Portrait : Magali Berdah, femme d’influence

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Magali Berdah, l’agente des stars de la télé-réalité, en quête de légitimité, interviewe des candidats à l’élection présidentielle.

Magali Berdah a le débit mitraillette d’un Rambo siliconé lancé à toute vitesse dans la jungle des polémiques. Après deux heures passées avec elle dans ses bureaux du VIIIe arrondissement à Paris, on en ressort les oreilles confites par le bruit des perceuses dans l’immeuble d’à côté, le nez enrubanné par le fort parfum qui embaume les pièces et la certitude d’avoir rencontré un personnage de roman, à la fois à l’eau de rose et au savon noir, où paillettes et truanderies font la bringue.

Inconnue du plus grand nombre mais célébrité absolue en son domaine, la femme d’affaires de 40 ans est, en France, l’agente la plus puissante des stars de télé-réalité, Nabilla en tête. En cinq ans seulement, la courtière en mutuelle de Juan-les-Pins s’est fait une place de choix en développant un concept populaire aux Etats-Unis mais alors peu répandu en France sur les réseaux sociaux : le placement de produits (souvent de marques secondaires et de mauvaise qualité, parfois d’arnaques). En inventant un métier, elle a permis à des dizaines de participants et participantes d’émissions comme les Marseillais ou la Villa des cœurs brisés de monétiser leur audience de manière phénoménale. Résultat : l’argent coule à flots. Son agence, Shauna Events, du prénom de la première de ses trois filles, brasse 40 millions par an de chiffre d’affaires. Parmi les actionnaires, on retrouve Stéphane Courbit, l’un des premiers producteurs de contenus audiovisuels au monde, et Cyril Hanouna (elle est une régulière de TPMP).

Elle-même, qui n’avait pas Instagram avant ses 35 ans, est devenue une influenceuse. Elle participe aux Princes et Princesses de l’amour sur W9. Elle met surtout quotidiennement sa vie en scène dans ses stories sur Snapchat et Insta (où elle est suivie respectivement par 1,5 et 1 million de personnes), relayées par ses amis, ses ennemis et la presse people, avec des rebondissements entre Paris, le Sud et Dubaï qui feraient passer Dallas pour un aimable club de bridge. Chaque semaine est l’occasion de clashs et de réconciliations avec ses talents, qu’elle appelle «ses filles», en Madame Claude 2.0. Les saillies sont en ligne et parfois les drames sont IRL : l’année dernière, le milieu opaque a été secoué par ses premières affaires #MeToo. Sa grand-mère, «le socle de [sa] vie», est décédée, et sa belle-sœur et son compagnon ont été assassinés.

Ça l’a fait réfléchir. Elle montre en DM les dizaines de messages d’insultes qu’elle reçoit. Berdah donne des coups et en rend, elle manipule et elle est manipulée. «Tu ne dois pas t’acheter tes amis, m’a dit Stéphane [Courbit]», reconnaît avec une franche sincérité (ou naïveté ?) celle qui a plongé très vite et très fort dans le marigot. Pourtant, il faut continuer, toujours et encore, de communiquer. Ne pas poster, c’est disparaître.

Là, avant la séance photo, elle passe une bonne heure à se faire maquiller et coiffer. Tout de blanc vêtu, elle est juchée sur des talons très hauts, femme puissante tenant à bout de bras son iPhone, comme une extension d’elle-même. «Je n’ai jamais vu ma mère sans», témoigne Shauna, 14 ans, 110 00 followers sur Insta. Ni faire une pause, à part une fois, «peut-être, où on a regardé la Reina del Flow sur Netflix»«Elle m’impressionne. Elle travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept», confirme son mec et employé, Stéphane Teboul, surnommé «Taboulé», pull rose, bronzage orange et cheveux gominés.

