À la traîne, et à l’étroit face au quartier juif de Narbonne et à celui de Gérone, l’ensemble du XIIIe siècle de Perpignan plus tardif dans son développement moyenâgeux et paradoxalement bien moins conservé, se cherche une identité au cœur du quartier st Jacques. Un problème mémoriel qui ne devrait pas en être un.
Cela pourrait être un secret d’histoire bien gardé. Çà et là, si l’on regarde attentivement quelques panneaux de rues, on y remarque en petits caractères la mention lilliputienne » Anciennement call « . Il ne reste pas grand-chose de visible de l’ancien quartier juif du XIIIe et XIVe siècles de Perpignan. Contrairement à ce que nous avions déjà vu et étudié sur les calls de Narbonne et de Gérone, celui-ci est avare en trésor archéologique. Alors que pour Narbonne, l’émergence de la communauté juive est visible et datable dès le Ve siècle et que celui de Gérone est dans un état de conservation proche de la perfection. Perpignan, avec les soubresauts tardifs de son histoire a fait table rase de ce passé encombrant pour une certaine frange des habitants. Mais, le travail laborieux des archéologues, avec les fouilles préventives, laisse planer un espoir de résurgence dans l’ombre du passé.
L’emplacement du call au XIIIe siècle
Avant tout, situer les lieux. Si vous vous trouvez à l’intersection de la rue de l’Anguille et de celle de st François-de-Paule au niveau de la Place de la Révolution Française, vous êtes à deux pas de la porte qui fermait le call de Perpignan au XIIIe siècle. Une porte qui, tout en délimitant le périmètre du call, les protégeait surtout de la fureur catholique qui s’exerçait à l’envie sur la communauté juive. Ensuite, monter la rue en direction de la Place du Puig, puis, bifurquer vers le Couvent des Minimes, vraisemblablement construit sur l’ancienne synagogue en 1575, et terminer sur la rue de l’Académie pour avoir une situation à peu près lisible de ce qu’était ce » ghetto » durant le Moyen âge central.
Dégager les lépreux, surveiller les juifs
La situation politique au XIIIe siècle, pour les deux comtés du Roussillon et de Cerdagne, dépendait alors du royaume d’Aragon, c’est-à-dire du comté de Barcelone. C’est donc sous Jacques 1er, roi d’Aragon, qu’il fut décidé de regrouper l’aljama (communauté juive) de la ville, en un lieu unique pour mieux les canaliser et donc les surveiller. Rien de neuf. Narbonne, Béziers, Montpellier, Gérone, Barcelone, Besalu et l’Ampurda avaient procédé de la sorte. Avec toute la probité d’un grand roi, Jacques 1er exigea de les mettre en bas du Puig, là où se trouvait la maison des lépreux. Charmant. Les lépreux dégagés, laissèrent donc la place à d’autres indésirables, mais quand même très utile pour les bourgeois de la ville. Les juifs, pour leur plus grand bonheur, étaient donc pris en tenaille entre deux églises et les nouveaux quartiers chrétiens qui poussaient hors de l’enceinte exiguë de la petite cité perpignanaise. C’est le 13 des calendes de mai 1243 qu’ils s’y installèrent. Belle opportunité pour les pareurs de draps, tisserands et autre bourgeois industrieux qui voyaient dans cette arrivée, une nouvelle source de revenu locative non négligeable pour leur bourse à la pingrerie légendaire. Parmi les métiers autorisés pour la population juive, celui d’usurier. étrangement, cela ne posait pas de problème aux moines, chanoines, abbés, pourtant les premiers à les vilipender violemment par la suite, ni dégoût, pour embrasser l’argent des juifs quand ils étaient en difficulté financière, pour solder des sommes qu’exigeait le Pape. On s’aperçoit en creusant un peu, et c’est assez ironique comme situation, que les chanoines de Saint-Jean de Perpignan se servaient des rentes qu’ils possédaient sur les juifs, pour la construction du chœur de l’église.
Expulsion dramatique et définitive
Les dogmes s’effacent bien vite face aux besoins urgents. Pressurée de tous côtés comme des vaches à lait, la population du call à l’inverse de leurs créanciers ne roulait pas sur l’or. Vers le milieu du XIVe siècle, ils étaient proches de l’indigence. Ils empruntaient de l’argent aux chrétiens et par ce stratagème, évitaient l’expulsion, tant que la dette n’était pas honorée. Expulsion dramatique et définitive, qui interviendra en septembre 1493. Laissant tout juste un mois à la communauté pour fuir, sous peine de mort et de confiscation de leur avoir, en vendant ce qui pouvait l’être, mais en laissant or et argent sur place bien entendu. Les dernières familles, embarquèrent sur le quai de Port-Vendres, entassées comme des moutons sur le Santa Maria e Sant Cristofol, voguant vers Naples et Constantinople vers un destin incertain.
Dans les mesures contraignantes et péremptoires que devaient subir les juifs du call de Perpignan, les constitutions de catalogne ont conservé le texte catalan où les juifs devaient prêter serment dans certaines circonstances aux chrétiens. Emprunté au 28e chapitre du Deutéronome (un des cinq livres de la Torah, l’Ancien Testament), le serment, légèrement excessif, accumule tous les malheurs de la terre, sur sa famille, ses biens, sa santé, sur l’avenir, sa postérité, « sa race » et, fait pleuvoir tous les désastres sur son foyer, faisant passer les dix plaies d’Egypte pour de simples punitions pour enfants dissipés. Ainsi, les catholiques maintenaient une emprise encore plus forte sur la communauté juive du call. Amusant, quand on connaît les qualités plus que douteuses de ces mêmes catholiques, qui obligeaient la victime à prêter ce serment inique. Les juifs, pas dupes, ne voyaient en cet acte qu’une simple formalité, n’ayant aucune valeur à leurs yeux.
Thierry Grillet
En ce moment même, et depuis plusieurs mois, la Mairie de Perpignan sur les conseils avisés de Maurice Halimi, planche, sous la forme d’un Comité Scientifique, sur l’évaluation, la pérennité, la transmission et le futur du call de Perpignan dans un parcours historique digne de ce nom, à l’instar de sa voisine géronaise. Des échanges sont d’ailleurs en cours et prévus dans les mois qui viennent, avec l’Institution du Musée de l’Histoire Juive de Gérone. Des fouilles devraient être prochainement programmées pour continuer ce travail de recherche difficile en raison de la complexité des lieux. On espère donc, que des figures comme celles d’Isaac l’Aveugle à Narbonne ou Nahmanide (dessin N/B, et voir l’Indépendant du 3 juillet 2022) à Gérone, pourront émerger de ces travaux. Pour marquer, comme ce fut le cas avec le rabbin perpignanais Menahem Hameïri dit Le Meïri, commentateur éclairé du Talmud, une étape décisive dans la transmission de cette histoire si importante en Méditerranée, par son savoir, sa sapience et son apport intellectuel indéniable.