À un mois d’intervalle, deux retraités ont été tués à Vieux-Condé et Quesnoy-sur-Deûle pour avoir demandé à des jeunes de faire moins de bruit.
uelques mètres carrés d’herbes folles, jaunies par l’été, mangent un trottoir. Autour, des maisons en brique rouge alignées le long d’une banale rue résidentielle d’un petit village du nord de la France. C’est sur ce lopin de terre défraîchi que Philippe Mathot, ancien fleuriste âgé de 72 ans, a été retrouvé gisant au sol par un automobiliste, le soir du 5 juillet, vers minuit, à Vieux-Condé (Nord).
Après une semaine d’hospitalisation, il est décédé ce mardi des suites de ses blessures. Philippe Mathot est mort devant chez lui parce qu’il a demandé à trois jeunes de faire moins de bruit. Selon la procureure de Valenciennes, Christelle Dumont, le retraité a d’abord réclamé du calme depuis sa fenêtre vers 23 heures. Cela n’a pas suffi. Lorsqu’il est sorti de chez lui, le ton est monté. Un violent coup de poing l’a fait chuter. Le retraité a été rossé une fois à terre. Ses agresseurs l’ont laissé inconscient avant de prendre la fuite. Une information judiciaire a été ouverte pour meurtre.
Sa mort a déclenché de nombreuses réactions politiques. « Ce drame ne restera pas impuni », a promis, mardi soir, sur Twitter le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, évoquant « une agression d’une lâcheté sans nom ». Le député communiste de la circonscription, Fabien Roussel, a lui dénoncé « un acte de barbarie » et a appelé la justice à faire preuve d’« une extrême sévérité ».
Livre de condoléances
Ce drame a bouleversé Vieux-Condé, bourgade de 10 000 habitants en banlieue de Valenciennes, à la lisière de la Belgique. Un livre de condoléances a été installé à l’accueil de la mairie à destination d’habitants « en état de choc », a annoncé le maire, David Bustin. Ce mercredi, au Longchamp, le bar-PMU du coin, les exemplaires de La Voix du Nord, le quotidien local, sont partis comme des petits pains. Ici, tout le monde connaît « Philippe » et sa petite maison blanche de la rue Denfert-Rochereau.
Pendant 40 ans, Philippe et sa femme ont tenu Le Chalet de Vieux-Condé, le magasin de fleurs phare du secteur. Ce « bosseur » se rendait chaque semaine au marché d’intérêt national de Lomme pour récupérer les cargaisons. « Sa femme aimait beaucoup les fleurs, mais lui pratiquait surtout ce métier pour le social, le contact avec les gens », confie la fleuriste actuelle, qui a travaillé plusieurs années à ses côtés, et pour qui ce drame est une « catastrophe ».
Les habitants de Vieux-Condé évoquent leur désarroi avec pudeur, préfèrent souvent conserver l’anonymat, en rappelant la discrétion demandée par la famille. Pour autant, ils ne peuvent s’empêcher de dresser le panégyrique de Philippe Mathot. Comme s’ils voulaient lui rendre ce qu’il avait donné. « C’était quelqu’un de très tourné vers les autres », souligne Arnaud, un quadragénaire.
À Vieux-Condé, avant sa retraite, prise il y a huit ans, Philippe Mathot semblait sur tous les fronts. Il avait monté l’association locale des commerçants en parallèle de son poste à la chambre de commerce. On le retrouvait à la tête d’une association pour l’insertion, désormais fermée, qui aidait les « RMistes » de l’époque à trouver un emploi. Son visage est aussi connu au Centre communal d’action sociale (CCAS), où il se rendait souvent, lorsqu’il n’épaulait pas les bénévoles des Colis du cœur, une distribution solidaire.
Il a travaillé toute sa vie
« C’est un gars, vous sonnez chez lui pour savoir s’il peut vous emmener à Valenciennes pour vous dépanner, il le fait », assure Arnaud. Philippe Mathot avait fini par laisser les clés de son commerce à une gérance plus jeune. « Il venait quand même nous donner des coups de main quand il pouvait », précise la fleuriste du Chalet. « Il a travaillé toute sa vie pour obtenir sa petite retraite, et il finit par se faire tuer comme ça, par des petits abrutis ! C’est ça qui est choquant », se désole un ancien d’un village voisin, dont Philippe a « fleuri le mariage » il y a bien longtemps déjà.
