Attaque contre Israël : le viol, arme de guerre du Hamas

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En Israël, une unité de la police est chargée de collecter photos, vidéos et témoignages des crimes sexuels perpétrés lors de l’attaque du 7 octobre.

ans une salle aseptisée d’un bureau de police israélien, sous une lumière crue, la témoin, âgée d’une vingtaine d’années, reprend son souffle. « Ils se la passaient d’un homme à l’autre, elle était en vie, avait du sang sur le dos, je me souviens qu’ils tiraient ses longs cheveux bruns, secouaient sa tête dans tous les sens, elle pleurait. Un homme en uniforme l’a alors pénétrée. Puis il lui a tiré une balle dans la tête, alors qu’il était encore en elle. Le corps de la fille s’est recroquevillé. Un autre a coupé ses seins et joué avec. Le premier n’avait toujours pas relevé son pantalon. »
Dans le bureau, le policier reste impassible : « Sais-tu à quoi elle ressemblait ? » « Je n’ai jamais vu son visage », reprend la jeune femme, cachant le sien dans ses mains. La vidéo de l’interrogatoire, que Le Point a pu visionner dans le quartier général de la police israélienne, est une des preuves accumulées par Israël, la démonstration irréfutable que, en marge des massacres commis le 7 octobre, de nombreuses femmes et jeunes filles ont été victimes de viols et autres sévices sexuels.

Propagande

Dès le 7 octobre, les premiers signes de ces crimes de guerre sont apparus sur les réseaux du monde entier, diffusés par le Hamas lui-même, sous forme de vidéos et photos de propagande. Le corps de Shani Louk, disloqué et dénudé, jeté dans le coffre d’un pick-up et exhibé dans les rues de Gaza. Les images de cette jeune soldate du poste-frontière d’Erez, sortie du coffre d’une voiture, regard hagard et jogging gris maculé d’une importante tache de sang au niveau de l’entrejambe.

Confrontée au négationnisme, l’armée israélienne s’est résolue à constituer un film de quarante-cinq minutes sur l’attaque à partir d’images brutes – vidéos de caméras de terroristes, vidéos de surveillance, images tournées par des victimes ou des secouristes… L’une d’elles montre le corps d’une femme, en partie calciné, présentant des rigidités cadavériques. Sa jupe noire est remontée à sa taille, son sexe exposé, ses jambes écartées.

Consignes

Il y a aussi les témoignages de survivants du festival Supernova. Celui de Gad, rapporté par la police : « Pendant des heures, je me suis caché et j’ai entendu des femmes être kidnappées, violées, sans fin j’entendais des gens mourir, implorant pour leur vie. Et je ne pouvais faire aucun bruit, sinon, ils m’auraient pris moi aussi. » Celui d’une jeune femme : « Des femmes ont été violées sur le site du festival, parfois près des corps de leurs amis morts. Beaucoup de ces victimes de viol ont ensuite été exécutées. D’autres ont été emmenées à Gaza. »

Les kibboutz n’ont pas été épargnés. Une grand-mère âgée de 94 ans, survivante de la Shoah, a témoigné auprès des autorités avoir assisté au viol et au meurtre de sa petite-fille. Un ambulancier arrivé dans une maison de Be’eri a, quant à lui, indiqué avoir découvert les corps de deux jeunes filles dans une chambre : « L’une d’elles, entre 14 et 15 ans, était allongée sur le ventre, son pantalon baissé, ses jambes écartées et elle avait du sperme sur le dos. Elle avait été laissée là, baignant dans une mare de sang. »

« Nous tenons pour acquis que les terroristes sont arrivés avec des consignes précises le 7 octobre, parmi lesquelles figuraient le viol de femmes et d’enfants », révèle Mirit Ben Mayor, commissaire divisionnaire de la police israélienne. Des terroristes arrêtés ont aussi été questionnés par l’armée. Lors d’un interrogatoire visionné par Le Point, un homme en uniforme demande : « Pourquoi avez-vous pris des femmes ? » « Pour en faire ce qu’on en voulait, les souiller, les violer », répond le suspect.

