Attentats à Jérusalem : «Tous les mauvais souvenirs remontent»

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Frappée par deux fusillades, dont l’une a fait sept morts israéliens vendredi près d’une synagogue, la Ville sainte oscille entre l’indignation et la crainte d’une nouvelle intifada.

Dans le quartier de Neve Yaakov, un homme, béret sur la tête, s’attarde devant la synagogue où la fusillade mortelle de vendredi soir a eu lieu. Sur un petit muret, il y a des bougies, presque toutes éteintes, et quelques fleurs. «Je suis venu spécialement de Petah Tikva [au nord-est de Tel-Aviv, ndlr], en hommage», soupire Haim Ben Simon, 76 ans, parfaitement francophone. Il lit patiemment une affiche où il est écrit, en hébreu, que la synagogue sera renommée au nom des victimes. A-t-il peur depuis les deux fusillades ? «Si c’était le cas, je ne serais pas là, rétorque-t-il sèchement. C’est Jérusalem, c’est chez nous. J’ai confiance en mon gouvernement et en Nétanyahou : cet homme-là a de l’expérience ! Même si je me considère un peu plus à droite que lui.» Il ajoute avec un clin d’œil qu’il a voté aux dernières législatives pour Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité intérieure et figure de l’extrême droite, qu’il apprécie pour «sa fermeté».

A côté de la synagogue, le parc pour enfants aux toboggans multicolores est désert. Tout est anormalement calme dans cette petite colonie israélienne, l’une des premières de Jérusalem-Est, partie de la ville annexée par Israël depuis 1967, bien plus religieuse et paupérisée qu’idéologique. Yocha Israël, la soixantaine, qui habite ce quartier où les immeubles de pierre se ressemblent tous, précise ne plus se sentir en sécurité nulle part depuis vendredi. «Tout le monde me paraît suspicieux, j’ose à peine sortir de chez moi», explique-t-elle, cheveux et ongles rouge vif, haussant les épaules. Encore sous le choc, elle raconte ce fameux soir : il était 20 heures lorsqu’un Palestinien de 21 ans – Khayri Alqam – a garé sa voiture et visé des fidèles à la sortie de la synagogue, juste après la prière du Shabbat. Yocha, qui habite juste en face, est sortie après avoir entendu les détonations. «J’ai vu des atrocités. L’assaillant a tiré sur certains de mes très bons amis, en plein dans la tête. Il a essayé ensuite de tirer sur mon mari, mais heureusement il ne lui est rien arrivé. En 2002, à Jérusalem, mon frère et sa femme ont été tués… Depuis, tous ces mauvais souvenirs remontent.» A certains, ces deux fusillades rappellent l’époque sombre de la seconde intifada (2000-2005). «J’ai peur que ce qui est arrivé il y a vingt ans soit en train de recommencer», confie Mickey Levy, député de l’opposition et ex-président de la Knesset sous le gouvernement de Yaïr Yapid.

«Mettre fin à cet apartheid»

Le soir de l’attaque, aux sirènes des ambulances et de la police se mêlait un concert de klaxons, pétards et feux d’artifice, ceux des Palestiniens des quartiers de Jérusalem-Est adjacents – Beit Hanina, Shuafat, Al-Ram – célébrant l’attaque, comme dans le reste de la Cisjordanie ou dans la bande de Gaza, provoquant encore plus d’indignation et de rage chez les Israéliens en deuil. «Ça me déprime de voir que notre société est tellement blessée et cassée qu’on en arrive à pouvoir célébrer la mort de cette manière», grimace une jeune Palestinienne de Jérusalem. «La mort est atroce, pour tout le monde. Mais que voulez-vous attendre d’un adolescent qui a vécu toute sa vie sans espoir et sous un régime colonisateur hostile ? Qu’il apporte des fleurs ? Non, ce jeune ne sait même pas à quoi ressemblent les fleurs, lance un autre Palestinien, 35 ans, de Beit Hanina, qui préfère garder l’anonymat. Malheureusement, nous sommes ceux qui vont payer le prix de cette attaque. Le seul moyen de stopper tout cela, ce n’est pas de faire encore plus de répression, c’est de mettre fin à cet apartheid dans lequel nous vivons.»

«Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas une surprise, analyse de son côté Daniel Seidman, avocat israélien et spécialiste de la Ville sainte, membre du mouvement anticolonisation Terrestrial Jerusalem. La vraie question, c’est de savoir si ce que nous avons vécu ce week-end n’est qu’une secousse ou un véritable séisme. Cette vague sera difficile à endiguer et cela devra passer par deux choses : soit par un vrai processus politique qui, en ce moment, n’a aucune chance d’émerger, soit par une flambée de violence.»

Politique de «la main forte»

Dans le quartier de Silwan, de l’autre côté de la vieille ville, à la vue imprenable sur le dôme noir de la mosquée Al-Aqsa, l’ambiance est encore lourde. C’est ici qu’a eu lieu la seconde fusillade samedi vers 11 heures, lorsqu’un Palestinien de 13 ans, Muhammad Aliwat, a tiré sur des passants, blessant deux Israéliens, un homme de 47 ans et son fils de 23 ans. Au sol, il reste des traces de sang et sur une Toyota grise, des impacts de balles. Le niveau d’alerte de la police israélienne a été renforcé au degré le plus élevé. Dans ces ruelles escarpées de Silwan s’entassent près de 60 000 Palestiniens – dont une grande partie sont menacés d’être déplacés – vivant au milieu de plus de 500 colons. Ces derniers rachètent les maisons une à une, légalement, assistés par des organisations religieuses et extrémistes richement dotées qui utilisent des prête-noms. Puis y vivent barricadés, drapeau israélien sur le toit au milieu des habitations palestiniennes, créant d’inévitables tensions. Les incursions de la police ne sont pas rares dans le quartier, tout comme les arrestations, les avis d’éviction ou les démolitions de maisons. Plus loin dans le même quartier, une famille palestinienne reçoit des proches venus présenter leurs condoléances : leur fils, Wadih Abu Ramuz, 16 ans, a succombé la veille à ses blessures après une confrontation avec la police.

Il faut dire que depuis sa nomination, le gouvernement a choisi d’appliquer une politique de «la main forte», une ligne dure avec une volonté de frapper fort. L’année 2022 a été l’une des plus meurtrières depuis plus d’une décennie, et 2023 ne semble pas inverser la tendance : 34 Palestiniens ont déjà perdu la vie depuis le début de l’année et ces derniers jours, la tension est encore montée d’un cran. Ce dimanche encore, à proximité de Qalqilya en Cisjordanie, un Palestinien de 18 ans a été abattu par un agent de sécurité de la colonie de Kedumim. Les appels au calme lancés depuis les capitales étrangères se multiplient mais résonnent dans le vide.

par Alice Froussard