Raphaël Jerusalmy : « Il ne faut jamais s’arrêter d’écrire sur la Shoah »

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Raphaël Jerusalmy, romancier depuis une dizaine d’années, a présenté son dernier opus au Centre régional d’Histoire de la résistance et de la Déportation de Castelnau-le-Lez.

Parlez-nous de votre parcours atypique

Une vie en zigzag, on peut dire. J’étais un petit Parisien juif de la Butte Montmartre qui avait fait son jardin d’enfants chez les bonnes sœurs du Sacré-cœur. Elles enseignaient à lire et écrire dès l’âge de 3 ans. Mon père venait de Turquie et ma mère de Russie, avec un lourd fardeau de la Shoah puisque la famille turque sépharade a été exterminée à Auschwitz. Mon père était le seul survivant. Ils étaient passés en Suisse mais le pays avait atteint son quota de 30 000 juifs à accueillir et ils les ont livrés à la milice de Vichy.

Ce passé lourd ne vous a jamais quitté ?

Il a été l’objet de certains de mes livres, bien sûr. Mais bien avant, quand beaucoup de jeunes ont été marqués par mai 68, moi je l’ai été par la Guerre des six jours en 67. Devant les images des soldats de Tsahal qui se battaient dans le désert, j’étais comme un gamin qui veut devenir cow-boy ou astronaute. J’ai dit : « je veux être ça ».

Vous aviez pourtant un destin de lettré ?

Je suis sorti diplômé de Normale SUP et la Sorbonne à la fin des années 70 mais c’était une époque où je fréquentais aussi les boîtes punks déjantées tout en apprenant le judaïsme dans un centre d’études juif. Dès que j’ai pu, je me suis engagé dans l’armée. Pas par conviction religieuse mais par goût du baroud et de l’aventure. Mes parents qui étaient des migrants, étaient désespérés de me voir partir. Mon père pensait qu’être juif ne servait plus à rien suite à la Shoah, il voulait oublier tout ça.

Vous vous engagez dans l’armée israélienne à 23 ans, mais pour faire quoi ?

J’ai vite intégré les services de renseignements. A part l’espionnage traditionnel, j’étais officier de liaison pour collaborer en secret avec d’autres services de renseignements, surtout en Amérique latine. Je me suis retrouvé dans la jungle ou prenant le café avec Augusto Pinochet.

Des voyages le plus souvent sous de fausses identités. Je pouvais me retrouver un jour à Bogota en jeans avec un petit sac de voyageur anodin et le surlendemain en Equateur avec costume et cravate pour participer à une rencontre de marchand de canons. J’adorais ça. Le summum a été de passer à ce même genre de travail avec les pays arabes dont la Palestine. J’ai été une des petites mains qui a construit la paix avec la Jordanie. Il y avait une volonté de part et d’autre, ça a facilité la tâche. J’aurais pu tuer Yasser Arafat deux fois !

Quand on lui demande d’évoquer le moment le plus fort de ses missions d’infiltration pour l’armée israélienne, Raphaël Jerusalmy évoque sans hésiter ses rencontres avec Yasser Arafat, leader palestinien de l’époque : « Lorsqu’Arafat, considéré comme le terroriste numéro un à l’époque, est en exil à Tunis, les accords d’Oslo passés entre Israéliens et Palestiniens lui permettent de revenir d’exil vers la bande de Gaza. C’est le retour glorieux de l’enfant prodigue. Mon rôle est diplomatique et officiel : je dois ouvrir la barrière dans le désert du Sinaï entre l’Egypte et Gaza quand Yasser Arafat passe.

Le premier ministre israélien de l’époque, Yitzhak Rabin, ne voulait pas de grande fanfaronnade autour de ce retour et il était convenu qu’Arafat passe très vite et que les festivités auraient lieu dans Gaza. Il n’y avait donc ni public, ni médias, ni membres de l’armée israélienne près de cette barrière. « J’étais seul à soulever une barrière devant la Mercedes d’Arafat, raconte Raphaël Jerusalmy. La voiture s’arrête et en sort une équipe de tournage pour immortaliser ce moment. Arafat embrasse la terre sainte en criant Allahu Akbar. Il me présente alors son postérieur. J’étais quand même armé et c’était une cible toute choisie…

Mais sa mission ne s’arrête pas là : « Je devais être l’Israélien infiltré en jeans et baskets, au sein de la délégation d’Arafat dans Gaza. Seules deux personnes de la sécurité palestinienne savaient qui j’étais. Je l’ai suivi dans son somptueux hôtel à Gaza City. C’était la liesse totale. Je me suis retrouvé aussi seul avec lui dans sa chambre, un court moment mais avec pour seule arme un bouquet de fleurs à la main. Tout ça pour dire combien les situations dans lesquelles je me suis retrouvé étaient parfois cocasses.

Vous avez mené ces missions pendant combien de temps ?

Une quinzaine d’années, de 1980 à 1996. Je me suis arrêté après un incident qui m’a fait dire qu’il était temps de dire stop. Je ne peux pas en dire plus.

Quel regard portez-vous sur la situation entre Israéliens et Palestiniens ?

