Le portrait : Yonathan Arfi, quand le Crif griffe

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Rencontre avec le président du conseil de la communauté juive, 43 ans, chef d’entreprise, capable de critiquer le gouvernement de Netanyahou comme d’en remontrer à Mélenchon.

Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) est en travaux. Pour rejoindre le bureau de Yonathan Arfi, 43 ans, on emprunte des couloirs dont les murs sont sur le point d’être repeints. Les locaux sont à l’image du président : ils changent. Les dirigeants précédents n’étaient pas aussi jeunes qu’Arfi, qui a pris ses fonctions alors que naissait son quatrième enfant. Son aîné a 7 ans seulement. Sa volonté est d’ouvrir le Crif vers l’extérieur, «d’avoir le plus de points de contacts possibles avec le reste de la société française. L’antisémitisme nous a parfois enfermés, et le rôle du Crif est de renouer le dialogue avec le monde éducatif, sportif, syndical».

Il tient également à montrer la variété des juifs en France. «Après la Shoah, la place des juifs en France fut le miroir de la place faite aux uns et aux autres. Cela a changé. Les juifs sont aujourd’hui accusés par les indigénistes de ne plus être une minorité ; pire, d’être des traîtres qui incarnent la figure de l’Etat oppressant les minorités. Il incombe au Crif d’injecter du réel dans ces représentations.»

S’il ne ressasse le souvenir des violences antisémites qui secouent la France depuis vingt ans, et s’il préfère aller de l’avant, Yonathan Arfi use de sa liberté de parole. Il y a quelques jours, lors de la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv, il a déclaré : «Face à l’extrême droite, les porte-voix de La France insoumise font bien plus partie du problème que de la solution. En choisissant le clientélisme plutôt que l’universalisme, en s’égarant dans la complaisance avec l’islamisme, avec Poutine ou les partisans des appels aux émeutes, ils sèment une confusion idéologique, meilleur allié de l’extrême droite […]. Au fond, en se nommant insoumis, ils prétendent incarner une forme de résistance : mais de quelle résistance parle-t-on lorsque les insoumis sont incapables de s’affranchir des ordres de leur chef quand il se compromet loin du pacte républicain ? De quelle résistance parle-t-on lorsqu’on est prêts à sacrifier la République sur l’autel du communautarisme ?»

Réponse de Jean-Luc Mélenchon sur Twitter : «Le président du #Crif utilise la cérémonie à la mémoire des victimes de la rafle des Juifs par la police française pour me prendre à partie. Abject. L’extrême droite n’a plus de limite.» Réaction de Yonathan Arfi qui prédit un prompt apaisement : «Je pense que c’est à mettre sur le coup de l’énervement .»

Très calme, il dresse posément le portrait de sa famille, sépharade. Elle vient d’Algérie du côté de son père, et du Maroc du côté de sa mère : « Le judaïsme d’Algérie est marqué par un rapport à la France très puissant, avec le décret Crémieux, avec Vichy, et avec le déracinement violent d’Algérie après 1962. La famille compte une figure forte, celle d’Alfred Nakache, le frère de ma grand-mère.»

Ce champion de natation auquel Pierre Assouline a récemment consacré un beau récit biographique est né en Algérie et a défendu les couleurs de la France aux Jeux olympiques de 1936 à Berlin. Déporté à Auschwitz, il y a survécu contrairement à sa femme et à leur fille. Dans le bureau de Yonathan Arfi, il y a une photo du sportif. «Il est mort lorsque j’avais 3 ans. Nous habitions à l’époque à Montpellier, lui habitait à Sète, et je barbotais avec lui, dans l’eau. J’ai donc grandi dans une famille sépharade dont l’histoire a croisé l’histoire ashkénaze à travers Nakache, figure symbolique importante.»

