Manifestation d’avocats, lettre ouverte de procureurs, discours de la présidente de la Cour suprême : toute l’institution judiciaire prend la parole contre la réforme de la justice annoncée par le gouvernement de Benyamin Netanyahu, avant une manifestation samedi que l’opposition espère forte.
On ne compte plus dans la presse les appels à se mobiliser contre la réforme judiciaire défendue par le ministre de la Justice, Yariv Levin, depuis la présentation de son contenu la semaine dernière. La réforme prévoit notamment deux changements qui touchent directement à l’équilibre des pouvoirs et à l’indépendance de la justice.
Il y a d’abord le renforcement du pouvoir de la Knesset au détriment de la Cour suprême, la plus haute juridiction d’un pays dans de nombreuses démocraties (l’équivalent du Conseil constitutionnel en France), la seule instance capable d’invalider des lois votées par le Parlement. Si la réforme passe, les députés, avec un vote à la majorité simple, pourraient annuler une décision de la Cour suprême. L’autre point sensible de la réforme concerne la modification du processus de nomination des juges, nommés actuellement de façon concertée par des magistrats, des avocats et des députés. Là aussi, il s’agit de donner plus de poids au pouvoir politique dans leur nomination.
Dès l’annonce de la réforme, les critiques ont fusé de toute part contre un projet jugé « dangereux ». Et la journée d’hier, comme on peut le lire dans la presse israélienne, a été particulièrement forte en mobilisation, avec tout d’abord, une lettre ouverte signée par d’anciens procureurs se disant convaincus que la réforme menace de détruire le système judiciaire, puis, fait rare nous dit Haaretz, une manifestation de plusieurs centaines d’avocats devant un tribunal de Tel-Aviv.
«La Cour suprême nous protège tous», pouvait-on lire sur des pancartes brandies devant le tribunal du district de Tel-Aviv, où des avocats scandaient «Honte, honte!» et «Nous ne laisserons pas faire». «La nomination des juges sera politique. Les tribunaux ne seront pas indépendants mais contrôlés par les politiciens», s’est inquiétée Maître Orna Sher, 66 ans. «C’est dangereux car les réflexions des politiciens sont guidées par l’intérêt de leurs propres partis et non ceux de l’ensemble de la population», a-t-elle ajouté, s’alarmant d’une séparation défaillante des pouvoirs, pourtant «indispensable à la démocratie».
Et enfin, encore plus rare, un discours de la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, sortie du silence qui s’impose habituellement aux juges quand il s’agit de politique. « Les promoteurs de la réforme disent qu’elle est là pour réparer le système judiciaire, et je dis que c’est un plan pour écraser le système judiciaire. Il est conçu pour porter un coup fatal à son indépendance et en faire une autorité silencieuse« , a-t-elle lancé très solennellement, avant de démonter point par point les accusations du gouvernement contre l’institution judiciaire.
Un discours qui divise la presse ce matin. A droite : c’était une prise de parole « dramatique » et « rude » pour Maariv et une « attaque sans précédent » contre le projet de Yariv Levin, selon Yediot Aharonot. A gauche : une « claque » donnée au ministre de la Justice pour Haaretz. Yariv Levin a d’ailleurs réagi rapidement hier soir, accusant Esther Hayut de lancer un appel à l’émeute. Une façon de dénigrer avant l’heure, la nouvelle grande manifestation qui doit avoir lieu samedi soir à Tel Aviv où l’opposition espère plusieurs dizaines de milliers de personnes rassemblées derrière le mot d’ordre « combattre le coup d’Etat ». « Manifestez maintenant« , appelle d’ailleurs Haaretz son éditorial de ce matin sur le site.