Je suis un optimisme. J’ai foi en l’homme. Je ne me glorifie aucunement des accords d’Abraham. On a actuellement une coupe du monde honteuse au Qatar. Je pense qu’avoir signé avec les Emirats et Bahrein, ce n’est pas glorieux non plus. D’un autre côté, on ne choisit pas ses voisins et Israël est entouré de dictatures. Il vaut mieux être en paix qu’en guerre avec elles. Le problème, c’est que la cause palestinienne n’est plus une cause nationale de libération. C’est devenu une cause djihadiste, salafiste.

Au départ, Arafat n’était pas tellement religieux. C’était un indépendantiste de gauche qui avait fait sa formation en Russie soviétique. Aujourd’hui, malgré une diffusion énorme de la haine sur les réseaux sociaux, la grande majorité des Palestiniens sont pour la paix.

Beaucoup s’en prennent encore aux colons ou à l’armée…

Certains sont désespérés et se sentent trahis. Ils en veulent à l’occupant sioniste, certes, mais aussi à leurs propres dirigeants qui les laissent tomber. Le président de l’autorité palestinienne vient de se rendre au Qatar où il est logé avec sa délégation dans un palace 5 étoiles. Le coût de ce voyage doit représenter deux écoles dans deux villages palestiniens. Cette génération de dirigeants de la vieille école doit dégager si on veut faire avancer les choses.

Mais Israël ne fait-il pas du réchauffé avec le retour de Netanyahou ou pouvoir ?\

C’est clair. Netanyahou c’était très bien au moment où il a été Netanyahou. Là, ce n’est pas le bon moment, surtout avec une extrême droite raciste. Il faudrait les remplacer par des générations plus ouvertes, moins politiciennes. Je pense en Israël à Yaïr Lapid, plus modéré même s’il a mené des opérations militaires contre le Hamas. Toute la couche sociale des professions libérales palestiniennes incarne cette génération qui travaille déjà main dans la main avec les Israélien pour pouvoir exister à l’international.

A cause des attentats, on oublie qu’il y a 450 000 Israéliens qui côtoient au jour le jour 2 millions de Palestiniens, qu’ils font leurs courses dans les boutiques palestiniennes tandis que les ouvriers palestiniens travaillent dans les implantations israéliennes. En vérité, si tout le monde était à couteau tiré, on aurait déjà des dizaines de morts par jour.

Vous êtes venu à l’écriture de romans pour évoquer tout cela ?

Je me suis lancé en 2012 surtout pour m’amuser. « Evacuation » est une lettre d’amour à Tel Aviv, une ville pas très jolie mais très gaie. J’imagine un conflit qui fait que l’armée l’évacue en raison d’une menace. Un grand-père, son petit-fils et son amie refusent d’évacuer et restent dans Tel Aviv désertée.

Votre dernier livre évoque aussi les camps de concentration ?

J’ai été Interpellé par une cette atroce histoire concernant 100 squelettes commandés par un professeur SS dans un camp de concentration français, le Struthof, destiné aux résistants. A Auschwitz, 100 personnes ont été sélectionnées pour aller dans ce camp et être transformés en squelette. C’est « encore » un livre sur la Shoah mais ce « encore » ne me gêne pas du tout. Je considère qu’il ne faut jamais s’arrêter d’écrire sur la Shoah.

Pour moi, la mémoire n’est pas un bon terme pour la Shoah. La mémoire, c’est du passé, un souvenir. Auschwitz ne doit pas être enfermé dans le passé mais doit rester très vivant. Il y a aujourd’hui chez les jeunes une ignorance assez inquiétante de ce qui s’est passé. Nous sommes fautifs.

Vous notez un retour en force de l’antisémitisme ?

Ce n’est pas un retour, il a toujours été là mais c’est plus voyant avec les réseaux sociaux. Je suis là aussi optimiste. Je n’ai pas l’impression que les antisémites soient majoritaires. Mais si on ne fait pas gaffe, ce n’est pas seulement la hausse de l’antisémitisme qu’il faut craindre, c’est la démocratie tout entière qui va s’écrouler.

In Absentia, une belle rencontre dans l’enfer des camps

Raphaël Jerusalmy a présenté son dernier roman au Centre régional d’Histoire de la Résistance et de la Déportation, à Castelnau-le-Lez. Publié chez Actes Sud, In Absentia voit l’essentiel de son action se dérouler dans le camp de concentration du Struthof, en Alsace, pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le héros principal, un résistant français communiste déporté est aussi écrivain, issu de la petite bourgeoisie. L’autre destin est celui d’un flamboyant juif parisien, qui assume son homosexualité, fréquente la coupole et les surréalistes. Il fait partie des cent déportés choisis pour être rapatriés au Struthof et fournir cent squelettes à un professeur SS pour ses cours de médecine.

Le livre balance entre les destins parallèles de ces deux hommes, raconte l’auteur. L’un se réfugie dans l’imaginaire, l’autre dans l’art, jusqu’au point culminant. Leur rencontre brève mais intense dans le camp. Rencontre dont la simplicité et l’humanité sublime tout ce qu’il y a dans le livre. L’allumette qui éclaire le noir.

Actes Sud, 176 Pages, 17 euros

Source midilibre