A Chypre, la longue guérison des rescapés du festival Tribe of Nova

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IRON SWORDS WAR
A Chypre, des survivants bénéficient de séjours thérapeutiques organisés par la société civile israélienne. Les otages du Hamas sont dans tous les esprits.

Pendant quatre mois, ils se sont retrouvés « entre eux », ont maîtrisé leurs peurs et partagé leurs histoires au sein d’un établissement thermal aux murs blancs entouré d’une nature luxuriante. Perché sur les collines surplombant la station balnéaire de Paphos, le complexe haut de gamme Secret Forest a accueilli, pour de courts séjours thérapeutiques, plus d’un millier de rescapés de Tribe of Nova – la fête de musique techno où 364 festivaliers ont été massacrés par le Hamas au lever du soleil le 7 octobre. Certains avaient préalablement été mutilés ou violés. Une quarantaine d’autres ont été kidnappés.

Ce matin-là, posté près du buffet vegan dans une salle à manger inondée de lumière, Despina Maria, la propriétaire de l’établissement, et Chris Davarashvili, en charge des activités des « Nova », mesurent le chemin parcouru. « Voilà plus de quatre mois, le premier groupe de survivants du festival a franchi les portes de notre maison. Nous n’imaginions pas que cela durerait jusqu’à aujourd’hui », racontent-elles à propos de leur projet rendu possible par un entrepreneur israélien, Yoni Kahana. Le 7 octobre, ce professionnel du tourisme se trouve justement sur place pour célébrer la fête juive de Sim’hat Torah : il convainc la direction de ce centre de bien-être, avec spa et piscine, de se mobiliser pour les survivants. Aussitôt dit, aussitôt fait. L’établissement propose un espace de retraite et différents ateliers : art, théâtre, massage, etc. Le week-end, Secret Forest accueille aussi des parents endeuillés par la tragédie. L’ONG humanitaire IsraAid, basée en Israël, finance l’initiative qui a pris de l’ampleur. Pas moins de 250 thérapeutes bénévoles accompagnent 19 groupes de festivaliers dans leur chemin de guérison.

« Je me sens coupable d’avoir survécu »

Experte en yoga, qu’elle utilise comme outil de santé mentale, Shani, une quinquagénaire londonienne qui vit sur l’île méditerranéenne, témoigne : « J’ai travaillé dans un orphelinat au Rwanda au milieu des années 1990, après le génocide. Quand j’ai vu ce qui s’est passé lors de la rave party de Re’im, cela m’a ramené au trauma de 1994. J’ai perçu des similitudes. Au début, les jeunes Israéliens arrivaient ici les yeux hagards, en tremblant, dans le refoulement ou le déni. Aujourd’hui, entourés des gens qui ont vécu la même chose, ils sont enclins à faire un travail sur eux-mêmes. »

Arrivé l’avant-veille, Dean Carmel, 31 ans, a souhaité effectuer seul ce séjour thérapeutique. « Je suis plutôt introverti », confie cet entrepreneur originaire de Kfar Saba (centre d’Israël) qui a découvert la scène de la musique trance au Portugal un an auparavant. Il raconte : « C’est tard dans la nuit du 6 au 7 octobre, après une longue journée de travail, que j’ai décidé de prendre la route pour rejoindre trois amis au festival Tribe of Nova. » Il arrive sur le site dans la pénombre, avant la pluie de roquettes en provenance de Gaza. « Puis on a vu l’enfer. Je me sens coupable d’avoir survécu, mais aussi de ne pas être revenu sur les lieux des massacres pour sauver un camarade », glisse-t-il, avant de se rendre, un frisbee à la main, à un atelier de chant.

Assise à l’entrée du Spa, Ayala Avraham, elle, désigne sur l’écran de son portable le portrait d’Ilan, l’homme de sa vie depuis quarante ans, abattu le 7 octobre par des terroristes du Hamas, alors qu’il avait réussi à s’extraire du festival. « 2 500 personnes ont assisté à son enterrement. Ilan était une figure connue de la communauté musicale trance. A ses obsèques, personne n’était vêtu de noir », dit-elle avec tendresse.

Emblématique de la mobilisation de la société civile, l’initiative « chypriote » comble les carences du gouvernement israélien… qui ne finance que douze heures de thérapie par survivant. Et encore, tous les festivaliers de Nova ne sont pas éligibles. Les cas les plus sévères sont toutefois traités par les spécialistes des traumatismes de guerre de l’Etat hébreu. Pour le reste, les familles de Nova s’organisent seules. Il a fallu attendre fin février pour qu’une aide d’Etat de 5 millions d’euros soit débloquée pour ces survivants. Sur le front juridique, 42 proches de victimes du festival ont entamé des procédures contre le Shin Bet (services secrets) et Tsahal (l’armée) qui ont autorisé la tenue de l’évènement.

A Tel Aviv, la psychiatre Nitsa Nacash Axelrod raconte qu’elle s’est précipitée le 7 octobre à 15 heures aux urgences l’hôpital Sheba-Tel Hashomer, en proche banlieue. « Cela m’est souvent arrivé d’accourir après des attentats, dit cette spécialiste des traumas, civils ou militaires. Dans ce cas précis, j’ai vite compris l’ampleur du désastre et l’importance d’appliquer un protocole de prévention du syndrome de stress post-traumatique. » Avec d’autres thérapeutes, elle traite 60 survivants de Nova présentant des symptômes aigus. Le sort des 140 otages toujours détenus à Gaza (dont une centaine sont estimés en vie), parmi lesquels de nombreux festivaliers de Nova, accapare évidemment l’esprit de tous les patients. Afin de sensibiliser l’opinion internationale à leur sort, Itay Regev, 18 ans, kidnappé lors du festival Nova, et libéré après cinquante et un jours de captivité est revenu à Re’im début janvier dans le cadre d’une conférence de presse à l’attention des médias étrangers. Le même jour, en bordure d’un terrain tapissé de portraits des victimes de la fête, le bruit des combats à Gaza se fait entendre au loin. Yarden Gonen, dont la petite sœur de 23 ans, Romi, a été capturée pendant le festival, chuchote : « J’ai toujours voulu croire à la paix. Mais à présent, il faut tout faire pour que le 7 octobre ne se reproduise plus. Notre pays ne pourra pas se relever de cette tragédie sans le retour des otages. »

Par Nathalie Hamou (Chypre et Tel Aviv)

Source lexpress