Roanne : la Ville honore Ginette Kolinka, passeuse de mémoire

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Moment d’intense émotion mardi 7 mars en mairie de Roanne à l’occasion de la remise de la médaille de Citoyenne d’honneur de la Ville à Ginette Kolinka, rescapée des camps de concentration et inlassable passeuse de mémoire de la Shoah.

Les mots sont pudiques et lourds à la fois. À l’heure de retracer la vie de Ginette Kolinka, l’émotion étreint la salle Charles-de-Gaulle. « Une femme ordinaire au destin extraordinaire », comme l’a replacé en préambule le maire, Yves Nicolin. Comment retracer en quelques minutes ce parcours de vie, celle d’une jeune femme coulant des jours heureux et insouciants à Paris, et qui voit son existence et celle de ses proches basculer à partir de 1942 ? L’unique raison : être de confession juive.

Les lois antijuifs et leurs lots d’ostracisation, d’humiliation, l’obligation de fuir pour la zone libre et ce jour terrible de mars 1944, quand Ginette est arrêtée, à 19 ans, par la Gestapo, avec son père, son petit frère et son neveu, à la suite d’une dénonciation. Le début d’un tunnel pour l’enfer qui la mènera aux camps d’Auschwitz, de Bergen-Belsen et Theresienstadt.

« Tel un roseau, vous avez tenu bon. Dans cette nuit sans fin, vous n’avez jamais cessé de croire à l’avenir », a souligné le maire, évoquant les proches de Ginette disparus au camp, le matricule de déportée 78599 gravé à jamais sur son corps, les travaux forcés, la dénutrition (libérée, elle ne pèse que 26 kg à 20 ans).

Cette période d’inhumanité, cette vie piétinée par la guerre, l’horreur de la Shoah, le chaos et l’inimaginable… Tout cela, Ginette l’a d’abord gardé pour elle. De peur d’« ennuyer » les gens. « 50 ans de silence, seule face à la Déportation ».

Jusqu’à ce qu’elle décide de partager son vécu et de témoigner, inlassablement, auprès des jeunes générations. Pour qu’ils imaginent l’inimaginable. Une force de caractère et une passeuse de mémoire que la Ville de Roanne a tenu à honorer. « Il est important de ne jamais oublier cette période si sombre de notre histoire », a insisté le maire.

Outre la médaille de Citoyenne d’honneur, Ginette Kolinka aura aussi une rue à son nom au cœur du futur îlot Foch Sully. Une copie de la plaque lui a été remise ce mardi.

Avec le sourire dont la nonagénaire, 98 ans, ne se départit jamais, Ginette a évoqué cet hommage. « C’est beaucoup trop d’honneur, excessif, mais ce n’est pas désagréable… », a-t-elle glissé, avant d’insister : « Cet honneur, je le partage avec toutes mes camarades qui ne sont malheureusement pas revenues et celles qui auraient aimé être là ».

Devant un parterre composé notamment des membres des conseils municipaux jeunes et enfants, ainsi que des élèves du lycée Carnot, travaillant sur la mémoire de la Shoah, Ginette a une nouvelle fois passé son message, avec force : « Tout ce qui est arrivé a été nourri, au départ, par la haine. Ce qui s’est passé peut revenir. Il ne faut plus que ça recommence et je compte sur les jeunes pour qu’ils soient à leur tour des passeurs de mémoire ».

Aurélie Marchadier

Source le-pays

À 98 ans, Ginette Kolinka devient citoyenne d’honneur de Roanne (Loire), la commune où vivent ses deux neveux. Rescapée de la Shoah, elle profite de l’événement, comme toujours depuis 30 ans, pour raconter les horreurs des camps de concentration. La ville veut aussi donner son nom à une rue.

Modeste, Ginette Kolinka accepte la médaille mardi 7 mars, et devient citoyenne d’honneur de la ville de Roanne (Loire), où vivent ses deux neveux. Mais pas pour elle. « Je n’ai rien fait d’honorifique. J’ai eu de la chance« , explique l’une des dernières rescapées de la Shoah. Si elle accepte, c’est « pour eux« , celles et ceux qui n’ont pas survécu aux camps de concentrations pendant la Seconde Guerre mondiale.

