Sur les réseaux sociaux, les photos et vidéos de soutien se multiplient dans les deux camps. Une bataille virtuelle qui nourrit un sentiment de colère et d’insécurité.
C’est une claque devenue mondialement connue. Le 15 avril, une vidéo publiée sur TikTok montre un jeune Palestinien gifler deux juifs orthodoxes dans le tramway de Jérusalem. La séquence devient virale, à tel point que les médias israéliens s’inquiètent que ce geste ne devienne une nouvelle mode sur les réseaux sociaux. Certains parlent même de « TikTok Intifada ».
La vidéo de la gifle a exacerbé les nouvelles tensions à Jérusalem. Prétextant plusieurs agressions du même genre, filmées sur TikTok, le groupe suprémaciste juif Lehava a organisé une marche le 22 avril pour « restaurer la dignité juive ». Les réseaux sociaux ont alors été inondés d’images de ces manifestants criant « Mort aux Arabes ! ». Des captures d’écran de conversations entre juifs ultranationalistes voulant « casser de l’Arabe » ont été reprises sur les groupes Instagram partagés par la population palestinienne.
Des vidéos de lynchages de juifs se sont en même temps multipliées sur les plateformes. « Tout cela alimente un sentiment de colère et d’insécurité, analyse Amélie Férey, chercheuse au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po et ancienne professeure au lycée français de Holon, en Israël. J’ai été frappée par le nombre de vidéos qui circulaient chez les Palestiniens et la violence de celles-ci. On avait l’impression qu’à chaque instant il y avait des lynchages des deux côtés dans tout le pays. »
Une guerre des images
Ces vidéos, très courtes, se partagent sans vérification et s’accompagnent de très peu de contexte. Une séquence du 10 mai qui montre des Israéliens faisant la fête devant l’incendie de la mosquée Al-Aqsa a ainsi été mondialement relayée. En réalité, seul un arbre à côté de l’édifice religieux avait pris feu à la suite des violences sur les lieux et les célébrations israéliennes se tenaient à l’origine pour la Journée de Jérusalem, commémorant la conquête de la ville, en 1967.
Les deux camps mènent donc une guerre des images pour défendre leur cause. Un conflit en ligne qui se joue à coups de hashtags, de stories et de photographies d’enfants en pleurs. Plusieurs comptes Instagram deviennent ainsi des références à suivre. C’est le cas de Mohammed et Muna El-Kurd (respectivement 387 000 et 900 000 abonnés sur leur compte Instagram). Ces Palestiniens particulièrement actifs ces derniers jours partagent leur quotidien dans Jérusalem-Est et deviennent un substitut des médias traditionnels, pas assez représentatifs selon la population palestinienne.
Muna El-Kurd, qui se présente comme journaliste, a ainsi lancé le hashtag #savesheikhjarrah sur Instagram il y a plusieurs mois pour alerter sur la situation de son quartier où s’installent des colons. La jeune militante a aussi partagé une vidéo où elle accuse un homme de lui voler sa maison. « Si je ne la vole pas, quelqu’un d’autre la volera », lui répond le colon israélien, dans cette séquence vue des centaines de milliers de fois.
Drapeau israélien ou drapeau palestinien
Sur TikTok aussi, une véritable bataille virtuelle a lieu. Du tuto maquillage à la vidéo animalière, la jeunesse palestinienne adapte tous les codes « tiktokiens » pour défendre ses droits. Mais ils ne sont pas les seuls à maîtriser ce langage 2.0. Dans le camp d’en face, Tsahal, l’armée israélienne, partage plusieurs fois par jour des vidéos sur Twitter pour gagner l’adhésion de la communauté internationale. « L’armée israélienne est à la pointe de l’utilisation des réseaux sociaux, comparés à d’autres, parce que les conscrits sont des citoyens très jeunes, entre 18 et 21 ans, explique Amélie Férey. Il est naturel pour eux d’utiliser ces réseaux. »
De jeunes militaires israéliennes ont repris un jeu très binaire comme on en voit souvent sur TikTok, où l’internaute doit faire un choix entre deux options. Les dilemmes proposés sont généralement bon enfant : brocolis ou chocolat, chien ou chat. Les jeunes combattantes, elles, doivent choisir entre drapeau israélien et drapeau palestinien et sélectionnent à chaque fois la première option. Ces vidéos accompagnées du hashtag #standwithisrael, sont passées de 9 millions à 22 millions de vues entre le 14 et le 16 mai. La jeunesse palestinienne n’a pas tardé à reprendre le même modèle pour détourner le message d’origine.
Une bataille numérique étendue au monde entier
La bataille numérique s’est étendue au monde entier. Des milliers d’anonymes ou des personnalités affichent leur soutien sur leurs réseaux. « Les générations futures se demanderont, incrédules, comment le monde a pu laisser les Palestiniens souffrir ainsi pendant autant d’années. C’est une tragédie humaine à laquelle on assiste », a publié sur Instragam la mannequin américaine d’origine palestinienne Bella Hadid, qui a multiplié les hommages en ligne ces derniers jours.
Les prises de position sont plutôt partagées, note Amélie Férey. « Il n’y a pas d’injonction morale à soutenir la cause palestinienne sur les réseaux, développe-t-elle. Cette dernière ne fait pas autant consensus que la défense des Ouïgours, par exemple. » Comme toujours sur les réseaux sociaux, tout est affaire d’algorithme. DJ Khaled, producteur américain, lui aussi d’origine palestinienne, s’est pourtant attiré les foudres des internautes pour son absence de communication. Le 16 mai, il a finalement partagé sur Twitter la vidéo d’un jeune rappeur palestinien de 12 ans déclamant son texte entre les décombres d’immeubles. Un extrait déjà vu des millions de fois.