Retour sur la chronologie de l’affaire. Vendredi 29 juillet, Dieudonné annonce en grande pompe via une vidéo sur son site «Quenel +» une tournée avec Bigard pour un spectacle baptisé Foutu pour foutu. Le récidiviste de la haine diffuse même une affiche mettant en scène le duo, grimé en vieux briscards blessés portant des uniformes hétéroclites rappelant les conflits du début du XXe siècle et sur fond d’un champignon d’explosion atomique. La billetterie est ouverte le même jour via le site de Dieudonné avec des places en vente «à partir de» 39,90 euros (ce vendredi, le dispositif était toujours actif). Le tout crédibilisé par la publication sur le compte Instagram de Bigard (77 000 abonnés) du même visuel. Rien par contre sur son compte Facebook (1,2 million d’abonnés), pourtant son principal outil de communication, ni sur son compte Twitter (184 000 abonnés).
«Les garçons se parlent et se tapent dans la main»
Sur ces derniers canaux, à l’inverse, Jean-Marie Bigard réagit très vite, dans la foulée : «Je me suis fait pirater mon compte Instagram, écrit-il le vendredi même. Une personne malveillante publie des grossiers montages dans le but de me nuire. Je ne sais pas comment arrêter ça !» A Libé, il dit soupçonner sa productrice Chrystel Camus, qui avait selon lui accès à ce compte Instagram. Celle-ci dément.
Le lendemain dans la matinée, nouvelle mise au point, toujours sur Facebook et Twitter mais pas Instagram : «Coucou les amis ! Il n’y a pas de spectacle avec Dieudonné ! Tout le monde peut reprendre des activités normales !» Sa productrice contre-attaque via une vidéo publiée sur YouTube où elle l’accuse de mentir à son public. Contactée, Chrystel Camus, qui est par ailleurs l’ancienne productrice de Dieudonné, explique être à l’origine d’un projet qui remonte selon elle à décembre dernier. Elle a lancé l’idée puis «les garçons [Dieudonné et Bigard, ndlr] se parlent et se tapent dans la main, ils commencent à écrire le spectacle», explique-t-elle.
Interrogé par Libération, Bigard ne nie pas avoir été en contact avec l’antisémite multirécidiviste. «C’est un spectacle qui m’avait tenté il y a six ou sept mois et la raison pour laquelle j’étais intéressé par le projet, c’était l’histoire du pardon. On en avait longuement parlé avec Dieudonné qui était d’accord. Pendant un temps, ça m’avait excité de savoir si je ne pouvais pas le faire revenir dans le droit chemin avec des excuses.» Mais ses amis, dont Laurent Ruquier, Laurent Baffie et Elie Semoun le dissuadent, dit-il. Baffie et l’agent de Semoun n’ont pas répondu à nos sollicitations. «J’ai renoncé il y a trois mois et ça a déclenché la colère et la haine de Chrystel Camus et Dieudonné», ajoute le quasi-septuagénaire, qui a enchaîné ces derniers mois propos complotistes antivax et invectives injurieuses.
Gros sous et liquidation
Pour appuyer ses dires, Chrystel Camus nous a fourni un contrat d’exclusivité courant de décembre 2021 à décembre 2023 la liant à Bigard. Il a été signé avec sa société Camus Prod, qui a été mise en redressement à compter de fin janvier 2022 puis placée en liquidation judiciaire le 23 mars. Un avenant, toujours fourni par ses soins, a entretemps transféré les droits de ce contrat à deux autres entreprises : Camus Events, nouvellement créée par la productrice, à hauteur de 1 % et une société britannique baptisée Victoria Prod pour 99 %. «On travaille avec eux depuis des années», dit Chrystel Camus alors que cette entreprise a pourtant été créée en janvier 2022.
