Patrick Cohen, le retour de bonnes ondes

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Le journaliste de 57 ans a connu un succès d’audience grâce à son décryptage de l’actualité dans « C à vous », sur France 5, durant le confinement. De quoi le réconforter après son transfert raté de la matinale de France Inter vers celle d’Europe 1, où il anime désormais la tranche 12 h 30-13 heures.

Dans les loges de l’émission « C à vous », près des Invalides, à Paris, une voix surprend. Plus grave qu’à la télé, plus imposante qu’à la radio. Patrick Cohen vient d’arriver pour l’avant-dernier talk-show de la saison sur France 5. Pendant que la chanteuse soul Crystal Murray se prépare, le journaliste de 57 ans a le nez dans sa chronique. Encore du Didier Raoult au menu de ce 25 juin, au lendemain de l’audition du microbiologiste devant les députés.

Improvisé au début du confinement, ce format de cinq-six minutes de décryptage de l’actualité fait décoller la quotidienne. Patrick Cohen, « au bout de l’épuisement », glisse que, bien sûr, il apprécie « d’être remarqué dans un océan d’informations ». Mais il tient à préciser que cela fait longtemps qu’il est bon : « Certains compliments me font rigoler, j’exerce ce métier depuis trente-cinq ans. » Voici Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur et membre du conseil scientifique sur le Covid-19.

Celui qui a désormais son rond de serviette dans l’émission d’Anne-Elisabeth Lemoine a découvert la pression de la médiatisation et aussi le petit secret de Patrick Cohen pour tenir. « A l’antenne, s’amuse-t-il, quand la caméra n’est pas sur lui, il dort. » L’intéressé ne relève pas. Il est 18 h 53, le plateau l’attend.

De l’intervieweur au chroniqueur

Avec le coronavirus, l’ex-star de la matinale de France Inter est revenue sur le devant de la scène médiatique. En cette rentrée, il reprend, en plus de « C à vous », la radio au quotidien avec le journal de la mi-journée sur Europe 1. Trois ans après son transfert raté de France Inter vers la station privée, son travail paie de nouveau.

Au cœur de l’épidémie, « C à vous » a été remaniée mais ne s’est jamais arrêtée. L’équipe est passée de près de 200 personnes à une vingtaine, dont seulement trois en plateau, le dîner que se partageaient les invités est passé à la trappe et les audiences ont explosé. Avec des pointes à 2,1 millions de téléspectateurs pendant le confinement, contre 1,3 million en moyenne sur la saison, le talk-show a plusieurs fois distancé celui de Yann Barthès (« Quotidien », sur TMC) et laissé loin derrière celui de Cyril Hanouna, qui n’était plus en plateau (« Ce soir chez Baba ! », sur C8).

En raison du nombre réduit d’invités, Cohen l’intervieweur est devenu Cohen le chroniqueur. Ses « éditos informés », clairs, précis et toujours nuancés, ont fait un carton sur les réseaux sociaux. Dans un monde saturé de « fake news », beaucoup ont salué son style : rigueur, concision, mise en perspective. Record battu le 25 mars, avec la chronique sur le début de « giletjaunisation » de la crise sanitaire et ses 1,7 million de vues (sur FacebookTwitter et YouTube réunis).

Le journaliste a également assuré ses rendez-vous du week-end à Europe 1, « C’est arrivé cette semaine », le samedi, et « C’est arrivé demain », le dimanche – deux émissions qu’il arrête à la rentrée. Début mai, il a enregistré deux « Rembob INA », l’émission lancée en 2018 sur LCP, dans laquelle il revient sur les programmes télé du passé. Bref, pendant le confinement, les séries à gogo, le pain maison ou les vidéos de renforcement musculaire, ce n’était pas pour lui.

Son retour en grâce n’a pas été sans polémiques. A l’antenne, il a relativisé les difficultés de la France face à l’épidémie et s’est ainsi retrouvé taxé de « collaborateur macroniste » sur les réseaux sociaux. Le 24 avril, par exemple, il se lance dans une enquête complexe sur le nombre de lits de réanimation en France et en Allemagne – 5 000 contre 28 000 est alors le score qui circule dans les médias. « Comme la pénurie de masques et le retard sur les tests, c’est l’un des indicateurs qui a symbolisé la débâcle française », commence-t-il. Il explique que le chiffre allemand doit être revu à la baisse, à cause de l’actualisation d’une base de données, début avril, et parce que les Allemands incluent dans leur compte les lits de soins intensifs. Du coup, il préfère comparer les lits équipés de respirateur : 14 000 en France contre 22 000 outre-Rhin. Les élus de la majorité ont adoré ce calcul.

