Le Portugal retrouve sa mémoire Juive, 2ème partie

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La mémoire des exilés Juifs au Portugal dans la deuxième guerre mondiale est étroitement liée à l’histoire de la congrégation libérale de Lisbonne, Hehaver-Ohel Jacob, dont l’oratoire occupe un appartement proche du musée Calouste-Gulbenkian.

Comme le retrace Israël (André) Falcão, membre du comité directeur de cette communauté, certains des Juifs ashkénazes qui arrivaient au Portugal après la révolution russe, ou plus tard, fuyant le nazisme, ont créé l’organisation de jeunesse sioniste Hehaver [1925], puis leur propre synagogue, Ohel Jacob [1934]. Ces exilés voulaient se sentir « chez eux », dans une synagogue ashkénaze !

« Le Rav Schneerson a visité notre synagogue lors de son passage à Lisbonne en juin 1941. Le mobilier et les objets de culte témoignent du passé de cette synagogue : Israël montre fièrement les Sefer Torah, dont une ancienne Torah irakienne, de provenance incertaine et un fragment de parchemin brûlé, sauvé d’une synagogue de Hambourg durant la Kristallnacht. Il ajoute : Nous avons un Talmud complet, une copie du Choulhan Aroukh … de nombreux livres yiddish… Ohel Jacob est la seule synagogue ashkénaze de la péninsule.

D’abord, orthodoxe, puis Massorti et aujourd’hui libérale, membre de la EUPJ et de la WUPJ. Elle compte de nombreuses femmes. Nous prions ensemble et sommes vraiment inclusifs ! Notre communauté est petite : environ 150 membres dans les années 1970, 30-40 aujourd’hui, en majorité portugais… Notre rabbin, Alona Lisitsa, vit en Israël et n’est plus venue à Lisbonne depuis deux ans. Avec la pandémie, je vois une crise dans le « retour » à la synagogue. Cette année nous n’étions qu’une vingtaine pour Rosh Hashana ! Pour le moment, nous célébrons chaque vendredi l’office de Kabbalat Shabbat, poursuivant aussi notre célébration en ligne pour certains membres à l’étranger, ou ne pouvant se joindre à nous. »

Israël Falcão, enseigne l’informatique à l’université et évoque ses origines « crypto-juives » : « Comme les autres membres portugais de cette congrégation, je descends de nouveaux chrétiens. Nous avons été persécutés pendant plus de 300 ans mais certaines coutumes juives ont été transmises clandestinement au sein de familles de nouveaux chrétiens. Toute ma famille maternelle vient de Erdeval da Beira, un petit village à 20 km de Seia, dans la province de Beira Alta. J’ai été baptisé, mais mon éducation catholique était très légère et mes parents n’allaient à l’église qu’à Pâques. Ma mère me racontait toujours des histoires de la Bible, jamais du Nouveau Testament ! Dans ma famille on ne se mariait jamais le samedi et le baptême se faisait toujours le huitième jour ! Ma grand-mère allumait les bougies le vendredi ! J’étais intéressé par les sagesses orientales, le Taoïsme, le Bouddhisme… puis j’ai lu le Zohar et « être juif » est devenu un impératif ! Je voulais retourner au peuple juif ! J’ai fait ma Techouva avec le rabbin Alona, une enseignante extraordinaire avec laquelle j’avais des réunions en ligne chaque semaine. »

En 1492, plus de 100.000 juifs ont émigré d’Espagne au Portugal. Après l’édit d’expulsion la majorité des Juifs portugais ont été baptisés de force. Ceux qui le pouvaient se sont enfuis, mais beaucoup des plus pauvres sont restés, surtout dans la région de Belmonte, de Seia,… et les zones montagneuses proches de la frontière.

Exil et vestiges de la mémoire juive portugaise

Situé au centre d’Estoril, l’EspaçoMemória dos Exílios, inauguré en 1999, est installé à l’étage de l’ancien bureau de poste, un édifice de 1942, conçu par l’architecte moderniste Adelino Nunes. La mission de cet espace mémoriel des exilés est d’évoquer le passage des dizaines de milliers d’exilés et de réfugiés qui, durant la guerre d’Espagne et la Seconde Guerre mondiale, trouvèrent refuge au Portugal, le plus souvent avec l’espoir de quitter l’Europe. Les archives conservées documentent la survie de ces réfugiés, en majorité juifs, dans la célèbre station balnéaire dont l’atmosphère d’espionnage qui y régnait alors inspira le personnage de James Bond à Ian Fleming, journaliste et agent de renseignement en mission à Estoril. Parmi les vies d’exilés, mises en valeur dans l’exposition et les vidéos réalisées par cette institution mémorielle, figure le parcours de Samuel Schwarz (1880-1953), intellectuel juif de Lodz et grand protagoniste de la découverte de la mémoire juive du Portugal au siècle dernier.

