Caroline Fourest : « L’Observatoire de la laïcité s’est déshonoré »

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Pour la militante et essayiste laïque Caroline Fourest, la disparition de l’Observatoire de la laïcité est une bonne nouvelle.

Comme Le Point l’avait annoncé en octobre dernier, l’exécutif n’a pas souhaité reconduire Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène à la tête de l’Observatoire de la laïcité. Le 31 mars, la ministre à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a annoncé devant le Sénat le remplacement de l’Observatoire de la laïcité par deux structures : un haut conseil à la laïcité et une administration de la laïcité. Si, officiellement, le bilan de l’Observatoire n’est pas mis en cause, cette transformation du paysage administratif s’inscrit dans la volonté de reprise en main des sujets de laïcité par l’exécutif. L’Observatoire de la laïcité, qui n’a jamais hésité à s’entourer de militants religieux et décoloniaux pour défendre ses positions, est aujourd’hui soutenu dans une pétition publiée dans Le Monde et signée par 119 universitaires, dont plusieurs sont connus pour le caractère éminemment militant de leurs travaux. Si les pétitionnaires s’inquiètent de la disparition de l’Observatoire, la militante et essayiste féministe laïque Caroline Fourest est forcément d’un avis très différent. Interview.

Le Point : La fin de l’Observatoire de la laïcité est dénoncée dans une tribune d’universitaires publiée dans Le Monde. Pourtant, vous semblez considérer que c’est plutôt une bonne nouvelle…

Caroline Fourest : Le fait que cette tribune soit signée par des universitaires faisant route commune avec des mouvements assimilant toute défense de la laïcité à de l’« islamophobie d’État » démontre bien qu’il était temps de tourner cette page. Les défenseurs de la laïcité sont soulagés. Avec cet observatoire, pendant huit ans, la République s’est tiré une balle dans le pied. Contrairement à ce que veut nous faire croire cette tribune, le problème posé par l’Observatoire ne tient pas à son interprétation de la loi de 1905, mais à sa complaisance invraisemblable envers des mouvements qui la mettent en danger. Le grand tour de passe-passe de Jean-Louis Bianco et de Nicolas Cadène est de faire croire que l’Observatoire aurait dérangé les laïques pour avoir défendu une vision trop équilibrée de la loi de la laïcité… C’est un écran de fumée.

Prenons la question des accompagnantes scolaires. Je refuse qu’on interdise aux mères voilées d’accompagner les sorties scolaires. C’est abusif, car elles ne sont ni élèves ni professeures, et c’est le plus sûr moyen de faire haïr la laïcité aux élèves. Sur ce point, je suis plus proche de l’Observatoire que du Comité Laïcité République, qui se félicite du départ de Jean-Louis Bianco et de Nicolas Cadène. Pourtant, je m’en félicite comme eux. Car ce n’est pas ce débat, complexe et légitime, sur le voile ou les sorties scolaires qui a déshonoré l’Observatoire. C’est son refus de voir les atteintes à la laïcité, et plus encore son soutien à des mouvements antilaïques qui a choqué.

À quels exemples pensez-vous ?

Dès le départ, Jean-Louis Bianco, qui rêvait d’un ministère et qui a échoué à l’Observatoire faute de mieux, a considéré qu’il n’y avait « aucun problème » en matière de la laïcité, que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Un vrai Pangloss. Il a persisté dans le déni, au point de prendre en grippe les associations laïques qui ne partageaient pas ce point de vue et de se rapprocher d’organisations douteuses, plus œcuméniques que laïques, travaillant main dans la main avec les Frères musulmans. Un compagnonnage qui s’est vu au lendemain de l’attentat du Bataclan, lorsque Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène ont relayé un appel invitant à ne pas « faire d’amalgames » en compagnie du gratin de l’islam politique, le CCIF, le rappeur Médine et plusieurs figures bien connues des Frères musulmans !

Au lieu de reconnaître son erreur de jugement, Jean-Louis Bianco s’est enfoncé, refusant jusqu’à tout récemment de prendre parti contre le mot « islamophobie ». Très actif sur Twitter, son numéro deux, Nicolas Cadène, a même encouragé les meutes du CCIF à s’en prendre à Élisabeth Badinter pour avoir déclaré qu’elle refuse d’être intimidée au nom de « l’islamophobie ». Avec des défenseurs pareils, les malentendus empoisonnés ne risquent pas d’être levés. Un Observatoire de la laïcité digne de ce nom, conscient des ravages du mot « islamophobie », aurait pu mener une veille sur les réseaux et repérer la campagne de haine menée par le collectif d’Abdelhakim Sefrioui contre le professeur Samuel Paty, intervenir pour le soutenir et montrer qu’il n’était pas isolé. Cela ne risquait pas d’arriver avec un observatoire si occupé à dénoncer les laïques !