Les parents Arfi étaient dentistes mais sa mère n’a jamais exercé, afin de s’occuper de ses quatre enfants. La famille a quitté le sud pour Saint-Quentin-en-Yvelines : «Nous menions une vie heureuse et préservée. La porte était ouverte, et dans ce quartier pavillonnaire comme à l’école, le fait juif était banalisé. J’étais juif comme d’autres étaient arabes ou malgaches. C’était une banlieue multiculturelle sans crispation.»

Traditionalistes, les parents «marquaient le temps du shabbat le vendredi soir. Mais je n’ai jamais porté la kippa». Adulte, Arfi fait de même. Très bon élève, il entre au lycée Hoche à Versailles en seconde, y fait ses classes prépa et intègre HEC. L’an 2000 représente un tournant : la Seconde Intifada en Israël se répercute en France à travers des violences antisémites. Au même moment, Dieudonné rend populaire la «quenelle». Arfi est alors président de l’UEJF: «C’étaient les prémices de ce que l’on vit encore aujourd’hui.»

En mars dernier, dans une newsletter publiée par le Crif, il a exprimé des critiques envers l’alliance de Nétanyahou avec les suprémacistes. N’est-ce pas périlleux, quand on est juif, de s’exprimer sur Israël alors que l’antisémitisme joue de cette assignation ? «L’actualité ou les mots des antisémites nous renvoient à Israël plus souvent que je ne l’aurais imaginé, et je refuse aux antisémites le pouvoir de nous faire taire.»

Avec un camarade de HEC, il fonde une société qui s’occupe de la promotion d’artistes français aux Etats-Unis. Patrick Bruel, Julien Clerc et Gad Elmaleh sont leurs clients. Mais Arfi se retire de l’aventure parce que pour bien faire, il aurait fallu qu’il s’installe de l’autre côté de l’Atlantique, et il n’en avait pas envie. Il «monte» alors une autre «boîte», qui aide les start-up à obtenir des aides publiques. Présider le Crif est une mission bénévole qui l’occupe les trois quarts du temps.

Son épouse, directrice générale adjointe de Havas Paris, travaille beaucoup aussi. C’est une juive alsacienne. Les rapproche notamment «un rapport historique et profond à la France. Il est commun aux juifs d’Algérie et aux juifs alsaciens». Ils habitent le centre de Paris. Yonathan Arfi accompagne ses enfants à l’école entouré d’agents de sécurité. N’ayant pas de points d’ancrage, Arfi et sa femme louent une maison, l’été, en Dordogne ou ailleurs : «Nous appartenons à la génération AirBnb.» Il lit, Camus, Péguy, et d’autres. Il ne dit pas pour qui il vote mais il vote, et toujours pour des partis républicains : «Ce qui me frappe est que le choix républicain devient un corridor. Un des défis est de parvenir à l’élargir.»

Le jeune président est libéral sur les questions sociétales, telle la fin de vie ou la PMA. Il se dit «de son temps, favorable à un maximum de droits» même s’il s’interroge «sur ce qui fait idéologie.» Son volontarisme, sa fibre entrepreneuriale et bâtisseuse s’accompagnent d’une sensibilité aux tiraillements et aux nuances. Cela transparaît lorsqu’on lui demande ce que signifie, pour lui, être juif. Romain Gary répondait : «Une certaine façon de me faire chier.» Arfi dit : «Accepter une tension permanente. A propos de l’être juif, Jankélévitch parlait d’“oscillation libératoire” : on est sur un fil, pris entre une volonté de différenciation et une volonté d’assimilation. J’accepte cette ligne de crête. J’aime aussi la formule d’un rabbin de la fin du XIXe siècle, Elie Benamozegh, selon lequel le judaïsme a l’universel comme fin, et le particularisme comme moyen.»

14 avril 1980 Naissance à Toulouse.
2003-2005 Président de l’UEJF.
Juin 2022 Président du Crif.
16 juillet 2023 Commémoration de la rafle du Vél d’Hiv.

par Virginie Bloch-Lainé