Rite

Il y a, encore, ces nombreux corps qui ont transité par la morgue géante installée après le massacre dans la base militaire de Shura. Il y a une dizaine d’années, alors que le nombre de soldates rejoignant des unités de combat augmentait, Tsahal a souhaité créer un groupe de femmes civiles qui sauraient s’occuper des défuntes, les préparer à l’enterrement selon le rite juif. Sheri, architecte de métier, en fait partie. « Nous nous réunissions une fois par mois. Nous nous préparions à l’éventualité d’un crime de masse, puis le 7 est arrivé, et notre unité a été activée. » Arrivée sur la base de Shura, Sheri découvre les sacs mortuaires qui s’empilent partout dans les salles, des sacs dont parfois coule encore du sang.

« Je n’étais pas chargée de faire des examens médicaux, mais je vous dis ce que j’ai vu, commence-t-elle, d’une voix calme. Des sous-vêtements déchirés, ensanglantés, des planchers pelviens brisés, des membres inférieurs cassés. Et nous parlons ici des corps qui étaient en “bon état”, pas de ceux qui sont arrivés plus tard, en état de décomposition avancé ou entièrement brûlés. » Une représentante de l’armée précise : « Sheri a seulement travaillé sur les corps des soldates et pas sur ceux des participantes du festival, par exemple, où le plus grand nombre des viols ont été commis, selon les premiers éléments recueillis. »

Preuves

À ceux qui dans le monde s’étonnent du fait qu’aucun examen post-viol n’ait été réalisé dans les morgues à l’aide des kits de prélèvement de preuves prévus à cet effet – une façon plus ou moins subtile de mettre en doute l’existence de ces crimes –, la professeure Yifat Bitton, présidente de l’université Achva et spécialiste des violences fondées sur le genre, répond : « Face au nombre incommensurable de corps qui arrivaient, l’urgence était d’abord de les identifier et de permettre un enterrement rapide, comme le veut la religion juive. Mais, en tant qu’experte des questions concernant le viol depuis vingt-cinq ans, je veux aussi rappeler que le kit de viol est loin d’être le seul moyen qui permette de le détecter. Il faut connecter tous les points et regarder la vue d’ensemble. » « Dans les jours qui ont suivi les attaques, de plus en plus de preuves concernant les violences sexuelles nous parvenaient, mais personne ne semblait s’en saisir », regrette Cochav Elkayam Levy, professeure de droit international.

Face à l’inertie, elle décide, une semaine après les attaques, de créer une commission civile « sur les crimes du Hamas commis le 7 octobre contre les femmes et les enfants ». Quarante experts en sont désormais membres. « Il faudra des mois, voire des années, avant que toutes les informations possibles soient collectées, prévient-elle. Nous devons aussi garder à l’esprit qu’en raison de la nature de ces crimes sexuels certains témoins ou victimes peuvent trouver le courage de raconter leur histoire seulement des années plus tard, voire ne pas le trouver du tout. »

Silence

Orit Suliteanu, directrice de l’association Rape Crises Centers in Israel, abonde dans son sens : « Aucune victime de viol ne peut parler pour le moment. D’abord parce que la grande majorité d’entre elles sont mortes. Mais leurs corps parlent, hurlent même. Pour celles qui sont encore en vie, elles ont vécu un traumatisme indescriptible, auquel s’ajoute un sentiment de culpabilité terrible. On parle de femmes qui ont été abusées sexuellement dans des conditions cruelles. On ne connaîtra jamais le nombre exact des exactions sexuelles commises le 7. »

Fille de déportée, Orit explique par exemple que sa mère, qui a survécu à Auschwitz, n’a parlé qu’à la fin de sa vie des crimes sexuels dont elle avait été témoin. « Parfois, le silence emporte tout », dit-elle. Une déclaration qui fait écho à plusieurs cas rapportés au Point, comme cette jeune fille druze, qui n’avait pas le droit de se rendre au festival Supernova et qui, pour des raisons religieuses, n’a pas souhaité parler de son viol à ses parents. Elle s’est finalement tournée vers une cousine pour être conduite à l’hôpital. Ou cette soldate, qui saignait en continu dans les trois semaines suivant les attaques. Aux médecins qui l’ont auscultée, elle a confié avoir été victime d’un viol en réunion. Elle souffrait en réalité d’une hémorragie interne.

