De Sarcelles à Jérusalem, Yomtob Kalfon, le Français devenu député israélien

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Né en banlieue parisienne, Yomtob Kalfon est arrivé en Israël en 2004. En juin 2021, à seulement 35 ans, il a été élu au Parlement israélien sur la liste du nouveau Premier ministre de droite Naftali Bennett. Il est aujourd’hui une personnalité politique et médiatique montante en Israël.

Une kippa crochetée sur la tête – caractéristique des sionistes religieux – un drapeau israélien derrière lui et une gravure du Second Temple de Jérusalem avant sa destruction par les Romains en 70 ; Yomtob Kalfon a réuni les emblèmes qui lui tiennent le plus à cœur dans son petit bureau de la Knesset.

Ici, au Parlement israélien à Jérusalem, il a le sentiment d’avoir bouclé une boucle : « J’ai grandi dans ce qu’on appelle aujourd’hui ‘la petite Jérusalem’, dans le grand quartier juif de Sarcelles. C’était une ambiance très communautaire autour de la communauté juive, mais pas seulement. J’étais scolarisé dans le public et je me souviens dans ma classe de primaire à l’école Jean Macé où il y avait des Juifs et des Musulmans. Il y avait aussi des Chrétiens, des Athées, et au niveau des pays on avait des Sri-Lankais ou des Pakistanais. On avait vraiment un peu de tout et ça se passait plutôt bien. J’en garde même un assez bon souvenir. Je tiens à le signaler. »

Dans ces années 1990-2000 dans le Val d’Oise, le jeune homme issu d’une famille originaire de Tunisie est fan de Jean-Jacques Goldman, de la série Friends, de l’AS Monaco et… de politique !

« En 1995 j’avais neuf ans et c’était les élections présidentielles en France avec Jacques Chirac contre Lionel Jospin. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais j’ai eu envie de soutenir Jacques Chirac. Si bien que j’ai rejoint les équipes de campagne. On distribuait des prospectus à Sarcelles et avec un copain, on faisait le tour des bureaux de vote voir la participation. On voulait vraiment que Chirac gagne à l’époque ! » Mais peu à peu, cette vie rythmée aussi par les fêtes religieuses juives et l’amour de l’État d’Israël devient moins douce et plus inquiète : « Les difficultés communautaires et identitaires sont arrivées un peu plus tard à la fin de mon collège et au début du lycée lorsque la seconde Intifada a éclaté en Israël et au Moyen-Orient. Là, on a commencé à sentir un regain d’antisémitisme et d’agressions. Malheureusement, le conflit au Moyen-Orient a été ramené dans les banlieues parisiennes. »

« On a découvert les agents de sécurité devant les synagogues. Les Juifs ont commencé à aller dans des écoles privées et de moins en moins dans l’école de la République censée pourtant réunir tout le monde. »

Aller en Israël et non pas quitter la France

À cette époque, la grande sœur du jeune homme est déjà « montée » en Israël, selon l’expression hébraïque. Il hésite et prend finalement le même chemin. Le voilà parti pour Israël et toutes ses facettes : le kibboutz laïc et collectiviste, l’école religieuse pour étudier la Torah, l’armée dans une unité combattante et la fac pour étudier le droit et la communication politique. « Je ne sais pas exactement à quel moment on prend la décision. Ça m’a accompagné dans mes années d’adolescence. Je rêvais de faire Sciences-Po et l’ENA en France donc, j’ai eu une hésitation. En fin de compte, j’ai pris la décision qu’après après mon bac, ce serait Israël. Dans mon cas, je pense que j’ai plutôt choisi d’aller en Israël. Certes, j’ai moi-même vécu ici et là des événements pas très agréables mais ça n’a pas été le facteur déterminant. Je suis surtout monté en Israël par idéologie sioniste. Le cours de l’Histoire – en tout cas pour les Juifs qui en font le choix – c’est de rejoindre l’Etat du peuple juif. Je n’ai pas fui ou quitté la France. De mon point de vue, ce n’est pas un rejet de la France. »

Politiquement, l’ancien sympathisant RPR demeure à droite. Il s’engage d’abord au Likoud du Premier ministre Ariel Sharon. Mais, déçu par le désengagement unilatéral de Gaza en 2005, il se rapproche des mouvements sionistes religieux et y devient vraiment actif en 2012, dans le sillage du jeune Naftali Bennett. Celui là même qui a commis l’impensable en juin dernier en formant une large coalition contre nature, mais anti Netanyahou, au pouvoir depuis douze ans. Kalfon défend ce choix radical : « On a eu quatre élections d’affilée en Israël. C’était sans précédent, pas de budget de l’État de 2018 jusqu’à 2021 avec une crise sanitaire en plus au milieu et donc, un pays qui n’avançait pas. Le pays allait mal et Netanyahou continuait, pour des raisons personnelles et pour des raisons liées à ses affaires et ses déboires avec la justice, de conduire le pays d’élection en élection. Il fallait sortir le pays du chaos et Naftali Bennett a payé un prix politique très fort. »

