Beate et Serge Klarsfeld : « Combattre l’extrême droite est difficile »

Abonnez-vous à la newsletter

La mairie de Berlin et le Musée de la terreur de Berlin consacrent une exposition au célèbre couple « chasseur de nazis », les époux Klarsfeld. Beate est berlinoise et fille d’un ancien soldat de la Wehrmacht. Juif français, Serge a perdu son père dans les camps d’Auschwitz. Ils étaient à Berlin le 9 octobre pour l’inauguration.

La Croix : Beate Klarsfeld, vous êtes connue en Allemagne avant tout comme celle qui gifla le chancelier chrétien-démocrate Kurt Kisienger, en 1968. En quoi ce geste a-t-il changé l’Allemagne ?

Beate Klarsfeld : C’était un geste important car c’est une gifle donnée par une Allemande dont le père était un ancien nazi. En tant qu’allemande, je ne comprenais pas que mon pays se choisisse un ancien propagandiste nazi comme chancelier. Nous avons demandé à ce que Kisienger se retire. J’ai apporté les documents que j’avais trouvés sur lui au Parlement allemand, j’ai parlé devant des universités mais cela n’a rien donné. À l’époque, on ne voulait pas parler du passé. Il a donc fallu trouver des actions spectaculaires.

Au début, très peu ont apprécié cette gifle. Le groupe de presse Springer et la CDU m’ont accusée de « cracher sur les miens ». Cela a changé après. Avec toutes nos actions, avec les procès de Cologne (contre Kurt Lischka, Herbert Hagen et Ernst Heinrichsohn, accusés de la déportation de 70 000 juifs français, NDLR), on a pu un peu changer la société politique allemande.

Serge Klarsfeld : On peut dire que notre action a contribué à ce que l’Allemagne devienne une démocratie. On a aidé Willy Brandt (le chancelier social-démocrate, NDLR) à venir au pouvoir. Ce n’était pas du tout écrit. Lui, puis le chancelier Helmut Schmidt, ont forgé une autre Allemagne. Pendant quelques décennies, on a été efficace.

L’Allemagne d’aujourd’hui fait-elle suffisamment bien son travail de mémoire ?

B. K. : Son travail est formidable, mais l’antisémitisme monte. Cela est lié à la population, à l’immigration. Beaucoup de jeunes venus des pays arabes ont importé la haine contre Israël. Le gouvernement allemand doit agir.L’extrême droite est aujourd’hui aux portes du pouvoir en Italie, en Suède. Elle est également forte en France.

Êtes-vous pessimiste ?

S. K. : En tant que juif survivant de la Shoah, je ne suis pas pessimiste. L’État d’Israël que j’ai connu au début des années 1950 et qui avait 700 000 habitants en a aujourd’hui 7 millions et est un État puissant technologiquement et militairement. Les Juifs ne sont pas dans la même situation qu’il y a quatre-vingt-cinq ans, au début de la guerre. Ils sont tous rassemblés en Occident. C’est important et aucun de ces pays n’a de doctrine antisémite.

Il y a des antisémites, des actes antisémites, des attentats mais les Juifs vivent bien en général. Je ne suis pas pessimiste, mais je sais que l’histoire réserve des hauts et des bas. Nous avons vécu une période tragique, puis une période pacifique avec la construction d’une Europe exceptionnellement prospère et libre. J’espère que ça continuera.

La démocratie est-elle en danger en Europe avec la montée de l’extrême droite ?

B. K. : Oui elle l’est. Combattre l’extrême droite est difficile. Il faut surtout demander aux jeunes d’aller voter. Il y a beaucoup d’abstention aux élections. On l’a vu récemment en Italie. En Allemagne, un parti comme l’AFD a réussi à avoir un groupe important au Bundestag, en très peu de temps. Pour nous, c’est incompréhensible. Les démagogues de droite ou de gauche utilisent la colère des gens. En France, nous essayons de nous engager, de pousser les citoyens à aller voter. Cet engagement doit se poursuivre car, ensuite, il est trop tard et les gens regrettent.

Recueilli par Delphine Nerbollier

Source la-croix