Au fil des émissions, il explique que l’Allemagne, elle aussi, a manqué de masques et que peu de Danois en portent, mais il qualifie en même temps de « bêtise » le maintien du premier tour des municipales. « Avec un groupe de députés LRM, on a une boucle Telegram [une messagerie sécurisée], sur laquelle on a échangé régulièrement les vidéos de Patrick Cohen et les interviews de Roselyne Bachelot dans “C à vous” », explique Aurore Bergé, députée des Yvelines. Mais ce n’est pas être macroniste que de prendre du recul et de rappeler des faits sur une chaîne de service public. Patrick Cohen a permis de dépassionner les débats. »

Sacha Houlié, député de la Vienne et cofondateur, en 2015, des Jeunes avec Macron, explique que lui aussi a été fan. « J’écoutais le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, à 19 heures, puis les capsules vidéo de “C à vous” sur les réseaux. Sans cacher les difficultés de la France, Patrick Cohen a permis de mesurer que les choses étaient moins catastrophiques qu’on a bien voulu le décrire. »

Etonnante autocritique

Côté opposition, le ton est moins enthousiaste. Après s’être fait étriller par le journaliste le 25 juin, le député LR de Vaucluse Julien Aubert s’est énervé sur Twitter : « Qui protège-t-il ? La vérité ou le gouvernement ? » Le 10 juillet, il a même saisi le CSA pour se plaindre d’avoir été cité par le chroniqueur en exemple de députés « désarmants d’inculture scientifique et de bêtise » face à l’épidémie.

Quand on aborde ces critiques – faire le jeu du pouvoir –, le journaliste ne balaie pas la question d’un revers de main. Il se lance même dans une étonnante autocritique. « J’ai conscience de mes défauts, confie-t-il. C’est bien de les connaître pour penser contre soi-même, comme dit Edwy Plenel [avec lequel il a croisé le fer sur le plateau de “C à vous”]. J’ai, comment dire ça, une forme de sentiment légitimiste qui peut me conduire à… de l’indulgence. Ce légitimisme n’est pas inscrit dans mes gènes. Il tient à une inquiétude face au délitement du sentiment démocratique, à la défiance généralisée de la société française, au rejet des institutions républicaines. »

De quoi le conduire « à modérer [s]es critiques envers ceux qui ont la légitimité démocratique de gouverner. L’une des grandes fonctions du journalisme, c’est de critiquer les puissants, mais j’essaie aussi de montrer la complexité de chaque décision politique, de ne pas laisser croire qu’il y a les bons d’un côté, les méchants de l’autre. » D’ailleurs, quand on lui demande si, selon lui, les scientifiques français et le gouvernement ont réagi ou non avec retard, il ne se prononce pas : « J’ai entendu des choses assez convaincantes dans les deux sens. »

Détesté par les pro-Raoult

Patrick Cohen a été très regardé, car il a aussi été l’un des premiers à alerter face aux affirmations de Didier Raoult. Le 25 mars, alors que la France compte 1 100 morts, il rediffuse une vidéo du professeur, datée du 21 janvier« Le monde est devenu complètement fou, commente le microbiologiste. Il se passe un truc où il y a trois Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale. » Tout de suite, Cohen fait décoller l’audience de « C à vous ». Le chroniqueur expliquera plus tard qu’aucun essai, aucune étude ne prouve que l’hydroxychloroquine guérit du Covid-19, comme le soutient le directeur de l’institut hospitalo-­universitaire (IHU) de Marseille. Résultat, les nombreux membres des groupes Facebook pro-Raoult détestent Cohen.

