Cet expert agréé par la Cour de cassation a été l’un des premiers à juger irresponsable le meurtrier de Sarah Halimi. Portrait d’un habitué des affaires retentissantes.
La porte s’ouvre. Sourire, geste contrit. Une conversation téléphonique peine à prendre fin dans l’oreillette de Paul Bensussan. On entre dans ce pavillon de Sèvres (Hauts-de-Seine) à la décoration design. L’homme de 63 ans porte un jean, des baskets aux pieds. Tenue relax pour un rendez-vous sensible. Les dernières semaines ont rappelé qu’examiner la santé mentale de justiciables provoquait des séismes.
Agréé par la Cour de cassation, comme seule une dizaine de pairs, le médecin fait partie des sept experts sollicités sur l’affaire Sarah Halimi. Le collège a conclu que le tueur de cette femme juive de 65 ans, sa voisine à Belleville (Paris, XIe), ne pouvait être tenu pénalement responsable de ses actes. La cour d’appel, puis la Cour de cassation ont suivi. Le fait qu’un procès ne puisse se tenir a suscité l’émotion des proches de la victime, et la déception et la colère des représentants de la communauté juive. Alors, ce juif d’origine pied-noir s’est senti « désigné à la vindicte ».
Des internautes furieux assaillent la fiche Google de son cabinet, installé à Versailles (Yvelines). Sa boîte mail enregistre d’autres messages violents, le plus souvent anonymes. Et puis, il y a ces mots sans menace, mais douloureux. « J’espère que le souvenir de Sarah Halimi te hantera longtemps », lui assène un inconnu.
Paul Bensussan encaisse. Il cite son mentor, l’ancien professeur de neuropsychiatrie, Serge Brion. Dans les années 1980, alors interne, il écoutait avec avidité cet expert judiciaire évoquer ses analyses des parents du petit Grégory, de Francis Heaulme, du cannibale Issei Sagawa. « Un jour, il m’a dit, en réponse à ma question sur un dossier très sensible : Dans un rapport d’expertise, je dis ce que je pense, sinon il ne fallait pas me le demander. Cette phrase de simple bon sens, mais aussi de courage professionnel, m’a guidé toute ma vie. »
« J’ai peu de goût pour les indignations consensuelles »
Cette belle gueule aux traits bruts, à la mâchoire carrée et au regard bleu gris, prend plaisir dans le contre-courant. « J’ai peu de goût pour les indignations consensuelles », concède-t-il. Bravache ? « Si j’étais psychologue, je dirais qu’il souffre d’une surestimation pathologique du moi », cingle Me Francis Szpiner, avocat des enfants de Sarah Halimi.
La subversion lui a permis de se faire un nom. Le 17 mai 2004, Libération lui accorde une double page d’entretien. L’affaire d’Outreau se joue devant la cour d’assises de Saint-Omer (Pas-de-Calais). Dix-huit enfants doivent témoigner de violences sexuelles qu’ils auraient subies de la part de 17 adultes du voisinage. Paul Bensussan ne fait pas partie des experts cités dans l’affaire. Son interview porte sur le thème des fausses allégations, sa spécialité. « Prendre la parole d’un enfant au sérieux ne veut pas dire la prendre à la lettre », professe-t-il. Le lendemain, la principale accusatrice, Myriam Badaoui, disculpe la quasi-totalité de ses voisins. Des enfants ont menti. Pour l’expert, la tournée des médias commence…
Éric Dupond-Moretti, qui défend l’une des femmes accusées à tort, l’appelle à la barre de la cour d’appel de Paris l’année suivante. L’enceinte l’entend étriller le travail de ses confrères. Eux lui reprochent de ne même pas avoir examiné les enfants. « Ma mission consistait simplement à dire si les expertises étaient conformes aux règles de l’art, objecte-t-il. Je pense avoir démontré qu’elles ne l’étaient pas… »
Bête noire des féministes
Rictus : manière de sourire et de montrer les crocs. L’homme est un fauve aux manières délicates. Il se lève, traverse la baie vitrée qui sépare son jardin de son bel intérieur couleur ocre, fouille dans ses dossiers. Langage châtié, toutes griffes dehors. « Si la parole de la présumée victime est sacrée, si elle ne doit être ni interprétée, ni analysée, ni décryptée, nul besoin d’expert, ironise-t-il. L’accusation vaut preuve… »
Le discours porte. Les juges sollicitent son analyse dans le cadre de séparations conflictuelles. Surtout celles entachées d’accusations d’inceste. En 2018, le ministère de la Justice incrimine pourtant la théorie sur laquelle il a fondé une partie de sa carrière. Le syndrome d’aliénation parentale, au cœur de son premier livre, « L’Inceste, le piège du soupçon » (1999), voudrait que certains enfants se retournent contre l’un de leurs parent, sous l’influence de l’autre. Jusqu’à porter les accusations les plus graves. Une note d’information avertit les magistrats du « caractère controversé et non reconnu » du postulat. Rien n’y fait.
