Aux côtés de l’engouement pour les séries et la gastronomie israéliennes, existe également une vague pour les polars venus de ce pays.. Si vous avez fini tous vos Henning Mankell et vos Mary Higgings Clark, il est temps de découvrir Batya Gour, Dror Mishani ou Dov Alfon…
En Israël, le Polar fait fureur
Le polar est vieux comme le monde. Le plus ancien écrit serait Œdipe Roi de Sophocle, cinq siècles avant notre ère, où Œdipe mène une enquête pour retrouver l’assassin du roi Laïos. On considère que le premier ouvrage de référence « officiel » est « Double assassinat dans la rue Morgue » d’Edgar Allan Poe. Le roman policier est universel, dans le temps et dans l’espace. Il est américain, français, scandinave, coréen… et aussi israélien.
La littérature israélienne surfe sur la vague du polar au cinéma. Le succès de Fauda est planétaire. Et les romans noirs connaissent un engouement avéré dans le pays où coulent le lait et le miel.
Citons pour exemple deux livres, parus récemment en France. Le roman Une, deux, trois de Dror Mishani fut pendant 10 semaines le numéro 1 des listes de best-sellers en Israël. Unité 8200 de Dov Alfon connut aussi un succès fulgurant. Les droits de traduction ont été vendus en 14 langues, et il a été récompensé par de nombreux prix internationaux.
Les raisons du retard à l’allumage
Quelles sont les raisons de l’implantation tardive du polar en Israël ? C’est un pays jeune, qui vient de fêter ses 73 ans d’existence. Et les romans de Batya Gour datent seulement des années 1990.
Mais cette réalité historique ne suffit pas pour comprendre le manque d’intérêt des israéliens. Certes, il ne faut pas analyser la situation sous le prisme de la France : le public français a été toujours passionné par les intrigues policières.
Les Juifs ont de tout temps eu la passion de la littérature, comme écrivains et comme lecteurs. Ils sont le peuple du livre. Israël est riche d’auteurs tels Samuel Agnon, Aharon Appelfeld ou Etgar Keret.
Mais le polar a longtemps été considéré en Europe comme une sous-littérature, une littérature de gare. L’État hébreu n’échappe pas à la règle. Dans une interview de 2016, Dror Mishani racontait l’anecdote suivante : « Je venais de terminer ma conférence sur l’œuvre d’Agatha Christie, quand un monsieur m’aborde et me félicite. C’était vraiment passionnant. Mais répondez-moi franchement : vous croyez vraiment que les romans policiers, c’est de la littérature ? «
Last but not least, le métier de policier n’y est pas prestigieux, car il souffre de la comparaison avec l’armée. Celle-ci est un liant puissant dans un pays, où la sécurité est une priorité absolue. Là-bas, le soldat est un héros.
Les fonctionnaires de police sont mal payés et mal considérés par la population. Une blague circule en Israël : « Pourquoi les policiers sont-ils toujours par deux ? Parce qu’il y en a un qui sait lire et l’autre qui sait écrire… ! L’israélien moyen rêve d’être médecin ou avocat, pas flic. Et si tel est le cas, la famille se lamente de ce choix le plus souvent.
Ce sont les crispations sociales qui ont favorisé l’émergence du polar. Les bouleversements et les tensions du pays ont accéléré le phénomène.
Le roman noir est le reflet des sociétés déstabilisées, fragilisées. Et les motifs ne manquent pas : l’immigration clandestine, les conflits avec les arabes, les relations entre laïcs et religieux, ou entre ashkénazes et séfarades, ….
Batya Gour fut la pionnière
Elle est née en 1947 à Tel Aviv et est décédée en 2005 à Jérusalem. Ses parents sont des survivants de la Shoah. Elle passe plusieurs années aux Etats-Unis avant de revenir s’installer à Jérusalem, où elle enseigne la littérature à l’Université hébraïque. Elle collabore également au quotidien israélien Haaretz. Batya Gour commence à écrire à 41 ans. Dans chacun de ses six romans (Meutres à…), le personnage emblématique est le commissaire principal Michaël Ohayon. C’est un flic débonnaire et têtu. Il se soucie peu des pressions de sa hiérarchie, car seule la recherche de la vérité l’intéresse. On retrouve souvent les traits de caractères de cet officier dans la littérature policière israélienne. Les romans de Gour nous montrent la vie israélienne, les conflits internes à la société, sans oublier le contexte géopolitique. Et ses personnages sont souvent inspirés de faits réels.
