Six mois après les massacres du 7 octobre, les proches des otages encore à Gaza sont désespérés. Quant à la « victoire totale » promise par Netanyahou, elle semble plus que jamais inatteignable.
Cela fait six mois tout juste, ce 7 avril, que le Hamas a mis le feu au Proche-Orient et qu’Israël s’est retrouvé plongé dans la plus longue guerre de son histoire. Une guerre qui pourrait s’étendre encore : la région vit au rythme de l’escalade entre Israël et l’Iran, à la suite du bombardement par l’aviation israélienne du consulat iranien à Damas, le 1er avril.
La frappe a tué plusieurs commandants des gardiens de la Révolution islamique, dont le général Mohammad Reza Zahedi, qui supervisait les opérations du bras armé de la République islamique en Syrie et au Liban. À la fureur de Téhéran qui promet des représailles sans merci, Jérusalem répond, par la voix de son ministre de la Défense Yoav Gallant : « Nous riposterons dans des secteurs que l’ennemi connaît, mais aussi dans ceux qu’il ne connaît pas. »
Après le désastre que fut, pour Israël, l’attaque terroriste perpétrée le 7 octobre par les miliciens du Hamas, pas question de prendre des risques. Très vite, l’armée israélienne a relevé encore un peu plus le niveau d’alerte. Toutes les permissions du week-end ont été annulées. Des réservistes appartenant à l’armée de l’air et à la défense anti-aérienne ont été rappelés. Les automobilistes ont eu la mauvaise surprise de découvrir que leur GPS ne fonctionnait pas ou leur indiquait qu’ils se trouvaient à Beyrouth ou au Caire. La mesure a été prise par l’armée pour brouiller les éventuels tirs de missiles de croisière qui pourraient venir d’Iran, voire d’Irak.
« Le pire n’est peut-être pas derrière nous »
Déjà très inquiet, le public israélien a été pris d’un nouvel accès de fièvre après la déclaration alarmiste du chef des renseignements militaires, le général Aharon Haliva : « Le pire n’est peut-être pas derrière nous. » Le porte-parole de l’armée a dû intervenir pour tenter de calmer le début de panique : « Il est inutile d’amasser des provisions, de courir aux distributeurs de billets ou de se précipiter pour acheter des générateurs. »
A-t-il rassuré une population très fragilisée ? Pas sûr. Deux questions sont sur toutes les lèvres : va-t-on vers un conflit ouvert avec l’Iran ? Et si oui, quelle forme prendra-t-il ?
Ces incertitudes s’ajoutent aux résultats pour le moins mitigés de la guerre à Gaza. Israël est loin de la victoire totale promise de semaine en semaine par Benyamin Netanyahou. Le Hamas est, certes, affaibli, mais il n’a pas été démantelé. Il conserve des capacités militaires, même limitées, qui lui permettent d’infliger des pertes quasi quotidiennes à l’armée israélienne. Depuis le 7 octobre, 600 soldats ont été tués et des milliers d’autres blessés, dont certains sont devenus lourdement handicapés.
La tragédie sans fin des otages
Et surtout, il y a la tragédie des otages : 133 enfants, femmes et hommes dont on est sans nouvelle depuis des mois. En février dernier, des sources israéliennes estimaient que 30 à 50 d’entre eux seraient morts. Le Hamas refuse de donner toute information précise à ce sujet, affirmant : « Cela aussi a un prix. »
Jusqu’à présent, les négociations via le Qatar et l’Égypte n’ont pas permis d’aboutir à un cessez-le-feu suivi d’un nouvel échange d’otages contre des prisonniers palestiniens détenus en Israël.
Samedi, l’armée israélienne a annoncé qu’elle venait de récupérer le corps d’Elad Katzir, 47 ans, un habitant du kibboutz Nir Oz assassiné par ses ravisseurs après trois mois de captivité. Il n’y a pas de jour où les médias, chaînes de télévision, presse écrite ne reviennent sur le calvaire des familles d’otages : les nuits sans sommeil où l’on pense à la fille, au fils, au mari, au père, enfermés depuis six mois dans les tunnels du Hamas.
« Rien ne nous avait préparés à cette situation, explique Roni Steinbekher, le père de Doron, 31 ans, kidnappée dans le kibboutz de Kfar Aza. Nous ne pouvions l’imaginer. Nous pensions que sa libération était une question de quelques jours, de deux semaines au plus. Mais six mois, rendez-vous compte ! » Avec son épouse, Simona, et son autre fille, Yamit, il a choisi de ne pas désespérer et de se battre, pas seulement pour le retour de Doron, mais pour celui de tous les otages.
Quand les proches des otages sont considérés comme des « gêneurs »
Rien ne peut le détourner de son objectif. Pas même les attaques d’Israéliens qui, soutiens inconditionnels de la coalition au pouvoir, accusent les proches d’otages d’être des gêneurs. En effet, depuis quelques semaines, des militants de droite et d’extrême droite font campagne contre les familles d’otages, qu’ils vont jusqu’à désigner sous le nom de « Kaplan Nuhba », autrement dit « l’unité d’élite du Hamas à Tel-Aviv ». Il s’agit de délégitimer les proches des captifs, qui ont rejoint les manifestations pour la démission de Benyamin Netanyahou et la tenue d’élections anticipées.
Loin du slogan martelé depuis des mois, « Ensemble, nous vaincrons », le public israélien se fracture-t-il à nouveau ? Grande spécialiste de la société israélienne, la sociologue Tamar Hermann observe : « Il est impossible d’en parler comme d’un bloc monolithique. Il n’y a pas un public israélien, mais plusieurs. Prenez les plus de cent mille personnes déplacées du sud et du nord du pays, ils doivent reconstruire leur vie. Parallèlement, 70 % des habitants de la région centre sont déjà retournés à leur vie d’avant, à la routine du quotidien. Et puis il y a ceux qui essayent de faire revivre les manifs du mouvement prodémocratie. Ceux-là ne forment qu’une partie bien précise et encore limitée du public israélien. À ce stade, cela ne peut pas faire tomber le gouvernement. »
Si Tamar Hermann ne nie pas que la situation peut évoluer, notamment si une majorité d’Israéliens s’oppose activement à une loi permettant aux jeunes ultraorthodoxes d’échapper au service militaire, elle estime que, du moins aujourd’hui, rien n’est sûr.
Le spectre d’élections anticipées
Interrogée sur le moral des Israéliens, elle répond : « Le traumatisme du 7 octobre n’est pas encore dissipé. Nous en sortons peu à peu. J’ai une grande confiance dans les capacités de résilience de la société israélienne. »
Benny Gantz, le président du parti d’opposition L’Unité nationale, qui a rejoint, au début de la guerre, le gouvernement Netanyahou, vient de remettre sur la table la question d’élections anticipées. Il propose d’aller aux urnes dès septembre ou octobre prochain (l’échéance normale est en 2026). « Hors de question », répond la coalition au pouvoir. Il faut dire que cette dernière n’y a aucun intérêt. Selon les sondages les plus récents, elle serait la grande perdante si le scrutin avait lieu aujourd’hui. Elle n’obtiendrait que 45 sièges, contre 66 pour l’actuelle opposition (sur un total de 120 députés à la Knesset).
À la question : « Quelle est la personnalité la plus à même d’être Premier ministre ? », quelque 48 % des personnes interrogées répondent Benny Gantz, contre 33 % pour Benyamin Netanyahou. Pourtant, au vu des 19 % d’indécis, on ne peut pas dire que les jeux soient faits.
Danièle Kriegel