Nelson José Caria Mendes et son ami Carlos de Oliveira, tous deux guides nationaux et passionnés d’histoire juive locale, préparent la publication d’un guide juif du Portugal. Nelson explique : « J’ai souvent guidé des groupes de « Jewish Heritage Tours » basés à Jérusalem et qui venaient passer un peu plus d’une semaine au Portugal, accompagnés de professeurs. Nous visitions l’ancien quartier juif d’Alfama à Lisbonne, pour aller ensuite dans l’Alentejo à Évora, Castelo de Vide, Marvão... Remontant au nord pour découvrir la synagogue de Tomar, la ville universitaire de Coïmbra où le siège de l’Inquisition était encore conservé, les communautés crypto-juives à Covilhã et Belmonte, la judiaria de Guarda et puis Porto avec ses quartiers juifs. À travers ces années de travail sur le judaïsme portugais j’ai réalisé le manque de publications fiables et destinées au grand public ». Carlos ajoute : « Notre guide multilingue s’appuie sur les travaux d’historiens fiables, procède à un repérage exhaustif des vestiges de la vie juive, s’accompagne de témoignages et d’une bonne bibliographie ! »

Nelson est originaire de Tomar, ville fondée par l’ordre militaire religieux du Temple et où s’installe une communauté juive au début du 14ème siècle. Au milieu du siècle suivant, une synagogue est construite, dans la “juiverie” (rua da judiaria) de Tomar dont les artisans et commerçants juifs prospèrent, soutenus par les Templiers et leurs successeurs, chevaliers de l’ordre du Christ, dont le grand-maître, Henri le Navigateur, figure emblématique des grandes découvertes portugaises, leur est très favorable. Au centre de la ville, dominé par le château et son couvent de l’ordre du Christ, classé patrimoine de l’UNESCO, cette synagogue, dont les voûtes gothiques sont soutenues par quatre élégantes colonnes qui divisent l’espace en trois nefs, est le seul lieu de culte juif médiéval conservé au Portugal, souligne Nelson : Fermée après le décret d’expulsion de 1496, elle devenue une prison, plus tard un ermitage et enfin un dépôt de marchandises.

Samuel Schwarz, ingénieur juif polonais, arrivé au Portugal en 1915 et qui travaillait dans les mines de tungstène et d’étain près de Vilar Formoso et de Belmonte, découvre le bâtiment, l’achète, puis en 1939 l’offre à l’état portugais avec le projet d’y créer un musée juif. Aujourd’hui, le ministère des finances en est propriétaire et la mairie gère le musée dont l’entrée reste gratuite. Je connais ce lieu depuis mon enfance. L’acoustique de l’ancienne synagogue est remarquable et j’y ai écouté d’excellents concerts de guitare. Les visiteurs juifs de passage faisaient parfois des cadeaux au musée, dont je connaissais très bien les gardiens, Monsieur Vasco et sa femme. Ils étaient très attachés à l’histoire juive de Tomar et conservaient ces dons précieusement, les ajoutant à la collection d’objets exposés !

Dans le cadre de ses activités professionnelles, Samuel Schwarz découvre aussi des communautés de crypto-juifs à Covilhã et Belmonte : Il est parvenu à gagner la confiance de ces Juifs cachés, voyant le danger en tout étranger, lorsqu’il a récité le Shema Israël devant une « sacerdote » de Belmonte qui l’a reconnu comme juif quand il a prononcé le mot Adonaï ! Transcrivant les prières et observant les rituels secrets, Schwarz œuvre à la fois en ethnologue et en sioniste, décrivant un patrimoine culturel menacé de disparition. Le livre qu’il publie en 1925, en portugais, révèle au monde ces Marranes oubliés. Mais, avec l’arrivée de Salazar, la crise économique puis la deuxième guerre mondiale, ces « frères marranes », dont Schwarz voulait la rédemption religieuse et nationale au sein du judaïsme, retombent dans l’oubli.

Dans les années 1980, le photographe français Frédéric Brenner et Inácio Steinhardt « découvrent » à leur tour « les derniers marranes de Belmonte » et assistent à leurs rites. Réalisé avec Stan Neumann (1990) leur film documentaire à succès, réveille l’intérêt en Diaspora comme en Israël. Aujourd’hui, Belmonte a son musée juif et sa synagogue orthodoxe. Publiée en 2015, l’édition critique de la version française du livre de Schwarz, jamais éditée du vivant de son auteur, permet de découvrir la culture aujourd’hui largement disparue des « derniers marranes » documentée il y a 100 ans par ce Juif de Pologne.

Roland Baumann

Source maisondelaculturejuive

1 Comment

  1. C’est très intéressant, c’est vrai que ce pays est attachant pour nous, lorsque j’allais au Portugal avant ma retraite, les gens me disaient souvent : tu te sent bien ici, ils savaient que j’étais juif et c’était souvent un appel pour que je leurs en dise plus.

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