants ».
Dans le salon traînent sur le tapis des fanions aux couleurs de l’Ajax, une équipe à l’histoire intimement liée à celle des populations juives amstellodamoises. L’attaque contre les supporteurs du Maccabi n’a rien de sportif, encore moins de politique, se désolent ces deux amies. « Ce sont juste des jeunes musulmans qui chassent des juifs », soutiennent-elles. Des violences dans le cœur d’Amsterdam qui sonnent aujourd’hui comme un énième électrochoc pour la communauté juive néerlandaise, comptant encore quelque 45 000 membres. « On sent pour la première fois qu’on doit cacher notre identité. J’ai même enlevé la mézouzah de ma porte d’entrée », confie Ruth, contrainte, dit-elle, comme nombre de ses coreligionnaires à faire profil bas face à la flambée des actes antisémites ces dernières années aux Pays-Bas et sur tout le continent.
« Beaucoup de juifs ne sont pas d’accord avec le gouvernement de Netanyahou, mais on est obligé de le répéter à chaque fois parce que, si on ne le fait pas en préambule, c’est impossible de discuter », soupire Leah, confiant au passage avoir elle-même participé aux larges manifestations de défiance envers le Premier ministre israélien. Et si la mobilisation auprès des supporteurs de Tel-Aviv a démontré encore une fois l’extrême solidarité des juifs d’Amsterdam, cette journaliste et autrice de métier s’inquiète de voir sa communauté « se replier sur elle-même », au risque de ne plus « s’assimiler ». Nombre d’élèves juifs auraient déjà déserté les bancs de l’école publique néerlandaise. « L’Europe connaît une vague d’antisémitisme qui est en partie causée par le conflit au Moyen-Orient. Cela limite considérablement les possibilités pour les juifs de vivre une vie sûre et digne », s’alarmait encore en juillet Sirpa Rautio, directrice de la FRA, l’agence européenne pour les droits fondamentaux.
« Comme en 1938 »
Si la routine touristique autour des canaux amstellodamois a rapidement repris le dessus sur l’actualité, le malaise reste vif. « C’est une honte de voir ça dans nos rues », peste un commerçant encore écœuré devant les vidéos qui tournent en boucle sur les téléphones : des hommes visés par des feux d’artifice, d’autres roués de coups au sol et l’un percuté par une voiture. « C’est comme en Palestine, comme à Gaza. Maintenant tu sais ce que ça fait », hurle l’un des agresseurs à sa victime.
« Partir ? Autour de nous, beaucoup ont déjà franchi le pas et nous en discutons avec ma femme », confie un pratiquant croisé devant la synagogue portugaise d’Amsterdam. Malgré les deux imposants véhicules de police, en poste près du bâtiment du XVIIe siècle, et de jeunes vigiles d’une société privée en faction, l’homme assure craindre pour sa sécurité. « On se sent comme en 1938 », confie-t-il en référence aux victimes de la Nuit de cristal en Allemagne, dont on célébrait le triste anniversaire le 8 novembre dernier. « Les attaques contre les supporteurs du Maccabi ne sont rien d’autre qu’un pogrom », poursuit-il avant d’être interpellé par un passant, excédé par ses propos. « C’est par leur comportement que ces Israéliens vous mettent en danger. Tu parles de pogrom mais tu ne devrais pas utiliser ce mot. Les vraies violences, le véritable génocide, c’est à Gaza que cela se passe », assène-t-il avant d’enfourcher son vélo.
« On ne partira pas »
Dans les rangs de militants pro-Palestine d’Amsterdam, on rejette la faute sur la frange extrémiste des supporteurs du Maccabi, accusée d’avoir mis le feu aux poudres en s’en prenant, avant le match, à des drapeaux palestiniens, en entonnant des slogans anti-arabes et en sifflant la minute de silence pour les victimes des inondations en Espagne. « Ils chantent des chants racistes dans une ville aussi cosmopolite où vivent ensemble 90 nationalités. Comment la maire a pu dire qu’ils étaient nos “hôtes” ? » s’interroge Ayala, Palestinienne d’Amsterdam rencontrée lors d’une micromanifestation organisée devant le « monument de la résistance juive », malgré les interdictions des autorités. « Il n’y a aucune excuse pour le comportement antisémite affiché par les émeutiers », coupe court l’élue Femke Halsema.
Sans attendre les conclusions de l’enquête, le chef de file de l’extrême droite néerlandaise, Geert Wilders, a désigné ceux qu’il considère comme coupables : des « criminels musulmans », de la « racaille multiculturelle » à expulser d’urgence, martèle sur X ce poids lourd de la nouvelle majorité gouvernementale. « On sait au moins à qui profite le crime », souffle un passant, habitué aux saillies médiatiques du leader blond peroxydé. À la sortie de la synagogue portugaise, lieu de culte des séfarades de la ville, Marion, elle, partage la crainte de ses coreligionnaires. Mais pour cette octogénaire, apprêtée pour shabbat, pas question de plier bagage. « On ne partira pas. On est là pour rester et on durera autant que les pierres de ce magnifique bâtiment. »
* les prénoms ont été modifiés