Parmi les scientifiques, Philippe Froguel, professeur d’endocrinologie à l’université de Lille-II, a été l’un des rares à critiquer le chroniqueur. « C’est un excellent journaliste, reconnaît-il, mais il n’a invité personne pour défendre Didier Raoult. J’ai bien compris que les publications du professeur étaient arrangées, mais il a aussi été le premier à faire des tests massifs à Marseille. »

Dans cette époque qui aime détester les journalistes, Philippe Froguel a vite stoppé ces reproches sur Twitter : « Quand j’ai vu qui répondait à mes critiques, j’ai été mal à l’aise. Comme il s’appelle Cohen, il s’agit soit de personnes antisémites, soit anti-médias, soit pro-Raoult, souvent les trois à la fois. » Quant à Didier Raoult lui-même, il ne fait aucun commentaire. « Il n’allume jamais la télé, n’écoute jamais la radio, ne lit jamais la presse, explique Yanis Roussel, chargé de la communication du médecin. Sans pour autant le dénigrer, c’est un monde qu’il ne suit pas. »

Très tôt, Patrick Cohen s’est méfié de Didier Raoult pour l’avoir déjà rencontré. « C à vous » l’avait invité en 2016 et en 2018, pour présenter ses livres. « Un scientifique qui dit : “Moi, le changement climatique je ne le vois pas”, en marge d’un consensus scientifique établi, ça me pose un problème d’emblée, affirme l’intervieweur. Comme ça m’avait chagriné d’entendre un spécialiste des maladies infectieuses expliquer qu’il y a des ­vaccins inutiles. »

Patrick Cohen aime d’ailleurs rappeler que ce n’est pas la première fois qu’il s’intéresse aux questions de santé. A partir de 1989, il a travaillé deux ans pour « Santé Vision », une émission de Canal France International diffusée en Afrique et sur TV5. Aujourd’hui, il estime que « la polémique sur Didier Raoult est l’illustration de la défaite journalistique absolue ». Le sujet l’énerve. « Quarante fois, j’ai entendu des journalistes dire : “On n’y comprend rien.” Mais notre boulot, c’est justement d’expliquer. Les études étaient accessibles à tout le monde, il fallait juste lire l’anglais. On est aussi l’un des rares pays à posséder quatre chaînes d’info continue, dont certaines diffusent des débats du matin au soir. Elles laissent les invités s’écharper, sans intervenir. Le consensus scientifique est leur pire ennemi. »

Dans le grand immeuble de l’avenue de Breteuil, sept étages plus haut que le loft du talk-show, Pierre-Antoine Capton ne regrette pas de « s’être battu pour garder Patrick à l’antenne »Il préside le géant de la production Mediawan (cofondé en 2015 avec Xavier Niel et Matthieu Pigasse, actionnaires majoritaires du Monde), à qui il vient de céder sa propre société, Troisième Œil, qui produit « C à vous ». Patrick Cohen, il l’a embauché en 2011. « De temps en temps, France 5 s’est demandé s’il ne fallait pas le remplacer, comme pour tout le monde, explique-t-il dans son bureau avec vue sur tout Paris. Patrick, il est clivant. Vous l’aimez ou vous le détestez. Cette année, il a montré toute son indépendance d’esprit. Il a été à son meilleur. »

Le duo Lemoine-Cohen fonctionne à merveille. L’animatrice appelle d’ailleurs son acolyte « La Patoune », « parce que c’est une bonne pâte »« Comme dans les couples qui s’aiment vraiment, assure-t-elle, on peut s’engueuler comme du poisson pourri, sans qu’il y ait de conséquences. » Sans hésiter, l’équipe reconduit les chroniques de « La Patoune » à la rentrée.

Quand on retrouve Patrick Cohen, pas rasé, un matin de la fin juin, l’émission s’est arrêtée et les vacances dans sa maison du Pyla approchent. Il compte enfin profiter de sa fille de 13 ans, de son fils de 9 ans et de sa femme, Alexandra Cooren, ex-journaliste devenue architecte d’intérieur, qui se sont confinés dans cette commune du bassin d’Arcachon (il a aussi un fils de 30 ans).

Dans un café des Grands Boulevards, à Paris, pas très loin de chez lui, il commande un thé aux fruits rouges, un croissant et, avant de démarrer l’entretien, lance : « Je déteste ce genre d’exercice. » Ce n’est rien de le dire. Sa présence est agréable, mais il se dévoile peu, hésite beaucoup, répète souvent « que vous dire… », quand il n’installe pas un lourd silence dès que le sujet devient un ­tantinet intime. L’homme à la voix chaleureuse est du genre introverti.

