Les voix qui s’élèvent pour dénoncer l’expulsion de l’imam Hassan Iquioussen esquissent une carte instructive de l’influence des Frères musulmans en France.
Sous le coup d’un arrêté d’expulsion depuis fin juillet, Hassan Iquioussen entend se battre. Il a fait savoir qu’il contestait devant le tribunal administratif la décision de la préfecture du Nord, ce qui ne le dispense pas de quitter le territoire sans délai, le recours étant non suspensif.
Depuis l’annonce de son expulsion, des voix s’élèvent pour le défendre. Vingt-six mosquées du département du Nord ont signé un communiqué de soutien à l’imam, assurant qu’il avait « toujours tenu des propos en cohérence avec le pacte républicain » lorsqu’il avait donné des conférences dans leurs murs. Rien de vraiment surprenant. La réputation d’intégrisme de Hassan Iquioussen est installée depuis plus de dix ans. Les mosquées qui l’ont invité ont de très fortes chances d’être sur la même ligne dure. Sachant que le Nord compte plus de 100 mosquées, elles ne sont pas majoritaires.
Certaines d’entre elles soutiennent Hassan Iquioussen par amitié ou par solidarité familiale. L’imam de la mosquée de Raismes (12 600 habitants), Othmane Iquioussen, est le fils de Hassan. Quand à la mosquée de Quiévrechain (6 400 habitants), près de Valenciennes, elle a longtemps eu comme porte-parole Soufiane Iquioussen, autre fils de Hassan.
Les Iquioussen semblent pourtant pas avoir que des amis chez les croyants du Nord, loin de là. Ainsi, aucune des deux mosquées de Denain (20 000 habitants) n’a signé le communiqué de soutien, alors que la famille est très connue dans la ville. Soufiane y travaillait comme agent de la mairie et faisait figure de bras droit officieux de la maire PS Anne-Lise Dufour-Tonini, jusqu’à ce qu’elle l’écarte, après les municipales de 2020. C’est également à Denain que Hassan Iquioussen a réalisé des investissements immobiliers importants, achetant et rénovant un immeuble en plein centre-ville, tout près de la permanence du député RN Sébastien Chenu. « Victoire ! » a tweeté ce dernier en apprenant l’expulsion de son meilleur ennemi. « Cela fait plus de trois ans que je dénonce les agissements de la famille Iquioussen et en particulier à Denain lors des élections municipales. »
Dans le reste du champ politique, la retenue domine, à quelques exceptions près. Fraîchement élu député du Nord, le LFI David Guiraud a interprété l’arrêté d’expulsion de Hassan Iquioussen comme une manœuvre politicienne. « Visiblement frustré de ne pas exister médiatiquement lorsqu’on parle de pouvoir d’achat, Gérald Darmanin veut saturer les ondes médiatiques avec un discours sécuritaire et répressif », écrit le député dans un communiqué de presse publié dimanche 31 juillet.
— David Guiraud (@GuiraudInd) July 31, 2022
Le reproche est difficilement recevable, dans la mesure où c’est Hassan Iquioussen lui-même qui a rendu publique son expulsion imminente, fin juillet, en faisant circuler une vidéo. Selon nos informations, le ministère de l’Intérieur aurait préféré en parler le plus tard possible.
Prudence à Roubaix
David Guiraud, par ailleurs, prend clairement ses distances avec les positions de l’imam : « Je ne suis pas solidaire de propos homophobes ou antisémites, et je ne le serai jamais », écrit-il, en se demandant « pourquoi la France n’a pas utilisé les outils du droit à sa disposition pour faire condamner des propos condamnables datant de plusieurs années ». Vaste question. Selon nos informations, l’enquête conduisant à l’expulsion de l’imam a été lancée juste après l’adoption de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (dite loi sur le séparatisme), mais l’arrêté d’expulsion ne fait pas explicitement référence à ce texte. Il mentionne seulement le Code de l’entrée et du séjour des étrangers. Le droit permettait probablement d’envisager une expulsion avant 2021.
Avant de venir dans le Valenciennois, Hassan Iquioussen résidait à Roubaix. Là-bas non plus, il ne semble pas faire l’unanimité. Une seule mosquée sur les huit que compte la ville le soutient publiquement. Il s’agit de la mosquée Bilal, dont les conférenciers sont souvent proches des Frères musulmans. Dernier en date, Abdallah Ben Mansour, ex-secrétaire général de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, devenu Musulmans de France) affiliée à la mouvance frériste, invité en mars 2022.
