Société civile, armée, tech : en Israël, la contestation sur tous les fronts

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Face à l’obstination du gouvernement de Benyamin Nétanyahou, la mobilisation contre la très controversée réforme de la justice tient bon et s’étend de la rue aux milieux plus institutionnels.

Le temps passe et la contestation ne faiblit pas – au contraire, elle se durcit. Mercredi, lors d’une nouvelle et massive manifestation à Tel-Aviv, les policiers ont chargé la foule à cheval et fait usage de grenades assourdissantes, notamment quand des protestataires ont fait le siège d’un salon de coiffure où se trouvait… Sara Nétanyahou, la femme du Premier ministre. Benyamin Nétanyahou a comparé les manifestants aux colons qui ont attaqué la ville palestinienne de Huwara, ce qui électrise encore plus les esprits. Plus de 50 manifestants ont été arrêtés – alors qu’ils étaient à peine une dizaine parmi ceux qui ont saccagé Huwara.

«Terrible abysse»

«Une guerre civile s’annonce et la coalition y court tout droit, les yeux grand fermés», a déclaré l’opposant et ancien ministre de la Défense Benny Gantz. Le président Isaac Herzog s’inquiète que le pays «s’enfonce dans un terrible abysse», alors que la majorité des Israéliens sont contre le projet controversé de réforme judiciaire. Selon un sondage de l’Israeli Democratic Institute, 66 % d’entre eux pensent que la Cour suprême doit pouvoir retoquer une législation incompatible avec les lois fondamentales du pays.

La contestation s’organise aussi dans des milieux plus institutionnels, à commencer par l’armée. Dans une lettre ouverte publiée la semaine passée, des officiers et des soldats de la Division des opérations spéciales du renseignement militaire ont menacé de ne pas se mobiliser si le gouvernement persiste à faire avancer sa réforme de la justice. Ces militaires sont les derniers d’une longue liste de pilotes, tankistes, marins et sous-mariniers qui ont exprimé les mêmes inquiétudes. Début février, des centaines de réservistes et d’anciens combattants ont effectué une marche de trois jours jusqu’au siège de la Cour suprême, à Jérusalem. Ils ont été rejoints par un ex-chef du Mossad, Tamir Pardo, et un général de division à la retraite, Tal Rousso.

Démissions en cascade

Côté administration, des figures comme Avichaï Mandelblit, ex-procureur général et ancien confident de Nétanyahou, a affirmé que cette réforme «aboutira à priver de toute forme d’indépendance le pouvoir judiciaire israélien». Tandis que les démissions se succèdent, comme celle d’Alon Ushpiz, ancien directeur général du ministère des Affaires étrangères, ou encore l’ex-ambassadrice d’Israël à Paris, Yael German. Le dernier scandale en date concerne la Bibliothèque nationale, une institution indépendante qui pourrait voir les membres de son conseil d’administration choisis par le gouvernement, selon un projet de réforme. Or son recteur actuel, Shai Nitzan, n’est autre que l’ancien procureur de l’Etat à l’origine du procès de Nétanyahou.

Autre camp qui se mobilise, et non le moindre, le secteur des nouvelles technologies. Pour eux, l’insécurité juridique engendrée par la réforme judiciaire pourrait dégrader l’image d’Israël comme un pays ouvert à l’investissement – l’œuvre, en partie, de Nétanyahou qui, par ses réformes ultralibérales, a permis d’en faire un tigre de la high-tech. Ils sont rejoints par des centaines d’économistes, qui ont publié ce jeudi une nouvelle lettre avertissant que la fuite des capitaux avait déjà commencé. La réforme judiciaire passera peut-être, mais dans la douleur.

par Samuel Forey

Source liberation