Pour les tunes qui en rêvent encore : l’exode à la plage, dès la fin du mois de juin

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Aujourd’hui, Laurie Boutboul nous parle d’un rite connu de tous les tunisois, l’exode vers les plages de la banlieue de Tunis, où l’on partait chaque année passer les mois d’été.

Rassurez-vous, cet exode n’a rien de triste! Top départ! 30 Juin 1965. Beaucoup de juifs tunisiens quittaient le «four» (« coucha », disait mon père) qu’était Tunis en été pour passer leurs vacances dans les villes de la côte : Khereddine, L’aéroport où nous avions notre propre villa , Le Kram, La Goulette, Carthage, La Marsa….

Ils louaient (fort cher) aux habitants locaux de jolies villas au bord de la mer et les locaux s’exilaient pour deux mois. Les valises sont enfin fermées, pleines à craquer de draps, shorts, débardeurs, jupes, robes, toujours fleuries pour ma mère Tounette qui aimait les fleurs sous toutes leurs formes. Dans la nature, dans notre jardin, sur notre table de Shabbat, accrochées aux murs, sur ses robes…

Petit rappel : en été sur sa table de nuit trônait toujours un petit bouquet de quelques fines branches de jasmin aux fleurs si délicates, cueillies dans notre jardin de la «jolie maison de la plage». Au petit matin les fleurs blanches avaient perdu leur odeur. Elles étaient tombées mais aussi vite renouvelées… Chez nous, pas de place pour les fleurs fanées!!!!

Revenons à notre déménagement! Le «Frigidaire», vestige du mariage de mes parents, près de l’escalier, prêt pour sa grande promenade de l’été…vide, bien blanc car repeint comme chaque année avant les vacances, par ma mère.

Les lits en métal qui sentent le «fly tox» (insecticide), renversés, leurs quatre pieds en l’air; les matelas en laine aux bourrelets cousus si serrés par les mains graciles et expérimentées des spécialistes chargées chaque année avant Pessah d’en extraire la laine, la laver, la sécher (sur la terrasse) afin de lui redonner son côté aérien avant d’en remplir de nouveau les matelas; les coussins d’un blanc immaculé, eux aussi vidés, au printemps de leurs entrailles et de nouveau remplis de nuages de kapok vaporeux…pour des siestes pleines de songes légers !!!!

La cuisinière briquée de près, dont l’unique tuyau pendant et apparent sent encore le gaz; les plateaux du four légèrement et inexorablement brûlés par les années, qui manquent d’en tomber et qui donnaient cette apparence et ce goût si exceptionnel aux pizzas et boulous de notre jeunesse….

Enfin dans ce vacarme propre et ordonné, malgré tout, nous, enfants courions d’une chambre à l’autre pour voir si nous n’avions pas oublié d’ajouter une poupée, une trottinette, un vélo, un ballon de volley!!!!!

Et bien entendu, notre magnifique Rzela qui rajoutait à l’agitation ambiante en jetant un dernier verre d’eau (beaucoup sur le sol et un peu sur nous), pour que nous revenions tous en bonne santé en septembre! La bonne humeur était au rendez-vous mais gare à la glissade!

Tout ce tohu-bohu chargé dans une charrette en bois aux roues pas très fiables, tirée par un âne entouré de mouches à cause des grands aises qu’il prenait…..Quel tableau!

Et voilà que le cocher ordonne à sa bête d’avancer dans un langage inimitable, inconnu de nous, en faisant tourner et claquer sa langue! On essayait bien de l’imiter mais l’âne n’obéissait qu’à son maître! Mon père et trois enfants surexcités suivaient en voiture….

De nombreuses autres charrettes se saluent et avancent à la queue leu leu, cahin-caha, tout doucement sous le soleil de plomb des premiers jours d’été, pour rejoindre les plages à 10 kms environ de la capitale (Tunis). Il fallait une bonne heure au cortège de carrioles chargées de bric et de broc pour arriver à destination.

Les ânes ou parfois même, les chevaux laissaient des traces «odorantes» de leur passage comme le Petit Poucet laissait ses petits cailloux pour retrouver son chemin….Leur sabots s’enfonçaient légèrement dans le goudron noir jais de la route devenue depuis peu «l’autoroute de La Goulette».

Je ferme les yeux et j’entends encore à mes oreilles le doux son de leur trot lourd et lent mais régulier et assourdi par le bitume brûlant, comme une même note de musique sur un clavier…. Imaginez aujourd’hui, une procession de charrettes avançant  à 10 kms à l’heure sur une autoroute…. Le délire!

On passait devant le lac de Tunis qui exhalait des odeurs «fortes» et qui nous faisaient exagérément hurler de rire ….et fermer les fenêtres de la voiture, malgré la chaleur ambiante, lac qui donnait malgré tout des soles savoureuses d’après mon père et mon beau père, des connaisseurs!