Dernièrement, Magali B. s’est découvert une nouvelle passion : interviewer, accompagnée de ses gardes du corps, tous les candidats à la présidentielle pour sa chaîne YouTube. Elle a commencé avec Zemmour, puis Mélenchon. Le résultat est digne d’Une ambition intime de Karine Le Marchand : un boulevard pour les politiques. «Je suis bienveillante, je ne suis pas là pour les juger et les condamner mais pour apprendre et comprendre», assume-t-elle, partageant avec nous sa boîte de sushis («c’est trop bon, c’est casher», ajoute dans un sourire la Séfarade, «tranquille avec la religion»). Il y a quelque temps encore, elle n’en avait «rien à foutre» de la politique, mais là, elle espère que cela poussera les abstentionnistes dont elle fait partie à aller voter : «Je leur fais passer un casting pour les gens comme moi.»

Pour sa vidéo de Zemmour (vue plus de 500 000 fois), pour qui elle se voit bien, en riant, «ministre des réseaux sociaux», la mise en relation est passée par Cindy Knafo, photographe bimbo avec qui elle avait travaillé, sœur de Sarah, compagne et conseillère du candidat d’extrême droite. Depuis la pandémie, l’agente qui ne dit pas pour qui elle votera fraye aussi avec la macronie. Elle a vu Schiappa, a été invitée à manger par Attal, nous montre les messages qu’elle envoie à Le Maire pour réguler sa profession et adore Moreno, «la personne qu’[elle] respecte le plus en politique». «Elle a un parcours que je trouve, objectivement, assez passionnant, dit le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. Elle est partie de rien.»

Soudain, Berdah s’enthousiasme. Une autre candidate à l’élection vient de lui dire oui. On frappe, elle s’agace : «Lucas [son assistant, ndlr], mets sur la porte que je suis occupée. Je t’aime, merci.» Seule Shauna a le droit de se faufiler auprès d’elle, et de la taquiner. A force d’être harcelée, la jeune fille a été déscolarisée. Elle suit des cours par correspondance. Les deux autres enfants, plus jeunes, vivent chez leur père, dans le Sud. Il est garagiste et juif très pratiquant. Dur d’imaginer Magali B. vivant une vie rigoriste.

Le basculement a été abrupt, pas seulement en termes de chirurgie esthétique, «pour se plaire plus». Avant : la jeune femme a grandi à Saint-Tropez auprès de ses grands-parents restaurateurs, le père a disparu, et la mère, ce n’est pas beaucoup mieux. Elle commence des études de droit à Aix-en-Provence, enchaîne avec un DUT, arrête et suit une copine à Nice. Elle vend des vêtements, puis se lance dans le courtage de mutuelles, le mariage et la religion. Avec des hauts et des grands bas : elle se fait avoir par un escroc et est rattrapée par l’Urssaf. Elle a un million à rembourser, elle s’endette, emprunte à des usuriers, pense que sa «vie est terminée». Mais elle rencontre deux influenceurs, Jazz et Vivian, et propose de s’occuper d’eux. Ensuite, tout s’enchaîne. Rapidement, cela a donc été «Berdah = influence = “dropshipping” = produits de merde = Dubaï», résume un fin connaisseur, qui a «un peu peur d’elle».

L’agente en a conscience. Elle est en quête de respectabilité, agacée de «se sentir méprisée», et ses vidéos sur la présidentielle doivent y contribuer. «L’influence est un métier en train de s’assainir, jure-t-elle. Ce n’est pas parce qu’on vient de la télé-réalité qu’on est des gens bêtes.» Sa voix monte dans les aigus, s’enroue. «Berdah, mon nom est putaclic. Pourtant le trading, NFT, bitcoin, chez moi, on ne le fait plus ou pas», lance-t-elle en montrant des profils de célébrités passées à la concurrence et promettant sous leurs posts Insta du cash facile. Si les politiques qu’elle interviewe pouvaient interdire tout ça…

Novembre 1981 Naissance
Janvier 2017 Lance Shauna Events
2018 Ma Vie en réalité
Janvier 2021 Lance ses vidéos politiques

Par Quentin Girard

Source liberation