« Tout d’un coup, Bennett a dû remettre tout en jeu et s’allier avec la gauche, l’extrême gauche, un parti arabe arabe islamiste aux antipodes de son idéologie. Mais ce qu’il a vu devant lui, c’est l’intérêt de l’État d’Israël, l’intérêt de la Nation au-delà de son intérêt personnel. Notre grand défi à l’intérieur était de calmer cette crise politique qui a ankylosé tout le système et qui a empêché les ministères de travailler. On ne pouvait pas avoir de programme économique sur le long terme, ni sur la construction face à une crise du logement majeure en Israël. On a des problèmes de cherté de la vie. On a des défis sécuritaires majeurs avec la menace iranienne, les tensions avec les Palestiniens, le Hezbollah au nord et le Hamas à Gaza. Donc le pays ne peut pas se permettre de ne pas être géré durant une aussi longue période. »


Comme le nouveau Premier ministre, Yomtob Kalfon se fait régulièrement conspuer par des manifestants pro-Netanyahou réunis devant sa maison qui lui demandent de quitter la coalition, majoritaire d’une voix seulement : « Je ne leur donne pas d’importance particulière. Ils sont entre cinq et dix militants politiques francophones de partis concurrents qui rêvent d’exister sur mon dos. » Netanyahou lui-même, la bête politique par excellence, a passé des heures à tenter de le convaincre : « C’est difficile de résister. J’ai eu avec lui une conversation idéologique. J’ai été repoussé par sa propension à mentir dans ce domaine. » Le nouveau député devient un habitué des studios télé et il préfère s’occuper des difficultés des Franco-Israéliens, qui sont entre 150 et 180 000 selon ses estimations.

« Il fallait donc quelqu’un qui connaît à la fois bien le monde français et qui connaît bien ce qu’on appelle les olim, les nouveaux immigrants, et qui fait en sorte de d’entremetteur entre eux, entre ces mondes, avec la classe politique israélienne. Et c’est ce que je fais. Israël est un pays qui ne fait pas de l’assimilation, mais plutôt de l’intégration. »

L’amour de la langue française

Yomtob Kalfon retourne régulièrement dans son pays natal où il a conservé de la famille et des amis mais aussi de façon plus officielle comme co-Président du groupe d’amitié Israël-France à la Knesset. L’amateur de bœuf bourguignon et de religieuses au chocolat chérit aussi la langue française : « Qu’on le veuille ou non, ça reste ma langue maternelle. Même si je parle l’hébreu parfaitement, je fais en sorte de parler français chez moi, à la maison. Ma femme est française, mes enfants sont israéliens, mais on parle en français, notamment pour que les enfants puissent connaître le français. L’éducation française donne beaucoup de place au sérieux et au fait d’aller au bout des choses. »

« Je ne sais pas si c’est l’influence américaine ou autre mais parfois, en Israël, j’ai l’impression qu’on aime bien le titre sans rentrer forcément dans les détails et dans la profondeur. J’ai souvent ressenti que cette éducation reçue en France nous permet de nous asseoir plusieurs heures pour étudier un dossier et aller au bout des choses au lieu de passer tout de suite à autre chose. Je le vois dans mon travail à la Knesset. Moi, je n’ai pas de problème à lire les petites lignes et rentrer dans les détails. Et souvent, c’est là où ça fait la différence. »

 

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Pas favorable à une solution à deux États

Sur la question israélo-palestinienne, il est un homme de droite, bien ancré dans son idéologie, qui ne parle pas de colonisation de la Cisjordanie, mais d’implantations en Judée-Samarie et qui ne veut pas d’un État palestinien : « La solution à deux États a déjà été testée. Il y a eu les accords d’Oslo et malheureusement, cela a mené à la deuxième Intifada. Voilà pourquoi je crois d’abord à une solution qui viendrait peut-être d’en bas. Déjà, il faut essayer de vivre ensemble, sans forcément chercher immédiatement une solution. Je crois beaucoup à calmer les esprits. En Judée-Samarie on vit imbriqués les uns dans les autres avec une population palestinienne et une population israélienne. Donc cela passe par exemple par le travail. Récemment, mon gouvernement a augmenté le nombre de permis de travail des Palestiniens, qui peuvent rentrer travailler en Israël. Qui dit travail dit relèvement du niveau de vie. Donc, les gens vont vivre mieux au quotidien. Et quand quelqu’un vit bien ou vit de mieux en mieux, il a moins tendance à être attirée par le terrorisme au niveau de la population. Je crois que plus on enlève, on essaye d’enlever les barrières entre nous et de faciliter la vie quotidienne des gens. Moins il y aura de tensions. Peut-être que c’est ça, en réalité, la paix. »

Yomtob Kalfon n’est que le deuxième natif de France élu à la Knesset en 73 ans. Il espère devenir le premier Français nommé ministre.

Source franceculture