La Ligue islamique du Nord, l’Union des musulmans des Alpes-Maritimes, le Centre culturel musulman de Grenoble, la mosquée de Villeneuve-d’Ascq : tous soutiennent Hassan Iquioussen. Tous ont aussi participé à des événements fréristes ou invité des conférenciers affiliés à la mouvance, en particulier les frères Hani et Tariq Ramadan, à l’époque où les deux petits-fils du fondateur des Frères musulmans pouvaient s’exprimer en France sans crainte de dépasser les bornes.
La carte et le territoire fréristes
La liste des soutiens publics à Hassan Iquioussen esquisse en réalité une cartographie partielle de l’implantation des Frères musulmans dans notre pays et de leurs relais d’opinion. Certains sont considérés comme des interlocuteurs de premier plan par les pouvoirs publics, à l’image de Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon, ou encore d’Azzedine Gaci, recteur de la mosquée Othmane de Villeurbanne.
Ces deux imams sont des sommités rhodaniennes et tiennent souvent des discours brillants et mesurés. Pourtant, comme l’explique sur son blog le Lillois Mohamed Louizi, leurs liens intellectuels avec les Frères musulmans sont nombreux et bien documentés.
Selon le communiqué de soutien à Hassan Iquioussen signé par les deux hommes, leur collègue du Nord a « toujours défendu les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité en considérant que la laïcité est une chance pour le vivre-ensemble ». Le propos serait plus convaincant si Kamel Kabtane n’avait pas signé en 2012 une autre lettre. Il protestait alors contre l’expulsion d’un imam tunisien, Mohammed Hammami. Selon le ministère de lIintérieur, l’individu approuvait le djihad et les châtiments corporels contre les femmes. L’imam Kabtane le trouvait « modéré ». Si tel est le cas, Hassan Iquioussen peut effectivement passer pour un défenseur du « vivre-ensemble ».
Même ambiguïté en ce qui concerne un autre soutien de Hassan Iquioussen, Feiza Ben Mohamed, journaliste franco-marocaine, secrétaire générale de la Fédération des musulmans du Sud jusqu’en 2017. En avril 2016, elle avait invité Hani Ramadan à donner une conférence à Nice. Le prédicateur avait expliqué que Daech était « une imposture qui sert les intérêts américano-sionistes ». Trois mois plus tard survenait l’attentat du 14 Juillet sur la promenade des Anglais (86 morts, 458 blessés), revendiqué par Daech, sans preuve. Par la suite, Hani Ramadan est devenu indésirable en France. Si Feiza Ben Mohamed a pris ses distances avec lui, ce n’était pas publiquement. Et en mai 2022 encore, elle soutenait les militantes probukini grenobloises sur Twitter. Autant dire qu’elle est probablement sincère quand elle affirme que Hassan n’a rien d’un extrémiste. Toute la question est de savoir où commence, selon elle, l’extrémisme.
Tactique d’islamisation à bas bruit
L’ancien président de l’UOIF Fouad Alaoui a déclaré que « Hassan Iquioussen a beaucoup contribué à l’intégration citoyenne de milliers de jeunes Français musulmans durant plusieurs décennies ». C’est exact, à condition de garder en tête un élément clé, que Hassan Iquioussen lui-même rappelait souvent. Il encourage à voter ou à s’engager dans la vie associative pour islamiser la France en douceur. « Hassan Iquioussen a comparé le mariage gay à une union entre animaux », précise Yohan Senez, ex-secrétaire de la section PS de Denain, ancien directeur de cabinet d’Anne-Lise Dufour Tonini. « Néanmoins, je le trouve plus effrayant quand il explique à son auditoire, par exemple, comment faire avancer ses revendications à l’école en prenant le pouvoir progressivement dans une association de parents d’élèves. » Exiger le halal directement serait une erreur tactique. Il faut d’abord construire un rapport de force, patiemment, sans brûler les étapes.
Lors d’un prêche à la mosquée de Dunkerque il y a quelques années, Hassan Iquioussen parlait du « pseudo-génocide arménien ». Son but n’était pas de défendre la Turquie, mais de mobiliser ses auditeurs, dans le but d’obtenir une loi interdisant la critique de l’islam, tout comme certaines associations arméniennes tentent d’interdire la négation du génocide arménien. « Faites pression sur les députés, et les députés vont voter une loi contre le blasphème et l’islamophobie, et il n’y a plus personne qui osera insulter un musulman », explique l’imam. À cet égard, il est exact que Hassan Iquioussen prônait le respect de la démocratie, mais pour une islamisation progressive des mœurs, par les lois.
« Nous nous sommes fait avoir par les Iquioussen, avoue sans fard Yohan Senez. Nous avons vu arriver des musulmans en apparence modérés, nous les avons accueillis à bras ouverts, nous avions tort. Hassan Iquioussen a implanté des idées néfastes dans le cerveau de milliers de jeunes. Il est expulsé, bon débarras. »