Restauration : Julien Sebbag, le jeune chef qui épate les Galeries

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A 28 ans, il vient d’ouvrir son troisième restaurant, Tortuga, un établissement gastronomique niché sur le toit des Galeries Lafayette, à Paris. Pirate plus que rebelle, cet original hypersensible bouscule le milieu de la restauration par sa modernité.

Juin 2019. Le restaurant Créatures, qui trône au dernier étage des Galeries Lafayette parisiennes, est ouvert depuis quelques jours. Le soleil inonde la terrasse du grand magasin et les assiettes 100 % végétales séduisent une clientèle branchée. Le lieu, ouvert de juin à octobre, tourne alors à 1000 couverts par jour quand Julien Sebbag, son chef, disparaît sans crier gare.

L’homme à l’allure de pirate des temps modernes a mis les voiles, contraint par sa mère de rester enfermé dans un hôtel-­thalasso de la capitale pour se refaire une santé ! « Quand j’ai commencé dans le métier, j’étais très à la cool, mais l’ouverture de Créatures nous a mis dans le jus, reconnaît-il. J’étais dépassé. » Sa décontraction permanente lui a joué des tours. Le burn-out était imminent. Un coup dur pour ce cuisinier autodidacte, profondément attaché à sa liberté, qui garde de mauvais souvenirs de son passage dans des cuisines traditionnelles, à Londres ou à Tel-Aviv. « Je devais être rasé à blanc avec des vestes de travail retroussées à la manche, faire des lamelles d’oignons de 1 milli­mètre – et pas 1,2 ! – et, surtout, ne pas dire un mot. » A l’époque très malheureux, Julien Sebbag se promet de ne jamais fonctionner ainsi, s’il a un jour la chance de naviguer avec son propre équipage de cuisiniers. « Me faire casser ne m’a pas aidé, mais tout n’était pas à jeter. »

De son apprentissage à la dure, il a gardé le sérieux et la rigueur, qu’il applique à sa façon. Celle d’un hypersensible. Dans ses cuisines, le respect prime – « c’est la clé pour tout » –, et chacun a son mot à dire. Il insuffle un vent d’amour au sein de ses équipes. Comme dans ses assiettes.

Au menu, le partage

Le chef de 28 ans, aux cheveux longs, dans lesquels se sont glissées quelques folles mèches blondes, n’a pas de belles anecdotes à raconter à propos des petits plats de son enfance. Sa grand-mère a été traumatisée par la guerre, le rationnement, les pommes de terre et le hareng des pays froids. S’il n’a rien d’un cuisinier classique, une tradition, pourtant, est au cœur de son art : le partage. « On prépare ensemble, on mange ensemble. Le week-end, il y a au moins deux repas en famille. Si je manque un dîner, mon père ne me parle plus », s’amuse-t-il.

Il y a quelques années, il ne pensait pas que sa boussole le mènerait un jour derrière les fourneaux. Etudiant en école de commerce à Paris, master entrepreneuriat, il se voyait plutôt dans l’art contemporain. Lors d’un long séjour à Tel-Aviv, il se retrouve dans un restaurant de la chaîne Miznon, où le chef, Eyal Shani, hurle les noms des clients, façon Starbucks. Au menu ? Des recettes très élaborées dans du pain pita. La magie opère. « Je me suis dit : c’est ça que je veux faire ! » Il suit sa dernière année d’études en alternance dans une adresse Miznon parisienne, en passant par tous les postes possibles, avant de se lancer dans sa propre aventure de chef à domicile. « C’était sûrement les plus belles années de ma vie », confie-t-il. Cet éternel enfant se sent alors libre comme jamais. « Parfois, je ramenais une scie dans les dîners, je l’accrochais au plafond afin que tout le monde se prosterne devant. Je faisais tout et n’importe quoi, c’était génial. » Il cuisine chez des centaines de clients, à Paris comme à New York.

Il refuse de porter l’uniforme en cuisine

Le temps passe, et ce grand fan de Tim Burton, chaussé de Dr. Martens aux lacets dépareillés, qu’il porte même en cuisine, est bien obligé de grandir. Les responsabilités s’accumulent et il doit être partout à la fois. Il passe des cuisines de ses clients à celles de son restaurant festif Chez Oim, installé à Pigalle depuis 2018, juste après un détour sur le toit XXL des Galeries pour quelques minutes de glisse en skate. Il n’a pas le droit et il le sait. Les agents de sécurité le traquent. Mais une fois dans l’enceinte de l’un de ses deux restaurants perchés, il est intouchable. Un gamin rebelle ? « Je préfère avoir l’image d’un mec un peu imparfait, original. Mais je ne suis pas dans la provocation, plutôt dans la bienveillance. »

Julien Sebbag n’est pas vraiment un rebelle, plutôt un pirate. Pirate de par son look. Pirate de par son comportement quand, malgré ses efforts, il ne supporte toujours pas de porter l’uniforme en cuisine. Pirate dans son nouveau restaurant, un établissement gastronomique qui met le poisson sauvage à l’honneur. Il l’a baptisé Tortuga, en référence à l’île du film « Pirates des Caraïbes ». L’emblématique capitaine Jack Sparrow a marqué la jeunesse de Julien Sebbag et lui a permis de s’assumer, lui qui ne rentrait dans aucune case. En marge, trop efféminé pour certains, trop extravagant pour d’autres…

Aujourd’hui, le chef mène sa barque, au gré des expériences culinaires. Par passion, mais aussi pour montrer à la jeunesse que l’on peut pirater la vie : pour « rester authentique et bienveillant tout en cassant les codes ».

Par Rébecca Laplagne

Source leparisien