Enfin, on arrivait devant notre « jolie maison de la plage » où ma mère nous avait précédés….pour nous servir après ce long périple, ses merveilleuses tranches de poisson en sauce rouge(en général du pagre), réconfortantes à souhait, dans laquelle reposaient des quartiers de pommes de terre délicatement parfumées au cumin….

Les déménageurs, un sac de jute sur la tête, vidaient notre cargaison. Mon père ,lui, vidait le coffre de sa voiture des valises puis des fruits qui allaient aussitôt trouver le chemin de la fraîcheur du frigidaire.

Le frigidaire toujours plein à craquer, en été surtout : les énormes demies pastèques de 10kg au moins, pleines de petits délices noires alignés que l’on aimait grignoter après le dessert, melons jaunes de Beja, fermes mais au goût suave des fruits mûris au soleil de la Méditerranée sur une terre sèche mais qui donnait ces fruits si sucrés que l’on pouvait en manger la peau(sic), pêches plates comme des soucoupes volantes juteuses et au goût du miel, amandes fraîches et vertes toutes recouvertes de duvet qui attestait qu’elles venaient d’être fraîchement cueillies, dans un joli petit filet vert tout aussi doux, (pas de place pour le plastique!), des abricots en cœur d’un orange vif et rougeoyant, fruits sucrés et si fragiles qu’il fallait les mettre à l’abri, dans une soucoupe haute pour leur éviter d’être gâtés au gré de nos descentes nocturnes et sauvages dans le frigidaire! Ça c’était pour l’après, pour le dessert!

Ma mère en tablier fleuri (cela va sans dire!) nous servait d’abord, copieusement de ce poisson au goût subtilement épicé. Elle savait parfaitement manier l’art de cuisiner avec des épices mais sans jamais exagérer pour ne pas masquer le goût des ingrédients…. Du grand art!

Je ne sais pas pourquoi, elle ne cuisinait ce plat qu’une fois par an, toujours lors de notre arrivée à la maison de la plage…. Un rituel! Mon père disait «l’Aadè»! Un avant goût d’un été de folie! Inutile de vous dire que chaque fois que je déménage, je cuisine aussi du poisson….et de cette façon!

On l’appellera : Le Poisson du déménagement.

Pour 12 personnes….si vous comptez le cocher, les déménageurs, les femmes de ménage, la famille….le compte y est!

6 belles tranches d’un gros poisson style Mérou (ou Pagre pour les rêveurs…..) ou 12 tranches de mulet par exemple.
12 grosses pommes de terre.
2 petites boites de concentré de tomates.
6 grosses dents d’ail.
Un bon filet d’huile d’olive (1/2 verre).
2 gros poivrons rouges.
1 cc d’harissa.
Quelques piments verts piquants.
1 cc de cumin.
Sel.

Dans une casserole assez large pour y loger 6 grosses tranches de poisson, mettre sur feu moyen l’huile, l’ail haché, le concentré de tomates, l’harissa, le sel, les poivrons coupés en grosses lanières, les pommes de terre coupées en 4 dans le sens de la longueur, et un bon verre d’eau , pour 10mn à couvert.

Au bout de ce temps, poussez un peu les légumes et déposez le poisson sur la sauce, recouvrez le poisson d’un peu de sauce, les piments verts par-dessus, si vous aimez le piquant, pour 15 /20 mn encore à couvert. On rajoute une pincée de cumin et c’est prêt!

Si vous servez ce poisson dans un Tebsi (de Nabeul de préférence), par magie, il prendra l’odeur de l’iode, le son de la mer Méditerranée, la couleur du bonheur, le goût des vacances magnifiques dans «la jolie maison de la plage»…..

Laurie Boutboul

Cette description, c’est aussi celle de mon enfance. Vacances à Khereddine dans ce petit immeuble de l’avenue Habib Bourguiba où logeait une bonne bonne partie de la famille. Notre appartement au dernier étage (second!!) où l’on avait une terrasse qui me semblait si grande. Pendant longtemps, on a fait chauffer sur cette terrasse l’eau de la douche, jusqu’à ce que, peu de temps avant notre exil, on installe une douche, luxe absolu. Merci Laurie d’avoir si bien raconté mes souvenirs, et sans doute ceux de tant de tunisois, qui ont aimé leurs pays qu’ils ne reconnaissent plus.

1 Comment

  1. Nous aussi attendions avec impatience ce moment ou nous allions nous installer à l’ aéroport ,; je me souviens qu’ au mois de mai nous faisions le tour des plages pour trouver un samsar ( marchand de bien) qui nous voyant passer en voiture nous montrait des clefs de villas à louer c ‘ est resté gravé dans ma mémoire .

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