Français d’Algérie : il y a 60 ans, la traversée sans retour

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C’était il y a exactement 60 ans. Le Roussillon et plus particulièrement le village de Port-Vendres ont été confrontés, à l’arrivée massive des rapatriés d’Algérie. Pour les autorités françaises, tout commença officiellement dans les Pyrénées-Orientales le 27 mai 1962, avec l’arrivée à quai des paquebots El Mansour et El Djezaïr.

Mai 1962

Le 27 mai 1962, l’événement est à la Une de L’Indépendant : « À l’arrivée du El Mansour, 900 Pieds-noirs ont été reçus fraternellement ». Le journaliste écrit : « sur le port se trouvaient les secours, les officiels, mais aussi les habitants de Port-Vendres qui ont entendu Le Chant des Africains et aussi la Marseillaise. Il n’y a eu aucun incident, dix-huit personnes âgées et malades ont été descendues par des brancardiers ». De nombreuses organisations étaient présentes sur le quai : les représentants de la communauté juive, les anciens combattants, les services administratifs des mairies de Perpignan et de Port-Vendres, les pompiers (Perpignan, Port-Vendres), la Poste, la chambre de commerce, différentes banques… Il y avait aussi des politiques : Xavier Courrèges (délégué régional aux rapatriés), le Préfet, le député-maire de Perpignan Paul Alduy, le maire de Port-Vendres Henri Conte, le commandant de gendarmerie, le fondateur du Secours Catholique et le directeur départemental des Renseignements généraux (RG).

Le 29 mai 1962, ce fut au tour du El Djezaïr de débarquer à Port-Vendres, à 6 heures du matin, avec 990 rapatriés. En même temps, cinq nouveaux chalutiers venus deBeni-Saf accostent. Selon L’Indépendant : « Ces personnes ont quitté l’Algérie parce qu’elles avaient peur des enlèvements et des représailles des deux clans extrémistes ».

Première quinzaine Juin 1962

Le 2 juin 1962, L’Indépendant publie le portrait d’un patron-pêcheur : « Il a les yeux rougis par huit jours de trajet entre Oran et Port-Vendres, rougis par la peur de 7 années d’un terrorisme FLN implacable, rougis par la panique suite aux accords d’Évian, rougis à cause de l’angoisse d’avoir laissé des êtres chers en Algérie. Il souhaite s’établir à Port-Vendres pour pêcher la sardine et le thon, mais il ne trouve pas de logement, car tout est déjà loué pour la saison. Il insiste sur le fait qu’il a été accueilli par les rapatriés d’Agadir et non par les services officiels ».

Le 3 juin 1962, partis de Béni-saf deux chalutiers, le Joos et le Deux-sourds arrivent à Port-Vendres avec à bord 27 pêcheurs, ils seront suivis par 48 autres navires. Le même jour, 860 rapatriés (600 femmes, 140 enfants, une vingtaine de bébés) débarquent du El Djezaïr.

Le 5 juin, 640 enfants, une centaine de personnes âgées et 335 femmes arrivent en Roussillon à bord du El Djezaïr.

Le 7 juin, le Kairouan en provenance d’Alger, débarque 891 passagers, dont 323 rapatriés civils, les autres étant des militaires. Dans la même journée, deux chalutiers arrivent encore : l’Espérance (11 personnes) et l’Emilia avec 42 personnes qui portent aussi du mobilier, une moto, des lits et un réfrigérateur.

Le 11 juin, au-delà des hommes, femmes et familles, des bateaux arrivent avec du matériel, comme le bien nommé Le Canigou, qui déchargea notamment treize camions, une pelle mécanique, trois bétonnières, une presse…

Le 14 juin, l’exode s’amplifie L’Indépendant titre : « Port-Vendres, tête de pont de l’exode ». En une journée, près de 3 000 Pieds-noirs débarquent à Port-Vendres. Officiellement 1 386 rapatriés du Kairouan (arrivé à 6 h 30) et 1 328 du El Djezaïr (arrivé à 11 h). Il y avait foule, bon nombre n’ont pas pris le temps de s’enregistrer. Sur le quai, le personnel de Monoprix proposait des tablettes de chocolat, du lait, du fromage, des gâteaux secs, du sucre et des boissons pour réconforter ces nouveaux arrivants. Il y avait aussi l’adjoint du ministre des Rapatriés et l’inspecteur de service administratif aux Rapatriés, deux représentants de l’État qui ont déclaré « être satisfaits du bon fonctionnement de l’organisation ».

Seconde quinzaine juin 1962

Le 17 juin, le El Djezaïr accoste à nouveau avec 1 133 passagers, dont 440 femmes, 461 hommes et 232 enfants, pour la première fois avec un nombre significatif d’hommes. Il est suivi par le navire Commandant Queré, avec 379 personnes (200 femmes, 80 Gardes mobiles et militaires, hommes et enfants), puis par deux chalutiers : le Girard II (22 personnes) et le Rangoon (13 personnes).

Selon L’Indépendant, du 19 au 24 juin, aucun réfugié n’arriva à Port-Vendres à bord de paquebots. En revanche, une vingtaine de chalutiers supplémentaires ont effectué la traversée.
Le 25 juin, 2 100 Pieds-noirs débarquent du Kairouan, le journaliste de L’Indépendant écrit : « des ballots de toutes sortes, amassés sur les plages, formaient des pyramides de marchandises où les rapatriés se trouvaient pêle-mêle. Le hangar et les quais du bâtiment du Comité Mixte de Navigation étaient inondés de bagages ».

Le 26 juin, 2 100 Pieds-Noirs arrivent à bord du Sidi Bel Abbes et le El Mansour. Ce soir-là, des incidents sérieux éclatent entre des démobilisés musulmans et des Pieds-noirs. L’Indépendant relate : « des vitres de chalutiers ont été brisées, des insultes, des jets de cailloux et de pavés ont été échangés entre Algériens et rapatriés. Notons que lorsqu’un bateau arrivait avec des rapatriés, il ramenait en Algérie des soldats de l’Armée française d’origine nord-africaine ».

Le 28 juin, l’afflux se poursuit, avec l’arrivée de deux chalutiers venant d’Arzew, le Kairouan qui débarque 2 000 personnes et repart avec des militaires algériens.

Selon L’Indépendant, en juin 1962, plus de 13 000 Français d’Algérie ont quitté leur terre natale pour rejoindre Port-Vendres. Or, selon l’étude des listes nominatives des Français d’Algérie, seulement 5 200 personnes sont arrivées par la mer. Cette différence, selon les historiens, s’explique que les rapatriés venus avec leur propre bateau n’ont pas été comptabilisés par les Renseignements généraux. En effet, ils débarquaient dans le port, sur un quai différent de celui des paquebots, et l’inscription au service de rapatriés n’était pas obligatoire. Enfin, L’Indépendant relate « un nombre important d’arrivants en les considérant comme des rapatriés, alors que dans certains paquebots se trouvaient des militaires, des appelés et des fonctionnaires ».

En juillet, l’afflux des Français d’Algérie a doublé par rapport au mois précédent (5 200 en juin, 11 500 en juillet), avec encore l’arrivée de dizaines de chalutiers.

Ainsi, entre juin et décembre 1962, environ 29 000 Pieds-noirs sont arrivés dans les Pyrénées-Orientales, ceux qui ont choisi de rester se sont majoritairement installés à Port-Vendres et Perpignan.

Source lindependant