Protocole

Malgré le poids du silence, Cochav Elkayam Levy s’est donné pour mission de collecter les preuves et de documenter ces crimes. Avec son équipe, elle a créé un protocole précis et collabore de manière étroite avec la police, dont l’unité 433, celles des crimes, a été chargée de l’enquête « la plus importante et difficile qui nous a été confiée depuis la création de l’État d’Israël », déclare Mirit Ben Mayor. Si l’unité Lahav a déjà réuni une centaine de témoignages concernant les crimes sexuels, elle ne souhaite pas communiquer sur les investigations en cours. « Nous nous devons d’être les plus rigoureux possible dans cette enquête complexe, mais aussi de respecter la dignité des victimes et de leurs familles », ajoute Mirit.

En ce qui concerne le protocole créé par le Dr Elkayam Levy et son équipe, l’enjeu est de constituer une archive nationale qui devra permettre de croiser les sources et de les cataloguer. Qu’il s’agisse des témoignages directs de victimes ou de témoins, de ceux des premiers secouristes arrivés sur les lieux des massacres, des légistes ou des vidéos récoltées le jour même. « Il y aura ensuite un degré de fiabilité associé : degré 1, si le crime commis a été vécu ou vu à un endroit précis ; degré 2, s’il est corroboré par un second témoignage ou par des images, par exemple. » Cochav Elkayam Levy et la police s’appuient aussi sur les déclarations des hommes de Zaka, les secouristes religieux venus ramasser les dépouilles sur les scènes de crime.

C’est le cas de Mendy Habib. Le 15 novembre, l’unité Lahav 433 s’est rendue à son domicile pour un interrogatoire de près de cinq heures. Aux policiers et au Point, il raconte comment, aux abords du kibboutz de Mefalsim, dans le sud du pays, où la grande majorité des massacres ont été perpétrés, il a aperçu le corps d’une femme à environ 700 mètres du bord de la route, abandonné dans un champ, criblé de trois balles. Âgée d’une vingtaine d’années, elle portait une robe noire remontée jusqu’à la taille, sans ses sous-vêtements. « Le même jour, j’ai pu observer deux scènes similaires : dans une maison à Be’eri, une femme était couchée sur le dos dans son lit, les jambes de travers. J’ai aussi vu une femme dont le corps, en partie dénudé, se trouvait à côté du bord de la route, près de Réïm », raconte Mendy. À chaque fois, ces femmes ne portaient plus leur culotte. « Avec mes collègues, nous sommes des hommes religieux, nous n’avons donc pas regardé de trop près leurs parties intimes et n’en avons pas discuté entre nous. Mais toutes ces femmes étaient seules, laissées pour mortes dans des endroits isolés, propices à ces crimes. Nous avons vite compris ce qu’elles avaient pu vivre. »

Tournant

Sarah Weiss Ma’udi, ex-diplomate du ministère israélien des Affaires étrangères, est une énergique quadragénaire. Dès le 8 octobre, elle a été chargée de rédiger les documents officiels concernant les crimes pour les Nations unies. Son flot de paroles s’interrompt lorsqu’il s’agit d’aborder les viols : « Notre pays connaît la guerre depuis sa création, mais n’avait jamais été confronté à ce type de crimes. Le 7 octobre marque un tournant. » En Israël, où un collectif de femmes a créé #MeTooUnlessYouAreAJew (#MeToo sauf si vous êtes juive), beaucoup estiment avoir été abandonnées par les organisations internationales – UN Women, Unicef, Croix-Rouge – et par les féministes du monde entier, d’habitude si promptes à dénoncer ces violences. Sarah hoche la tête : « Tout le monde se réfugie derrière une prétendue absence de preuves. » 

De notre envoyée spéciale en Israël, Valentine Arama

Source lepoint