Considérez-vous que l’Observatoire a failli à sa mission qui consistait, entre autres, à expliquer la laïcité ?

Pas sur le plan juridique, mais totalement sur le plan de la bataille des idées. Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène ont aussi signé la préface d’un livre très douteux sur la laïcité, signé par un certain Asif Arif, qui considère la scientologie comme une religion et justifie les « bienfaits » du voile pour les fillettes. Après la pétition du Bataclan, lorsqu’un journaliste a voulu faire réagir Jean-Louis Bianco aux propos du rappeur Médine qui rêve de « crucifier les laïques comme à Golgotha » dans son clip « Don’t laïk », celui-ci a levé les yeux au ciel et bredouillé : « Charlie Hebdo dit bien pire. » Des propos affligeants. En plus de ne rien comprendre au danger du mot « islamophobie », le président de l’Observatoire s’est acharné à nier la différence entre critiquer une religion ou une idée et inciter à la haine envers des personnes… Et c’est lui que la République a envoyé pendant huit ans dans les écoles pour expliquer Charlie Hebdo et la laïcité ? Il ne faut pas s’étonner si la moitié des jeunes mélange tout et refuse le droit au blasphème.

Pensez-vous que l’Observatoire soit comptable de cette confusion générale sur la laïcité ?

Pour parler à la jeunesse, l’Observatoire a choisi de s’appuyer principalement sur l’association Coexister, une association dont le président s’est passionné pour la pensée des Frères musulmans, qui soutient la Journée mondiale du hidjab, Baraka City, et parle d’« islamophobie » à tort et à travers. C’est d’ailleurs mon plus grand reproche vis-à-vis de François Hollande. Contrairement à ce que l’on veut bien dire, il n’a pas démérité dans la lutte contre le terrorisme, mais il a eu tort de prolonger le mandat de Jean-Louis Bianco aussi longtemps, et plus encore de soutenir Coexister comme mouvement pour parler à la jeunesse. Ils ont reçu « 500 000 euros » au titre de La France s’engage. C’est un scandale. Alors que les associations laïques qui tenaient bon n’ont jamais eu droit à ce niveau d’aide. Nous avions besoin de défenseurs, de protéger la République contre ses ennemis, pas de tels cadeaux à la propagande antilaïque.

La ministre à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a évoqué la piste de remplacer l’Observatoire par une « administration de la laïcité ». Comment interprétez-vous cette décision ?

Lorsqu’on constate la façon surréaliste dont un haut fonctionnaire a pu s’approprier une autorité administrative aussi importante sans rendre de comptes à quiconque pendant huit ans, on comprend la décision de transformer l’Observatoire en administration… Il faut se souvenir de ce qu’a subi Manuel Valls alors qu’il était Premier ministre pour avoir voulu changer l’orientation de cet observatoire. La campagne orchestrée contre lui, la mise en branle des réseaux de l’ancien secrétaire de l’Élysée (très soutenu par Ségolène Royal), lui a permis de se maintenir à ce strapontin bien au-delà du délai normal, malgré la colère du mouvement laïque. À la tête d’autorités indépendantes, certains hauts fonctionnaires se sentent vite au-dessus de tout. Une administration, elle au moins, devra rendre des comptes.

La loi séparatisme est ressortie transfigurée de sa lecture devant le Sénat, poussée par la droite, qui reproche au gouvernement une forme de timidité… Estimez-vous que c’est une bonne chose ?

Je crois qu’il ne faut surtout pas pousser à durcir l’interprétation de la loi de 1905. Ce n’est pas une bonne chose, ni souhaitable. Sur ce point, au moins, j’étais d’accord avec l’Observatoire. Nous sommes arrivés au bon compromis sur le plan législatif. Aller plus loin risquerait de nous mener vers une vision autoritaire, injuste et contre-performante. Il est normal de réguler la tenue des élèves et des professeurs au sein de l’école publique, mais on ne peut pas étendre cette exigence aux parents d’élèves. Et la droite sénatoriale catholique qui a toujours défendu l’école « libre » contre l’école publique le comprendrait très bien s’il ne s’agissait pas d’islam, mais de catholicisme. Cela fait partie du débat politique. L’application de l’équilibre de la loi de 1905 n’a pas à en souffrir. J’espère que la prochaine administration en charge de la laïcité saura l’expliquer et la défendre, à la fois contre ses ennemis et contre ses faux amis.

Propos recueillis par Clément Pétreault

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