« C’est un psychiatre et sexologue de formation qui ne reçoit jamais d’enfant en consultation. Et on l’élève en référence dans les conflits de droit de garde… » persifle le psychiatre Gérard Lopez, lui-même expert judiciaire, et cofondateur de l’Institut de victimologie de Paris.
Les milieux féministes en ont fait leur bête noire. Céline Piques, du collectif Osez le féminisme !, connaît bien ces « théories anti-victimaires » qui nuiraient aux femmes. « Cela fait 20 ans qu’il permet à un certain nombre de pères incestueux d’obtenir la garde de leurs enfants », s’indigne-t-elle. Deux fois père et divorcé, l’intéressé hausse les épaules. « Les passionarias prétendent que l’aliénation parentale relèverait du négationnisme de l’inceste… En réalité, on trouve aujourd’hui quasiment autant de mères que de pères qui souffrent d’un rejet de leur enfant. »
Menacé de mort
Ses interventions et ses tribunes, dans les colonnes souvent réac’ de Causeur ou du FigaroVox, irritent les présidents de cours d’assises ou les avocats de parties civiles. L’époque est à la libération de la parole ? Lui se demande, dans la Gazette du Palais, si #MeToo et #Balancetonporc n’annoncent pas « la guerre des sexes ». Et rabroue la « psychologisation du droit », qui voudrait que « le but premier d’un procès » soit « la thérapie de la victime ».
« Paul assume ses positions quand il est minoritaire. Est-ce qu’il y a de la provoc’ ? Il y a en tout cas du courage », soutient Roland Coutanceau, autre star de l’expertise judiciaire. Le psychiatre préfère retenir « des expertises plus fouillées, plus intéressantes que la moyenne ». Et met en garde : « Il a été caricaturé comme le défenseur des hommes. Mais ceux qui le combattent ont intérêt à lui mettre cette étiquette dans le dos. »
Récemment, Paul Bensussan est allé porter plainte pour des menaces de mort reçues sur les réseaux sociaux. Il était intervenu dans le dossier de Julie, une adolescente accusant 22 pompiers de l’avoir violée de ses 13 à 15 ans. Il a décelé chez elle des « traits de personnalité franchement pathologiques », avec une « propension à la fabulation ». Les soutiens de la jeune femme voient rouge. Le CV de l’expert est connu… Il s’agace. « Nombre de psychiatres ou d’experts s’expriment beaucoup plus que moi, mais ils sont dans le camp du bien. Donc, on ne les accuse pas de parti pris. »
Début mai, la cour d’assises de la Savoie a rejeté son expertise psychiatrique de Nordahl Lelandais, jugé pour le meurtre du caporal Arthur Noyer. En cause, un de ses passages sur France 5. En 2018, l’émission « C Dans l’Air » prophétise sur les « aveux d’un tueur en série », bousculant la présomption d’innocence. L’invité a beau y être étranger, voilà son impartialité remise en cause, une fois de plus. Le prix de la médiatisation ? Sur ce procès-là, l’expert ne posera pas de diagnostic.