Dans une décision rendue publique ce lundi 17 avril, le Comité européen des droits sociaux dénonce les multiples violations par l’Etat français des droits et libertés des personnes en situation de handicap.
En France, les personnes en situation de handicap sont maltraitées. Leur liberté et leurs droits sont bafoués depuis des années, sans que, malgré les jolies promesses des gouvernements successifs, les choses n’évoluent vraiment. Ce constat dur n’est pas dressé (que) par l’opposition ou les associations de défense des droits des personnes handicapées, mais par le Conseil de l’Europe. Dans une décision prise à l’unanimité, transmise fin décembre à l’Etat français et rendue publique ce lundi 17 avril, que Libération a pu consulter, l’instance basée à Strasbourg, chargée notamment de défendre les droits humains, estime que la France néglige les droits des personnes en situation de handicap.
Pour les 15 membres du Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe, Paris viole en plusieurs points la Charte sociale européenne, convention qui garantit nombre de droits dont ceux des personnes en situation de handicap. La liste des manquements relevés par l’instance est longue : la France faillit à son devoir concernant «l’accès aux services d’aide sociale et aux aides financières» et aux «services de santé», «l’accessibilité des bâtiments et des installations» et «des transports publics», «l’intégration sociale et la vie de la communauté des personnes handicapées», et «l’inclusion des enfants et adolescents handicapés dans des écoles ordinaires». Rien que ça.
«En France, tout le monde s’en fout du handicap»
Pour que la France soit ainsi pointée du doigt au niveau européen, les associations françaises de défense des personnes en situation de handicap ont dû s’armer de patience. Cinq d’entre elles avaient saisi le Conseil de l’Europe en mai 2018 pour faire condamner l’Etat français pour «non-respect des droits fondamentaux des personnes handicapées». Cinq ans plus tard, au terme d’un long processus, elles se félicitent dans un communiqué que l’instance leur ait donné raison et espèrent que la décision «ne demeure pas un énième rapport oublié sur la politique du handicap».
Pour Pascale Ribes, présidente de l’APF France handicap (pour association des paralysés de France), cette décision est importante car elle reconnaît qu’il y a un «problème systémique» et un «manque global de politiques adaptées» : «La vérité c’est qu’en France, tout le monde s’en fout du handicap. On vous donne un peu d’aumône sociale de temps en temps et il faudrait dire merci, alors que nos droits fondamentaux sont bafoués tous les jours et depuis des années.» Luc Gateau, président de l’Unapei, qui fédère des associations engagées sur la question du handicap mental, abonde : «On dit vouloir bâtir une société inclusive, elle n’en a pourtant que le nom. On n’a pas de politique globale dans notre pays, on se contente de mesurettes. Le handicap n’est pas un sujet sexy, pas un sujet dont on parle tous les jours, c’est pourtant central pour des familles qui le vivent directement. On a besoin de faire entendre cette voix et la condamnation du Conseil de l’Europe y contribue.»
Si la décision n’est pas, à proprement parler, contraignante, elle met quand même le gouvernement français sous pression. En 2004, le Comité européen des droits sociaux dénonçait, déjà suite au recours d’une association, les manquements de l’Etat à l’égard des personnes autistes. Un premier plan autisme avait vu le jour un an plus tard, et trois se sont depuis succédé, quand bien même les efforts ne semblent toujours pas suffisants. «La France n’aime pas être épinglée comme un Etat qui ne respecte pas les droits humains, ça la force à réagir», analyse Pascale Ribes.
«Nous ne sommes pas du tout dans un système inclusif»
Quand on demande à la présidente d’APF France handicap des exemples concrets des manquements de l’Etat français pour les personnes en situation de handicap, les réponses fusent. Sur l’accès aux soins ? «Beaucoup de cabinets ne sont pas adaptés. On a par exemple un taux de prévalence du cancer du sein plus élevé chez les femmes en situation de handicap car elles n’ont pas suffisamment accès aux cabinets médicaux, et quand elles y ont accès, le matériel n’est pas toujours adapté au handicap.» Sur l’éducation ? «Nous ne sommes pas du tout dans un système inclusif, même si on a progressé. Il reste de nombreux élèves pas ou mal scolarisés, et quand ils le sont, plus on avance dans la scolarité et plus il y en a qui sont laissés sur le carreau.»
Sur l’aspect financier ? «Les inégalités persistent même il y a eu une récente avancée avec la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). L’AAH reste sous le seuil de pauvreté, alors qu’en parallèle les personnes en situation de handicap doivent faire face à des dépenses contraintes parfois très élevées. Pour un fauteuil roulant manuel par exemple, la Sécu ne vous rembourse que quelques centaines d’euros quand le coût de celui-ci peut facilement dépasser les 5 000 euros.»
Elle-même contrainte de se déplacer en fauteuil roulant, Pascale Ribes dénonce aussi la reculade sur l’accessibilité des lieux recevant du public et des logements neufs, promesse balayée par la loi Elan et pourtant point fondamental «qui conditionne l’accès à tous les autres droits». «Vous n’imaginez pas comment se déplacer est un casse-tête, toute la chaîne de déplacement doit être anticipée. On n’a pas le choix des commerces où l’on veut aller, des cabinets médicaux où l’on veut aller… Ce n’est pas normal, c’est une atteinte à notre liberté, et pourtant c’est notre quotidien.»
Une Conférence nationale du handicap fin avril
Luc Gateau, de l’Unapei, pointe pour sa part les difficultés qu’ont les aidants et le manque de places dans les structures accueillant des personnes lourdement handicapées, faute de personnel ou de moyens. Une situation qu’il connaît bien : «Je suis moi-même parent d’une adulte en situation de handicap de 33 ans qui vit à la maison car nous n’avons trouvé aucune solution d’hébergement depuis dix ans. Et mon cas n’est absolument pas isolé, il y a des dizaines de milliers de familles qui sont dans cette situation en France.»
La décision du Conseil de l’Europe désormais actée, le regard des associations se tourne vers la Conférence nationale du handicap (CNH) qui aura lieu le 26 avril à l’Elysée, sous l’autorité d’Emmanuel Macron. Sixième exercice du genre (la dernière a eu lieu avant le Covid en 2020), elle doit, d’après le ministre des Personnes handicapées, Jean-Christophe Combe, qui s’est exprimé en janvier, fixer «des objectifs ambitieux en matière d’emploi, d’école ou encore d’accès aux droits». Les associations n’en demandent pas moins. «On attend toujours cette politique globale promise par Emmanuel Macron lors de son premier mandat, quand il disait vouloir faire du handicap une de ses priorités, s’impatiente Luc Gateau. Il y a eu certes de petites avancées, mais rien de plus. On a le sentiment que nos gouvernants cherchent toujours à gagner du temps alors que les problèmes, ils les connaissent depuis longtemps.»
par Julien Lecot