France Bleu Saint-Étienne Loire – On vient de vous remettre la médaille de citoyen d’honneur de la ville de Roanne. Comment accueillez- vous cette récompense ?

Ginette Kolinka – Cela fait toujours plaisir. Je mentirais en disant le contraire, mais je trouve que c’est excessif. Je n’ai rien fait d’honorifique. Moi, j’ai eu simplement de la chance. Mais pour mes camarades qui n’ont pas eu la chance de survivre, pour eux, j’accepte quand même avec plaisir cette reconnaissance. Mais pour eux, pas pour moi.

Depuis 30 ans, vous allez dans les collèges, dans les lycées. Vous voulez que les jeunes soient passeurs de mémoire…

Exactement. Des passeurs de mémoire, certainement. Pour qu’ils se rappellent que ces choses-là ont existé et qu’il y a eu 6 millions de morts en Europe à cause de cette haine.

Avez-vous peur qu’on oublie ?

Je n’ai pas peur qu’on oublie. Il ne faut pas que ça s’oublie pour ne pas ça recommence. Peut-être qu’il restera malgré tout des gens qui sont capables de se rappeler et d’en parler.

Comment l’expliquez-vous aux jeunes ?

Je les provoque. Je les fais participer à mon histoire et je crois que c’est la bonne méthode. Si l’on raconte, on raconte, ça endort un petit peu. Je les interroge. « Et toi, si tu avais vu ça ? Comment ils traitent les juifs ? » Voilà. Et je crois que c’est la bonne méthode.

Et vous prenez aussi le temps de leur expliquer ce que vous avez vécu. Vous avez été près de huit mois à Auschwitz-Birkenau…

À Birkenau, j’ai vécu dans les camps sept ou huit mois. C’est déjà pas mal et je ne crois pas que j’aurais vécu plus. Mais j’ai eu la chance de partir pour un autre camp, Bergen-Belsen. C’était un camp de concentration. Ce n’était pas un camp d’extermination.

Vous avez vécu seule dans ces camps, puisque vous avez très vite été séparée de votre père et votre frère qui avaient été déportés…

Mon père fait partie de mes remords. Initialement, je lui ai dit de monter avec mon frère sur les camions parce que les nazis nous mentaient. Mais on ne savait pas. Donc, pour éviter qu’ils ne se fatiguent à marcher, ils nous proposaient de faire monter les gens sur les camions. Alors moi, je lui ai dit et ils m’ont écouté. Quand les nazis nous disaient qu’on allait dans un camp de travail. Pourquoi ne pas les croire ? Moi, je les croyais. Avec mes yeux innocents, je croyais les nazis.

Et parmi les choses dont vous vous souvenez de cette vie dans le camp, il y a eu notamment le manque de nourriture…

Le matin, une tasse d’eau qu’on appelle du café. À midi, une tasse d’eau qu’on appelle soupe, mis il n’y a rien dedans. Parce que la kapo, s’il y avait quelque chose qui flottait, elle le gardait pour elle. Et puis, le soir, il y avait une tranche de pain avec une petite tranche de margarine. Voilà. Eh bien je peux vous dire que comme régime amaigrissant, toutes les publicités que vous pouvez entendre, eh ben, il n’y a rien de tel que ça. Je suis partie, je faisais 60 kilos et je suis revenue, j’en faisais 26. Voilà.

Aujourd’hui, ça se voit, ça s’entend Ginette : vous avez le sourire, vous êtes heureuse. Et vous nous dites « ce n’est pas si compliqué »…

Si on n’en demande pas trop, on peut être heureux. Si vous demandez la lune, vous ne pourrez pas l’avoir, alors vous ne serez jamais heureux. Et moi, je ne demande pas la lune. Je demande juste un petit peu d’argent pour pouvoir m’acheter ce que j’ai envie de m’acheter. Mais je n’ai pas envie de m’acheter non plus des choses qui ne serviraient pas. Moi, j’ai des goûts modestes, donc je vis avec mes goûts modestes. Je n’ai besoin de rien. Moi, maintenant, je n’ai plus besoin.

Source francebleu