Entretien avec Samuel Thomas, ardent défenseur des droits des minorités, inquiet par la persistance d’un climat d’antisémitisme latent en Alsace.
Samuel Thomas est le président de La Maison des Potes. L’association anti-raciste s’est constituée partie civile dans le procès des 5 jeunes condamnés en 2017 pour avoir profané 250 tombes juives au cimetière de Sarre-Union, dans le Bas-Rhin, en février 2015. La Maison des Potes a fait appel du jugement et réclame que le préjudice moral soit retenu.
Rue89 Strasbourg : L’audience du procès en appel des 5 profanateurs du cimetière de Sarre-Union s’est tenu le 18 mai, à la Cour d’appel de Colmar. Pourquoi avez-vous fait appel en tant que partie civile, et qu’avez-vous pensé de l’audience ?
Samuel Thomas, président de la Maison des Potes : L’audience s’est bien passée et j’ai trouvé les juges très attentifs. Je suis plutôt confiant mais on ne peut jamais être sûr. Quand ils ont prononcé les peines en septembre 2017, et que le tribunal de Saverne a ensuite annoncé en septembre 2018 les réparations pour les parties civiles, les juges ont décidé que les jeunes répareraient le préjudice matériel, c’est à dire les 250 tombes profanées, mais ils ont aussi déclaré qu’il n’y aurait pas de réparation du préjudice moral versée aux associations de lutte contre le racisme, pour le caractère antisémite des délits commis. C’est extrêmement grave. On peut donc faire peur aux juifs de France et du monde, on peut crier « Heil Hitler » et « mort aux juifs », mais il n’y a pas de préjudice moral.
Pour la première fois depuis 1972 et la loi Pleven (qui a donné le droit aux associations anti-racistes d’être partie civile dans le cas d’injures racistes ou d’incitations à la haine raciale, ndlr), dans un cas où le caractère raciste d’un délit a été établi par le tribunal, les associations sont déboutées. C’est du jamais vu. D’autant plus que c’est la plus importante affaire de profanation à caractère antisémite en France, depuis l’affaire du cimetière juif de Carpentras en 1990.
Rue89 Strasbourg : Pourquoi est-ce « extrêmement grave » qu’il n’y ait pas de préjudice moral dans ce cas précis selon vous ?
S. T. : C’est une question de fond. Est-ce que lorsqu’on commet un acte antisémite, on le « répare » comme quand on casse une vitrine de supermarché ? Les Gilets jaunes qui ont cassé des vitrines sur les Champs-Elysées ont écopé de peines de prison ferme. Mais quand on détruit 250 tombes d’un cimetière juif, la peine est moins lourde (les jeunes ont été condamnés de 8 à 18 mois de prison avec sursis en septembre 2017, ndlr) ?
Les réparations matérielles, au final, ce seront les assurances des parents de ces jeunes qui vont les payer (847 000 euros avaient été réclamés par le Consistoire israélite du Bas-Rhin, gestionnaire et propriétaire du cimetière, ndlr). D’ailleurs c’est pour cette raison que ça traîne depuis plusieurs années : les différents experts des assurances bataillent pour chiffrer les réparations. Donc au final, ces 5 jeunes n’auront rien sorti de leurs poches ! Pas 1 euro !
Mais, cela me semble important que les jeunes eux-mêmes réparent le mal qu’ils ont fait, au moins symboliquement. Depuis 1986, c’est en Alsace que se concentrent 90% des profanations de cimetières juifs, selon une enquête de Nicolas Lebourg (historien spécialiste de l’extrême droite, ndlr). Il y en a encore eu beaucoup ces trois dernières années, pour lesquelles personne n’est arrêté. Pour une fois qu’on a arrêté les auteurs, ils pourraient ne pas payer pas de dommages et intérêts ?! Cela envoie un terrible message d’impunité !
Rue89 Strasbourg : Pourquoi y a-t-il autant de profanations et d’actes antisémites en Alsace ?
S. T. : Peut être parce qu’il y a une proximité avec les néonazis allemands. Ils traversent la frontière, pour former des gens en France. C’est une terre de mission pour eux. Notamment parce qu’ici, c’est beaucoup plus permissif. En Allemagne, si un policier assiste à un concert où il y a un salut nazi, le concert est arrêté. En France, on prend la photo de l’auteur et la fête continue. Cet hiver, il y a eu une grande réunion de skinheads allemands, qui ont réussi à se retrouver pendant tout un week-end, dans un hôtel-restaurant en Alsace. Les propriétaires ont fermé les yeux sans problème. J’en déduis que la police française et les autorités n’ont pas la sévérité des polices allemandes.
Ce sont des choix politiques. L’antisémitisme et la lutte contre le racisme ne sont pas une priorité en France, contrairement à la lutte contre le djihadisme. La justice ne mobilise pas de brigade spécialisée, avec des policiers formés pour enquêter dans ces réseaux. Résultat : ce sont soit les chercheurs, soit les associations, soit les journalistes qui enquêtent là-dessus.
Nous on souhaite alarmer sur une chose : on ne peut pas avoir 90% de ces délits antisémites concentrés en Alsace depuis 1986, et n’attraper à chaque fois que des gamins racistes de 17 ans qui se revendiquent du national socialisme. Il y a forcément des chefs, des adultes, derrière, qui endoctrinent ces gamins. Et ils envoient des mineurs commettre ces actes, car la peine sera plus faible. On le sait, il s’agit pour eux d’un rite d’initiation pour entrer dans des groupes néo-nazis. Donc il faut d’une part condamner lourdement ces jeunes pour que le message passe, mais il faut surtout un vrai travail d’investigation, et de démantèlement de ces groupes qui fabriquent de dangereux néo-nazis.
Le jugement du procès en appel sera rendu le 6 juillet à Colmar. Le montant des réparations financières devrait être quant à lui annoncé en septembre 2021 par le tribunal de Saverne, soit près de 4 ans après le jugement.