Pompéi : l’ADN d’une victime de l’éruption entièrement séquencé, un exploit

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Ce succès inattendu donne l’espoir aux chercheurs de pouvoir analyser finement la composition de la population de la cité antique, détruite par le réveil du Vésuve, il y a près de 2000 ans. Récit d’une première.

Le 24 octobre de l’an 79 après J.-C., vers 13 heures, un déluge de cendres s’abat sur Pompéi. En l’espace de 20 minutes, le Vésuve en éruption prend les vies de 2000 habitants de la cité antique. Près de 20 siècles après cette catastrophe documentée par les récits de Pline le Jeune, des corps de victimes du volcan sont encore découverts sous le sol du site touristique italien. Mais qu’en reste-t-il ? Suffisamment pour brosser des portraits.

Dans une étude publiée jeudi dans Scientific Reports, des chercheurs présentent le séquençage intégral du génome d’un Pompéien. Une première qui montre que l’ADN enfoui a des choses à dire sur ce que fut la population du port romain, prisé jadis pour le commerce et les activités balnéaires.

Un homme atteint de tuberculose ?

Si l’on voulait paraphraser le légiste, on dirait que l’individu est un homme, âgé de 35 à 40 ans au moment de sa mort, ce que dévoile l’analyse de son squelette. Il mesure près de 1,63 m, une taille standard pour l’époque. La comparaison de son ADN, extrait depuis son crâne, avec ceux de 1500 autres Européens, montre une proximité avec les Italiens continentaux d’hier et d’aujourd’hui.

Cependant, on trouve aussi chez lui des caractères spécifiques aux Sardes. Est-ce un habitant du cru ? Est-il originaire d’une autre région de l’actuelle Italie, comme 5 % des résidents de Pompéi ? Difficile de trancher entre ces deux hypothèses, mais « très probablement, il ne fait pas partie des grandes migrations externes liées à la pratique de l’esclavage », explique l’étude. La présence dans ses os de l’ADN d’une bactérie suggère que l’homme a été atteint de tuberculose avant son décès.

Ses restes ont été trouvés dans une pièce de la Maison de l’artisan (Casa del Fabbro), probablement une salle à manger. Quand il est surpris par l’éruption, le trentenaire est allongé sur un triclinium (« lit de table »), une couchette sur laquelle on prend ses aises au moment du repas. A ses côtés, une femme, âgée d’une cinquantaine d’années, dont la séquence ADN est plus lacunaire. « Leur position et leur orientation sont compatibles avec une mort instantanée due à l’approche du nuage de cendres volcaniques à haute température », souligne l’étude. « Plus de la moitié des individus trouvés à Pompéi sont morts à l’intérieur de leurs maisons, indiquant une méconnaissance collective de la possibilité d’une éruption volcanique ou que le risque a été minimisé en raison des tremblements de terre relativement courants dans la région. »

Contrer l’effet de la chaleur, un «défi»

Avec le séquençage intégral du génome de ce Pompéien, les chercheurs de l’Université de Copenhague (Danemark) et de l’Université du Salento, à Lecce (Italie), franchissent un palier. Jusqu’à présent, seule avait pu être exploitée une infime partie de l’ADN d’individus, dit mitochondrial, qui renseigne principalement sur l’origine de leur propriétaires. La raison ? La chaleur inouïe des cendres. « Malgré la poursuite d’intenses recherches scientifiques sur le site depuis le XIXème siècle jusqu’à ce jour, mener des études bioarchéologiques et génétiques à partir de restes humains pompéiens a été un défi, car l’exposition à des températures élevées détruit la matrice osseuse » et diminue « la qualité et la quantité d’ADN récupérable », détaille l’étude.

« On s’attendait à ce que les températures élevées rendent nos efforts de séquençage de l’ADN à Pompéi infructueux », raconte le généticien Thomaz Pinotti. « Les corps incinérés, par exemple, ne montrent aucun signe de préservation de l’ADN, selon plusieurs études. Que nous ayons suffisamment d’ADN pour pouvoir obtenir le génome complet d’un des individus et effectuer toutes les analyses est fantastique et nécessitait certainement un peu de chance. J’ajouterais, cependant, que nous avons utilisé des méthodes de pointe pour l’extraction et le séquençage de l’ADN, en plus de choisir le meilleur élément squelettique du corps : la partie pétreuse dense de l’os temporal. »

Plus surprenant : les chercheurs pensent que les matières volcaniques qui ont recouvert les restes humains ont pu également protéger l’ADN de l’oxygène présent dans l’atmosphère, connu pour le dégrader. Serait-il possible alors de séquencer des génomes de Pompéiens à l’envi ? « Je ne sais pas ! », lâche Thomas Pinotti. Le scientifique brésilien suggère que soient réalisées d’autres études sur cette propriété inattendue des cendres qui pourrait peut-être permettre, avec beaucoup d’efforts, d’écrire « l’histoire génétique » de la population d’un site archéologique unique.

Par Gaël Lombart 

Source leparisien