L’Inde remplace la Chine dans le plus grand port d’Israël

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C’est un milliardaire indien qui contrôle désormais 70 % du port israélien de Haïfa, où la Chine avait pourtant implanté récemment un terminal de containers.

En septembre 2021, la branche internationale du port de Shanghaï ouvre à Haïfa, le principal port d’Israël, un terminal automatisé de containers d’une capacité annuelle de traitement d’un million de navires. Cet investissement de l’ordre d’un milliard d’euros garantit à la Chine l’exploitation de ce terminal durant vingt-cinq ans. Les deux dynamiques des accords d’Abraham et des « routes de la soie » semblent alors converger.

La normalisation israélo-arabe, lancée en septembre 2020 par les Emirats arabes unis et Bahreïn, paraît en effet vouée à s’étendre à l’Arabie saoudite, qui trouverait à Haïfa le débouché naturel de ses échanges avec la Méditerranée.

Le « bloc indo-abrahamique »

Les Etats-Unis, qui attribuent environ quatre milliards de dollars d’aide militaire à Israël chaque année, ont très mal réagi à l’implantation de la Chine à Haïfa. Ils ont mis en avant les risques d’espionnage dans ce port où la VIe flotte américaine fait régulièrement escale, tandis que la principale base sous-marine d’Israël est toute proche.

Dès janvier 2022, Washington fait pression pour que les compagnies chinoises ne puissent pas remporter l’appel d’offres sur l’extension du métro de Tel-Aviv (c’est finalement la société française Alstom et ses partenaires israéliens qui sont retenus). Six mois plus tard, le président américain, Joe Biden, en visite en Israël, y tient, aux côtés du premier ministre israélien, Yair Lapid, le premier sommet virtuel avec Narendra Modi, le premier ministre indien, et Mohammed Ben Zayed, le président des Emirats arabes unis. Ce format quadripartite est dénommé en anglais I2U2, du fait des initiales des pays concernés, « I » pour l’Inde et Israël, « U » pour les USA et les UAE (United Arab Emirates).

Mais les commentateurs indiens préfèrent parler d’un « bloc indo-abrahamique », visant à intégrer l’Inde à la dynamique des accords d’Abraham, elle-même portée par le rapprochement stratégique entre Israël et les Emirats arabes unis. Mohammed Ben Zayed ne peut ignorer que, malgré ses relations étroites avec Xi Jinping, une large part du commerce courant des Emirats est réalisée avec l’Inde, dont les ressortissants sont deux à trois fois plus nombreux que les Emiratis eux-mêmes dans leur propre pays.

La stratégie alternative de la Chine

Le groupe Adani gère d’ores et déjà treize ports en Inde, dont il assure le quart du trafic maritime. L’appel d’offres de Haïfa représente cependant sa première intervention internationale, largement remportée pour un montant de 1,15 milliard de dollars. Adani possède désormais 70 % du port de Haïfa, les 30 % restants revenant à ses partenaires israéliens.

Bezalel Smotrich, le ministre ultranationaliste des finances, se félicite « d’un accord dont nous n’aurions pu rêver à cette échelle ». Quant au premier ministre Nétanyahou, il avait déjà accueilli son homologue indien Modi, en 2017 à Haïfa, pour rendre hommage aux militaires venus d’Inde pour participer, en 1918, à la prise par l’armée britannique de ce port alors essentiel pour les forces ottomanes. Adani, reçu par Nétanyahou pour célébrer la privatisation du port de Haïfa, n’a pas manqué de saluer, lui aussi, « nos soldats venus de Mysore, d’Hyderabad et de Jodhpur se battre pour la liberté de Haïfa ».

Peu importe que cette « libération » soit intervenue trente ans avant la fondation de l’Etat d’Israël, l’important est de nourrir la coopération croissante entre l’Inde et Israël de références historiques plus ou moins exaltantes.

La Chine, pour sa part, ne s’embarrasse pas de telles considérations. Il n’est en effet pas exclu que la rebuffade qui lui a été infligée à Haïfa ait accéléré la médiation menée par Pékin entre Riyad et Téhéran. En parrainant le rapprochement entre les deux théocraties sunnite et chiite, jusque-là à couteaux tirés, la Chine met en place une stratégie alternative à celle des accords d’Abraham, dans lesquels elle espérait justement s’insérer par son investissement majeur à Haïfa. Changeant de pied, elle mise dorénavant sur le refus saoudien de normaliser ses relations avec Israël dans un futur proche, la priorité de Riyad allant à un apaisement avec Téhéran et à une réconciliation des dirigeants arabes, sous l’égide de l’Arabie, lors du sommet arabe du mois prochain. Jamais les recompositions au Moyen-Orient n’ont été aussi rapides.