Ses enquêtes ont été traduites en 12 langues et ont rencontré un énorme succès. Batya Gour est surnommée « l’Agatha Christie » ou « la P. D. James » israélienne.
La relève est présente et bien représentée
L’auteur de thrillers le plus connu en Israël Liad Shoham est né en 31 décembre 1971 dans la banlieue de Tel-Aviv. Fils d’un diplomate du Ministère de la Défense d’Israël, il passe une partie de son enfance à Paris. L’écrivain est diplômé en Droit de l’université hébraïque de Jérusalem, avant d’étudier le Droit commercial international à Londres. Il est membre du barreau d’Israël.
Il a écrit trois polars, Oranges amères est le dernier.
Un journaliste de Marianne lui posait la question suivante de 2014 : « Comment êtes-vous venu à la littérature policière ? » : « Franchement par hasard et sans trop le vouloir. Pour me détendre de mes activités d’avocat commercial, j’ai commencé à écrire…mais sans aucun rapport avec l’univers du polar. Puis, un beau jour, un éditeurs m’a suggéré de lui faire une proposition et, bien que totalement novice, nous nous sommes finalement orientés vers un polar. »
Avraham Avraham
Dror Mishani a vu le jour le 23 juin 1975 à Holon, au Sud de Tel-Aviv. Son père est un juif originaire de Syrie, arrivé en Israël dans les années 1920. Sa mère, d’origine hongroise, vit toujours à Holon. Il est marié à une Polonaise de Varsovie, catholique pratiquante, avec qui il a des enfants.
C’est un universitaire spécialiste de l’histoire du roman policier. Son deuxième roman, La Violence en embuscade, fut le premier polar en lice pour le prix Sapir, le Goncourt israélien. Une disparition inquiétante a été portée à l’écran en France, « Fleuve noir », avec Vincent Cassel et Romain Duris.
Le personnage principal est Avraham Avraham. C’est un policier solitaire, introverti, un peu pataud.
La Rolls du renseignement militaire
Dov Alfon est né en 1961 à Sousse en Tunisie (sous protectorat français jusqu’en 1956). Il commence à écrire à l’âge de cinq ans, saute deux classes et publie sa première nouvelle à l’âge de neuf ans dans Spirou. Il est inscrit au lycée Henri-IV à Paris, quand un incident les contraint à quitter la France. La famille s’installe à Ashdod. Il fait des études de sociologie puis de communication à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il fut le directeur éditorial de Kinneret-Zmora, la plus grande maison d’édition israélienne. Il fait découvrir des jeunes auteurs, comme Liad Shoham. Il est rédacteur en chef du Haaretz, et en 2020 il devient directeur du quotidien Libération. Son roman Unité 8200 est une plongée dans le monde du renseignement électronique et du décryptage des données en Israël, avec une intrigue haletante.
Les autres auteurs
Le fait de les citer seulement n’enlève rien à leur qualité individuelle. Il a fallu faire un choix subjectif pour ne pas alourdir l’article : Shoulamit Lapid et Tempête sur Beersheva, Yishai Sarid et Le poète de Gaza, Igal Shamir et Le violon d’Hitler, Shlomo Sand et La mort du khazar rouge ou Yonatan Sagiv et Secret de polichinelle. Et la liste n’est pas exhaustive.
Le roman policier a trouvé tardivement son public en Israël, pour les raisons données dans cet article. Batya Gour était bien seule quand elle a ouvert la voie. Depuis la situation a changé. Il existe aujourd’hui une réelle appétence pour la littérature policière, qui a su se diversifier, et capter un public de plus en plus nombreux. Contrairement à ce que nous pourrions penser, l’essor des séries et des films policiers n’est pas un frein, dans ce pays, à la littérature de même obédience. Le cinéma et les romans ne sont pas dans une situation de concurrence, mais de synergie.
Les polars israéliens sont maintenant connus de la population du pays, et dans le monde entier. Vu sous cet angle, Israël est devenu un pays comme les autres.