Benyamin Nétanyahou en terrain conquis à Paris

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Le Premier ministre israélien entame ce jeudi, et pour trois jours, sa première visite en France depuis son retour au pouvoir en novembre. Il doit rencontrer Emmanuel Macron qui ne cesse d’affirmer un soutien ferme à Israël.

C’est la première visite en Europe de Benyamin Nétanyahou depuis son retour aux affaires – et c’est une surprise. Le voyage, qui va durer jusqu’au 4 février, aurait été arrangé lors de son dernier échange téléphonique avec Emmanuel Macron, suite à l’attentat de Jérusalem qui a fait 7 morts le 27 janvier. Le président français avait condamné dans un communiqué un «attentat abject», mais l’objet de la rencontre, jeudi, se concentrera sur le renforcement des accords d’Abraham, cette alliance entre Israël et certains Etats arabes. Mais surtout, comme le confie un interlocuteur souhaitant rester anonyme, on parlera de «l’Iran, l’Iran et l’Iran», l’une des principales antiennes du Premier ministre israélien, répété sans lassitude depuis vingt ans. Avec le rapprochement de plus en plus net de Téhéran et Moscou, l’ère du dialogue et d’un éventuel accord sur le nucléaire iranien semble révolue.

Envers et contre tout

Benyamin Nétanyahou, qui n’a jamais voulu d’un tel traité, aura beau jeu de montrer que «les intérêts des grandes puissances et d’Israël convergent. En plus de l’arme atomique, l’Iran est le seul pays d’envergure engagé ouvertement auprès de la Russie. Cette alliance menace directement les Européens via l’Ukraine, à cause des drones suicides de Téhéran en échange d’avions de chasse, voire de missiles hypersoniques russes», explique Olivier Rafowicz, colonel de réserve de l’armée israélienne et chercheur au Jerusalem Institute for Strategy and Security. Tsahal, qui mène des opérations sur des intérêts iraniens depuis de nombreuses années, a acquis une connaissance de son ennemi qu’elle peut faire valoir auprès d’alliés occidentaux. «La France est perçue à présent comme la locomotive de l’Europe. Elle peut jouer un rôle important pour faire entendre notre voix», reprend le chercheur.

C’est ce que Benyamin Nétanyahou a affirmé dans une interview à CNN mardi : Israël «agit d’une manière, que je ne détaillerai pas ici, contre les productions d’armes utilisées contre l’Ukraine». Une façon de maintenir la position de neutralité, envers et contre tout, vis-à-vis de la Russie. Attaquer Téhéran, c’est aussi attaquer le «partenaire principal» de Moscou – sans pour autant trop froisser Poutine. Le Wall Street Journal a opportunément révélé que les frappes sur Ispahan, le week-end dernier, auraient visé un site de production de drones Shahed.

Nétanyahou devrait aussi, via Macron, s’employer à rassurer ses partenaires occidentaux, inquiets de voir la coalition la plus à droite de l’histoire du pays procéder à une refonte radicale du système judiciaire israélien – voire au démantèlement de l’Etat de droit, pour l’opposition israélienne, qui organise chaque samedi d’immenses rassemblements dans tout le pays.

Un soutien ferme à Israël

Le président français, qui avait montré une entente privilégiée avec Yaïr Lapid, l’ancien Premier ministre de centre droit, a aussi été l’un des premiers leaders occidentaux à appeler Benyamin Nétanyahou pour le féliciter de sa victoire aux élections, en novembre. Admirateur avoué de la «start-up nation», il s’inscrit depuis le début de son mandat dans un soutien ferme à Israël, qui laisse parfois oublier une colonisation galopante et des raids de l’armée toujours plus agressifs contre une nouvelle génération de militants en Cisjordanie occupée. L’année 2022 a été la plus meurtrière depuis la Seconde Intifada, pour les Palestiniens — quelque 150 tués, selon l’ONU. Et l’année 2023 commence mal, l’armée ayant tué neuf personnes à Jénine, la veille de l’attentat de Jérusalem. Les partenaires suprémacistes membres de la coalition gouvernementale, qui ont la haute main sur l’administration des Territoires palestiniens, laissent présager pire encore.

«Dans les alliés internationaux de Benyamin Nétanyahou, Macron n’est pas le premier nom qui vient à l’esprit. Mais il veut montrer qu’il a la main sur la politique étrangère israélienne et que ses associés d’extrême droite sont sous contrôle. Il va garantir que le statu quo sur les lieux saints à Jérusalem sera maintenu, et qu’il n’y aura pas d’annexion de la Cisjordanie», analyse Gil Murciano, directeur de l’institut de relations internationales Mitvim. Le Premier ministre israélien s’est empressé de rappeler ces fondamentaux au roi de Jordanie Abdallah II, normalement gardien des lieux saints, pour sa première visite à l’étranger, le 24 janvier. Un geste exceptionnel pour Nétanyahou, qui s’est ingénié de nombreuses années à ignorer son voisin. Elle a précédé une visite du Secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, qui a lui aussi eu à cœur de calmer les ardeurs des Israéliens les plus radicaux. Entre pressions internationales et tensions internes, la marge de manœuvre de Benyamin Nétanyahou semble de plus en plus étroite.

par Samuel Forey