Son unique administrateur est un certain Frédéric Fourreaux, le président de… Camus Events. Cette dernière a été enregistrée en avril 2022, soit quatre mois après ledit avenant, et nous avons également pu consulter un document présenté comme un autre avenant par la productrice. Daté du 2 mars 2022, il est signé et tamponné au nom de Camus Prod mais avec le numéro de RCS de Camus Events. Problème : cette dernière entreprise n’a donc été enregistrée que près d’un mois plus tard, date à laquelle lui a été délivré ledit RCS…
Sur la base de ces documents, la productrice clame qu’elle a le droit de lancer ce genre de projets et que Bigard doit remplir ses obligations. Elle assure d’ailleurs que des milliers de billets, 30 000 dit-elle, ont déjà été vendus. «Le Palais des sports de Paris est presque déjà complet.» Contactée, la célèbre salle n’a pas répondu à nos sollicitations, mais sur son site, aucune trace du spectacle. L’événement Holiday on Ice est programmé du 3 au 12 mars 2023, date de la présumée représentation parisienne de Foutu pour foutu. Pourquoi d’ailleurs avoir mis en vente les places via le site de Dieudonné ? «C’était plus rapide», évacue celle qui rétorque qu’elle va ouvrir prochainement des réservations via la Fnac, qui n’assure pourtant plus la billetterie de Dieudonné depuis plusieurs années.
Obsessions antisémites
Ces billets représentent un pactole qu’il va bien falloir que quelqu’un assume si la tournée fait pschitt. Jean-Marie Bigard dit que sa productrice lui réclame 800 000 euros. «Jusqu’à l’ouverture de la billetterie, l’artiste peut changer d’avis mais à partir de cette ouverture, il porte préjudice à son producteur et engage sa responsabilité financière», nous précise une source juridique proche du dossier. C’est ici le point crucial de ce qui prend décidément l’allure d’une affaire de gros sous.
Dieudonné, sollicité via Chrystel Camus, n’a pas souhaité nous répondre. Mais dans une vidéo mise en ligne mardi, il n’est pas tendre avec Bigard et martèle lui aussi qu’il y aura bien une tournée (et qu’il faut acheter les places…). Tout ce barouf ne serait qu’une stratégie, jure-t-il, ressortant ses obsessions antisémites en évoquant des «pressions de la communauté juive» qui feraient que son «ami Jean-Marie» aurait «peur pour sa vie», «peur pour sa fille».
Des propos repris à son compte par Chrystel Camus au téléphone, qui en profite pour cibler la femme de Bigard et sa belle-famille «de confession juive». Tous deux tiennent également le même discours, comme pour se ménager une voie de sortie : si la tournée capote, ce sera la faute des juifs. «De toute façon, Bigard est obligé, il a trop de dettes, il viendra», continue à affirmer Chrystel Camus. Puis de tenter : «Et même s’il ne vient pas, il y aura bien un spectacle avec une présence de Jean-Marie Bigard, puisque Dieudonné de toute façon parlera de lui…»
«Dieudonné va garder l’argent»
L’ancienne productrice de Dieudonné évoque par ailleurs des propos antisémites qu’aurait tenus Bigard dans des conversations privées, nous envoyant pour preuve une foule de messages WhatsApp qui ne démontrent rien de ce type. Dans l’un d’eux, daté du 14 juillet, Bigard lui écrit ne pas craindre «[s]es menaces» et la prévient qu’il refuse de faire le spectacle… De leur côté, Camus et Dieudonné continuent à affirmer que Bigard sera bien de la partie. Ce que l’intéressé nie avec force. En tout cas, le duo semble avoir ouvert la billetterie dans la précipitation, peut-être poussé par la mise en demeure adressée par Jean-Marie Bigard.
«Quand vous vendez un spectacle dont vous savez qu’il n’existe pas, cela s’appelle une escroquerie», dit notre source proche du dossier. «Du vol», insiste Jean-Marie Bigard, qui précise : «Ce qui les fait vibrer, c’est que notre duo aurait pu générer beaucoup d’argent. C’est gravissime que des places soient en vente sur le site de Dieudonné… il va garder l’argent.»
Dieudonné a déjà été accusé de manipuler ses fans pour faire du profit. Notamment avec son «Annanassurance» (en 2015) ou le «Sestrel», sa cryptomonnaie annoncée en 2016 et pour laquelle il a fait de la retape pendant des années sans qu’elle n’ait vu le jour. La même année, Dieudonné avait aussi lancé une opération «1 million pour la Palestine» toujours en mettant à contribution ses adeptes. A l’arrivée, il a bien signé un chèque d’un million mais… de francs CFA, soit environ 1 500 euros.
NB : franchement, ni peine ni compassion pour les abrutis qui ont acheté des places sur le site de cet escroc antisémite!!!
par Pierre Plottu et Maxime Macé