L’ex-commerçant a la réputation d’un homme discret et calme. « Je n’aurais jamais pensé que cela aurait pu arriver à Philippe, souffle ce même ancien. « Ce n’est pas du tout un impulsif », confirme un restaurateur. « Il a dû se dire qu’il allait calmer les jeunes, peut-être, mais jamais il n’aurait imaginé une telle réaction », estime la fleuriste.
Les regards se tournent désormais vers ces « jeunes » agresseurs issus de la ville voisine, Condé-sur-l’Escaut. Ils ont été interpellés chez eux au lendemain des faits, le 6 juillet. Une trentaine de jeunes de Vieux-Condé seraient ensuite allés sous les fenêtres des familles de la Forestière, la cité de Condé-sur-l’Escaut, pour réclamer des comptes.
Le mineur de 17 ans, soupçonné d’avoir porté les coups, a été mis en examen et placé en détention provisoire. Les deux autres, âgés de 18 et 14 ans, ont été mis en examen pour « non-empêchement de commettre un crime ou un délit et non-assistance à personne en danger ». Le premier a été placé sous contrôle judiciaire et le second fait l’objet d’une mesure judiciaire éducative provisoire. Aucun n’a d’antécédent judiciaire et les mineurs sont scolarisés.
Simplement de jeunes amis
À Vieux-Condé, certains se plaignent d’une poignée de jeunes « en trottinette électrique », « qui viennent fumer du shit ici ». La rumeur parle d’un petit trafic de drogue. « Il ne se passe rien ici, la rue mène à un champ, nuance un riverain de la rue Denfert-Rochereau. De la drogue ici ? Ce n’est pas discret. Autant aller vers l’étang. Ou sur la voie des Gueules noires. » « Ce sont simplement de jeunes amis qui se sont réunis et cheminaient vers une commune voisine », indique Christelle Dumont, la procureure de Valenciennes.
Les deux gros chiens de Philippe Mathot ont-ils aboyé, l’incitant à sortir ? « Je pense que ces aboiements le dérangeaient le plus, envisage un voisin de la rue. En tout cas, ça ne donne pas envie d’intervenir si on entend du bruit. Si c’est le cas, je resterai à la fenêtre. »
Un autre cas
Un mois plus tôt, un autre habitant du Nord n’est pas resté à sa fenêtre. Lui aussi a été irrité par des nuisances sonores. Et lui aussi est mort sous les coups. Le samedi 10 juin, Bernard Delannoy, 63 ans, ne supporte plus le bruit d’un groupe de jeunes sur les berges à Quesnoy-sur-Deûle, un village situé à seulement une heure de route de Vieux-Condé. Ce paysagiste sort de sa résidence, composée de petits immeubles avec terrasse. Il demande au groupe de baisser le volume, vers 23 heures. Comme Philippe Mathot, ce quasi-retraité est tabassé et meurt d’un coup de couteau à la gorge sur le chemin de halage, au bord de la Deûle. Bernard Delannoy rentrait ce jour-là d’une balade à la mer, à la frontière belge, où il avait promené son chien Goliath.
À la suite de ce drame, neuf gendarmes ont été déployés en renfort pour sécuriser les berges cet été. Quatre jeunes hommes âgés de 15 à 22 ans ont été mis en examen pour homicide, mais aussi violences aggravées. Car quelques heures plus tôt, les suspects ont agressé un couple. La femme a fui sur les conseils de son mari, tandis que lui a eu le visage tuméfié et les côtes cassées.
La mort de Bernard Delannoy n’a pas suscité le même intérêt médiatique que celle de Philippe Mathot. « Peut-être parce qu’il s’est installé ici il y a seulement deux mois, il est moins connu du village », suggère un habitant. « La mort de Philippe arrive à un moment crucial : juste après celle de Nahel. Et les politiques font le parallèle », déplore l’ancien de Vieux-Condé.
Question d’époque
Le meurtre de Philippe Mathot fait réagir à Quesnoy, un mois seulement après celui de Bernard Delannoy. Sans pour autant surprendre les riverains. « Au vu du climat général, je ne suis pas étonné, estime Arnaud (le prénom a été modifié), commerçant du village. Ce n’est pas vraiment une question de lieu. C’est une question d’époque, de tension dans l’air. Il suffit d’une étincelle pour déclencher de la violence. On l’a vu avec les émeutes… »
« Que cette violence arrive dans nos campagnes, ça m’interpelle », tique la fleuriste de Vieux-Condé. « Cela fait aussi écho à des problèmes de voisinage qui dérapent, ce qu’on connaît tous à la campagne, pense Jacques (prénom modifié), devant la mairie de Vieux-Condé. Une embrouille, dans le temps, ça arrivait. Mais cet acharnement… pourquoi ? »