Israël : « Big Brother » à la crèche ?, par Danièle Kriegel

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Une nouvelle affaire de graves sévices dans une crèche relance le débat sur l’installation obligatoire de caméras de surveillance.

Comment protéger les tout-petits d’éventuelles maltraitances dans les crèches et jardins d’enfants privés ? Peut-être en y en rendant obligatoire l’installation de caméras « on line » ? Des questions au cœur d’un débat qui, en Israël, s’est encore amplifié depuis quelques mois. En cause, une nouvelle affaire de sévices physiques et mentaux subis, au quotidien, par plus d’une vingtaine de tout-petits dans la ville d’Eilat, à l’extrême sud du pays.

L’autrice de ces maltraitances : la directrice de l’établissement avec la complicité active ou passive de ses employées. Les enquêteurs ont relevé près de quatre cents cas graves, à partir de vidéos courant sur une période de trois mois. Coups de pied, gifles, étranglements, pincements jusqu’au sang, biberons enfoncés de force jusqu’à la gorge de l’enfant s’il refuse de manger, etc. Bref, « la crèche de l’horreur », comme l’ont surnommée les médias locaux.

Loi sur les caméras

Déjà, fin 2018, à la suite de révélations par les médias de cas de maltraitances gravissimes dans plusieurs crèches du pays, une première loi dite « loi sur les caméras » est adoptée par la Knesset, le parlement. Elle rend nécessaire l’obtention d’un permis de fonctionnement pour des lieux destinés à l’accueil de la petite enfance dans le secteur privé. La mise en place de caméras dans les crèches recevant plus de sept enfants de 0 à 3 ans est également obligatoire.

Mais il s’agit de caméras en circuit fermé. Des vidéos sans le son, effacées au bout de trente jours et qui, s’il y a suspicion de mauvais traitements, ne peuvent être examinées que sur ordre du tribunal. Sans compter que cette installation de caméras ne concerne pas les assistantes maternelles qui accueillent plusieurs bébés dans le logement qu’elles habitent avec leurs familles.

Autre limitation du texte de loi : en cas d’opposition exprimée par lettre et par au moins 70 % des parents, il n’y aura pas de pose de caméras. De fait, deux principes animent les auteurs de la loi : contrôler un secteur qui, en quelques années, s’est énormément développé, souvent de façon anarchique – quasiment tout le monde peut ouvrir officiellement une crèche –, et protéger les enfants d’éventuelles maltraitances par des équipes professionnelles sans réelle formation et mal payées.

« Crèche de l’horreur »

Dans tous les cas, l’application de ce texte a été immédiatement suivie d’un large débat public. Les personnes contre estimant qu’il s’agit d’une atteinte à la vie privée pour les enfants et les éducateurs, les pour considérant qu’il s’agit d’une atteinte mineure au regard de l’important filet de protection apporté à des enfants sans défense face à la violence compte tenu de leur très jeune âge.

Et c’est ce même débat que l’on retrouve aujourd’hui. Après l’affaire de la « crèche de l’horreur » à Eilat, le président de la coalition gouvernementale au parlement, Ofir Katz, a présenté un amendement à la loi de 2018. « Une avancée significative, explique-t-il. La seule façon d’extirper en profondeur ces horreurs… On aurait pu empêcher ce qui s’est passé à Eilat. Et cela vaut pour l’avenir, à condition de mettre en place une vraie prévention. » Pour lui, la véritable solution passe par la mise en place obligatoire de caméras « on line », des vidéos accessibles au moins une fois par mois à des représentants de parents. Autre proposition : que ces dispositions s’appliquent aussi aux enfants des maternelles âgés de 3 à 6 ans.

« Initiative populiste », répond Yafa Ben David, la présidente d’un syndicat d’enseignants et éducateurs. « Ce n’est pas seulement un coup fatal porté au droit à la vie privée des équipes de professionnels et aux enfants mais un moyen d’intimidation à l’encontre des éducateurs, ce qui ne manquerait pas de provoquer une baisse de la qualité des soins et amènerait à court terme une pénurie d’assistantes maternelles dans les jardins d’enfants. » Elle fait face aux responsables du comité de lutte et protection de l’enfance. Ils appellent à adopter immédiatement la proposition de loi de Ofir Katz : « depuis des années, nous avons rendu publics de très nombreux cas de maltraitances dans les crèches et jardins d’enfants aussi bien dans le public que le privé. Cet amendement à la loi sur les caméras, avec en parallèle un renforcement des peines infligées en cas d’infraction, est une nécessité, si nous voulons protéger nos enfants et leurs parents ».

Des jeunes mamans désemparées

Sur le terrain, Mirit est un soutien inconditionnel des nouvelles propositions. Il faut dire que cette directrice d’un réseau de jardins d’enfants dits « transparents », n’a pas attendu le législateur pour mettre en place des caméras « en direct », que les parents peuvent visionner à tout moment. « En début d’année, nous expliquons aux parents que l’objectif est de protéger les enfants et les éducateurs. Mais attention, les parents n’en dirigent pas pour autant nos établissements. S’ils ont des inquiétudes ou des demandes, nous en discutons ensemble. Mais c’est nous qui prenons les décisions. »

Ce circuit « on line » a-t-il changé des choses ? « Eh bien il nous est arrivé plus d’une fois, à la suite de signalements de parents, de détecter des comportements inappropriés de la part de nos employés, pourtant engagés avec un bon CV et des recommandations. Comme le manque de patience ou une façon sans ménagement de prendre l’enfant. Par ailleurs, en cas de fracture ou de blessure, ces images vidéo peuvent montrer au médecin où et comment l’enfant est tombé. » Bref, pour Mirit, ces caméras font des merveilles aussi bien pour les tout-petits que pour l’encadrement professionnel.

En attendant, beaucoup de jeunes mamans sont désemparées. Comme « S » qui se demande comment faire garder son fils de près d’un an. « Avec toutes ces histoires épouvantables qu’on entend, je ne sais pas quoi faire. En fait j’ai peur de le voir tomber entre de mauvaises mains, que ce soit en crèche ou avec une nounou à la maison. Quand j’entends les témoignages des parents dont les enfants ont vécu un véritable calvaire, je suis terrifiée. »

Danièle Kriegel

Source lepoint