Sous l’« antisionisme », la haine et le cynisme, par Etienne Gernelle

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De Mediapart aux Insoumis, inévitablement, on entendra encore les mêmes jongleurs, dissertant sur la manière d’être « antisioniste » sans être antisémite.

Ah, toutes ces manifestations monstres en soutien des Ouïgours, tous ces défilés en solidarité avec les centaines de milliers de musulmans massacrés par l’État islamique en Syrie et en Irak, par les talibans en Afghanistan ou par Boko Haram au Nigeria, au Cameroun et au Tchad… Vous n’avez pas remarqué ? C’est normal, il n’y en a pas eu tant que cela… En revanche, pour Gaza, là, on se bouscule. Rien à voir, bien sûr, avec le fait que, dans ce cas-là, c’est Israël que l’on montre du doigt…

Il faut pourtant le redire : non seulement les premières victimes des islamistes sont les musulmans, et de très loin, mais personne ne tue autant de musulmans que les islamistes. Pourtant, les années passent, et le problème, c’est encore et toujours Israël… Curieuse insistance. Selon une formule attribuée à Churchill (mais qui semble antérieure), « un fanatique est un homme qui ne change pas d’avis et ne veut pas changer de sujet »

Mot de rechange 

La tartuferie à laquelle on a encore assisté ces jours-ci chez nous, alors que le brasier israélo-palestinien se ravive, laisse d’abord pantois, puis devient franchement inquiétante. La question de savoir s’il fallait interdire ou pas certaines manifestations mérite évidemment d’être posée mais ne saurait occulter le sujet qu’elle souligne : la puissance de cet antisémitisme à peine voilé. À Lille, on a vu une croix gammée sur une banderole, associant le symbole nazi à l’État d’Israël. Des slogans antisémites ont été entendus à Bruxelles et à Londres. En Allemagne, des drapeaux israéliens ont été brûlés devant des synagogues, l’une d’elles recevant des jets de pierres. Arrêtons d’ergoter, l’obsession, pour beaucoup, ne résulte pas des – réelles – souffrances des habitants de Gaza, mais de la haine des juifs. Parfois de manière ouverte, souvent en utilisant le mot de rechange, celui de « sioniste ».

Inévitablement, on entendra les mêmes jongleurs, dissertant sur la manière d’être « antisioniste » sans être antisémite. C’est notamment le cas de Mediapart, qui s’est donné beaucoup de mal ces dernières années pour légitimer un antisionisme « éclairé ». Sauf que, statistiquement, on sait à quoi cela sert, comme les « sale sioniste » lancés en 2019 à Alain Finkielkraut sur le boulevard du Montparnasse, à Paris, lieu qui n’est pas tout près des rives du Jourdain… On sait l’usage fait de ce mot par les islamistes, par Alain Soral ou encore par Dieudonné. Personne ne peut l’ignorer.

« Osloiste »

Et puis il faudra que l’on nous instruise sur ce que signifie l’antisionisme après la création de l’État d’Israël en 1948. Signifie-t-il la destruction de celui-ci ? S’arrête-t-il aux résolutions de l’ONU ou bien à la mer ? Il faudrait aussi expliquer en quoi il est nécessaire de se dire « antisioniste » pour demander l’arrêt des implantations en Cisjordanie, ou souhaiter la création, à côté d’Israël, d’un État palestinien viable. Ou tout simplement dire le mal que l’on pense – il y a des arguments – de la politique en la matière de Benyamin Netanyahou. On pourrait aussi, si on veut, se dire « osloiste », en référence aux accords de paix d’Oslo de 1993. Mais non, « antisioniste », c’est mieux…

Certains, au sein de la gauche, ne semblent pas trop gênés par ce terme. Il faut dire qu’une partie d’entre elle a du mal à ouvrir les yeux sur ce qui se passe chez nous, d’EELV, qui a mis des semaines à voter une motion sur l’antisémitisme au conseil municipal de Strasbourg (et encore, dans une version édulcorée), à Jean-Luc Mélenchon, qui a sauté sur l’occasion du réveil du conflit au Proche-Orient pour en faire un débat entre « l’extrême droite israélienne » et « les Palestiniens », omettant au passage le Hamas et ses roquettes. Mélenchon, encore, qui célèbre dans le même temps la journée contre l’homophobie sans se demander si les droits des homosexuels ne seraient pas plus garantis en Israël qu’à Gaza… Mélenchon, enfin, qui dans un billet de blog en 2019 pointait les « ukases arrogants des communautaristes du Crif », au moment de la défaite électorale au Royaume-Uni de son ami Jeremy Corbyn, dont la mouvance – il l’a d’ailleurs reconnu – a largement trempé dans l’antisémitisme et avait pour cela reçu des critiques du grand rabbin britannique.

Cynisme

Récemment, une responsable de La France insoumise, Julie Garnier, colistière de Clémentine Autain aux régionales d’Île-de-France, a nié les actes antisémites perpétrés à Sarcelles en 2014. Faits pourtant avérés, et graves.

Et puis, que dire du Hamas ? Visiblement, cela ne gêne pas beaucoup les Insoumis, par exemple, de flatter des manifestations dans lesquelles on soutient ce mouvement totalitaire et terroriste. Ils ont d’ailleurs du mal à trouver les mots le concernant. Comme s’il était normal, pour des Palestiniens, de vivre sous ce joug… Vieux réflexe colonial ? Constatons en tout cas que le compagnonnage avec les « antisionistes » et la condescendance à l’égard des Arabes peuvent très bien se combiner. Avec une bonne dose de déni, de cynisme et de tartuferie pour enrober le tout.

Etienne Gernelle

Source lepoint