David Teboul, qui a consigné pendant vingt ans les souvenirs de déportation de Simone Veil, revient sur le destin d’une famille hantée par la seconde guerre mondiale, à travers un documentaire et un livre.
A la télévision dimanche 9 octobre, au cinéma le 12, en librairie le 13… Cinq ans après sa mort, en juin 2017, Simone Veil revient par plusieurs chemins dans l’actualité.
Le réalisateur Olivier Dahan a choisi de porter à l’écran sa vie de combats dans Simone, le voyage du siècle, avec Elsa Zylberstein. La comédienne a expliqué qu’elle avait préparé le rôle pendant presque un an, apprenant notamment à « parler Simone » avec des professionnels de l’initiation aux langues étrangères. L’intonation si particulière de cette femme hors du commun a toujours fasciné un autre cinéaste, David Teboul. Il signe Simone et ses sœurs, un recueil de textes inédits et de photos jamais publiées présenté sous une double forme : un documentaire pour France 5 (le 9 octobre) et un livre aux éditions Les Arènes.
De quoi mettre en lumière le travail de ce quinquagénaire qui a croisé la route de Simone Veil pour la première fois un soir de 1979. A l’époque, il a 12 ans, il vient de regarder la série Holocauste aux « Dossiers de l’écran » et il écoute cette invitée en robe lavallière vert amande évoquer très calmement son expérience dans un camp de concentration où, dit-elle alors, « nous étions devenus de véritables bêtes ». « J’étais subjugué, se souvient-il. Je viens d’une famille de juifs sépharades d’Algérie et aucune des femmes de mon entourage ne ressemblait à Simone Veil. J’ai regardé l’émission jusqu’à la fin alors que j’avais cours le lendemain. »
Une longue conversation
David Teboul grandit dans l’obsession de rencontrer Simone Veil, pour l’écouter encore et encore parler d’Auschwitz-Birkenau, où elle a été déportée avec sa mère, Yvonne Jacob, et sa sœur Madeleine en avril 1944.
Il a 30 ans quand il se décide enfin à l’appeler, en 1997, pour la convaincre de témoigner devant une caméra. Elle refuse, puis finit par céder devant son insistance : « Mais qu’est-ce qui vous intéresse ? » « Votre chignon », répond-il sans réfléchir. « Elle m’a parlé de ses cheveux au camp, de l’importance de n’avoir pas été complètement rasée quand elle est arrivée à Auschwitz. Voilà comment a commencé ma relation avec Simone Veil. »
Leur conversation dure vingt ans, jusqu’à la mort de l’ancienne déportée. Vingt années au cours desquelles il l’enregistre longuement, uniquement sur son expérience concentrationnaire : « La ministre, Giscard d’Estaing, Chirac, ça ne m’intéressait absolument pas. Je suis convaincu que quand on a vécu Auschwitz, tout le reste est accessoire. »
Plus tard, David Teboul rencontre Denise Vernay, une des sœurs de Simone Veil, membre actif d’un réseau de résistance, déportée à Ravensbrück après avoir été arrêtée à Lyon.
Il filme les deux sœurs ensemble, les écoute raconter la déportation et mêler leurs souvenirs d’enfance autour de vieilles photos. Leur père, André Jacob, est un ancien combattant de 1914-1918, leurs arrière-grands-parents ont connu les guerres napoléoniennes. Aux yeux de David Teboul, la famille Jacob, juive, républicaine, laïque, qui porte la mémoire de la Shoah et celle de la Résistance, « tisse un pan du récit national français ».
Le 1er juillet 2018, artiste invité pour accompagner l’entrée de Simone Veil au Panthéon, il diffuse dans les haut-parleurs de la rue Soufflot le silence de l’aube à Birkenau, qu’il a passé une nuit à enregistrer. En 2019, il publie L’Aube à Birkenau (Les Arènes), récit de déportation, témoignage de Simone Veil vendu à plus de 150 000 exemplaires, puis, en 2021, La Vie après Birkenau (Pocket).
Albums de famille
Simone, Denise – il manquait une voix dans les archives de David Teboul : celle de Madeleine Jampolsky, l’aînée des sœurs Jacob. Madeleine dite « Milou », la responsable, la raisonnable, qui soutenait la petite Simone quand elle se battait à coups de pied, de griffes, de tirage de cheveux avec Denise ou avec Jean, l’unique garçon de la fratrie.
Déportée avec Simone et leur mère, Yvonne, Milou assiste à la mort de cette dernière, emportée par le typhus. Quelques semaines après son retour, en août 1945, elle jette des mots sur le papier pour ne pas oublier. Dans un texte poignant, Milou transforme l’agonie maternelle en expérience ultime de la déshumanisation à travers la pantomime tragique de deux ombres décharnées, « Mère » et « Fille ». Ce texte, Simone Veil l’a conservé toute sa vie, bien après la disparition de Milou, cette compagne de l’indicible, morte dans un accident de voiture en août 1952.
« N’oubliez pas Milou », a souvent demandé Simone Veil au cours des longues heures d’entretien avec le cinéaste. « Milou est encore vivante en ceux qui l’ont connue et aimée. Comment restera-t-elle vivante quand nous aurons disparu ? », s’interroge de son côté Denise Vernay. Alors, pendant deux ans, avec les enfants de Simone et ceux de Denise, David Teboul a choisi parmi les clichés familiaux les plus emblématiques de l’insouciance de l’enfance.
Il a vu les dernières photos prises par Jean, déporté à 19 ans avec son père, André, par le convoi 73 du 15 mai 1944 et assassiné en Lituanie. Il a lu la correspondance des trois sœurs, le journal intime de Milou. Simone et ses sœurs parle des rêves fracassés par la Shoah et aussi de la brutalité du destin, de la fin du monde ancien, de la solitude et de la force des liens. Une autre manière de raconter, encore, toujours, la femme qui l’a presque ensorcelé il y a plus de quarante ans.
Simone Veil et ses sœurs – Disponible en replay sur france5 jusqu’au 16/02/2023