C’est la première fois qu’il se livre depuis son éviction de la matinale d’Europe 1, en 2018, un an après avoir été débauché de France Inter. On lui pose alors la question attendue : « Est-ce que vous diriez, trois ans plus tard, que c’était une erreur de quitter la matinale d’Inter ? » (alors écoutée par 3,8 millions d’auditeurs). Il se tortille sur sa chaise, rigole nerveusement, se retortille : « Ah, là, là, punaise, ah, non, non, ah, punaise… » C’est douloureux, pour autant il ne sort pas de joker.

« C’est exactement comme pour le Covid, c’est facile de refaire l’histoire. Sur le coup, ce n’était pas une erreur. J’aurais pu profiter de la gloire de la place de numéro un des matinales. J’étais à Inter depuis sept ans, j’aurais pu y rester dix ans, pas au-delà. On m’a proposé un défi difficile, j’ai eu envie de le relever. » Une fois lancé, il ne s’arrête plus. « C’est une question impossible. Je ne me réveille pas le matin en me disant “quel con t’as été de partir”. Je suis très fataliste, ce qui devait arriver arrive. Avec ce qui s’est passé par la suite, évidemment que je n’aurais pas dû partir, mais ça n’apporte rien de le dire aujourd’hui. »

L’animation de la matinale à Europe 1 est une séquence éclair. Elle démarre le 28 août 2017. Débauché à prix d’or par Arnaud Lagardère en personne et son très influent conseiller Ramzi Khiroun, Patrick Cohen (matinalier et directeur délégué) dit avoir multiplié son salaire « par un peu moins de deux ». Avec ses compères venus d’Inter, Frédéric Schlesinger (patron opérationnel) et Emmanuel Perreau (directeur délégué), il a pour mission de sauver une radio en chute libre. Objectif, fixé par Schlesinger : accroître l’audience cumulée de 7,1 % à 9 %, en trois ans. Or, à l’automne 2017, elle stagne.

Trop à gauche, trop clivant

Le 22 décembre, Arnaud Lagardère réunit les dirigeants au siège du groupe, rue de Presbourg, dans le 16arrondissement de Paris. A cause du manque de recettes, il est question de revoir le budget de la station à la baisse. Très vite, le ton monte. Frédéric Schlesinger reproche à Ramzi Khiroun de ne pas tenir ses engagements et de vouloir faire une « station low cost ». « On s’est engueulés, je me suis levé et je me suis barré », raconte Schlesinger. Il file à Europe 1 vers midi, passe devant le bureau d’Emmanuel Perreau qui discute avec Patrick Cohen et leur raconte la dispute en rigolant. « Je me suis souvent repassé le film, confie l’ex-matinalier. Je pense que cette réunion a été décisive. » Le soir même, l’animateur s’envole pour l’île Maurice en famille, soucieux.

Le 18 janvier 2018, les chiffres de Médiamétrie tombent, catastrophiques : 6,6 % d’audience cumulée pour Europe 1, en cinquième position des stations généralistes, derrière France Bleu. Pour le trio, ça sent le roussi. Arnaud Lagardère ne leur répond plus. Mi-avril, la presse annonce un probable départ des transfuges d’Inter, confirmé en mai. Selon une étude interne, Cohen serait trop à gauche, trop clivant. Le nom de son futur remplaçant l’atterre : l’animateur de la « Star Academy », sur TF1, Nikos Aliagas. La séquence s’achève le 6 juillet.

Pour sa dernière matinale, Patrick Cohen se lance dans un alexandrin, son « péché mignon » : « Je jette l’éponge, il paraît qu’avec moi c’est Europe 1 qui plonge, ce qui n’est pas exact. » Il jure avoir passé « une de [ses] plus belles années et partir avec beaucoup de fierté ». Sans doute, mais il est aussi meurtri. « Il ne le dira pas, mais il a beaucoup souffert, confie Frédéric Schlesinger. Il a souffert de l’incertitude à partir de janvier 2018 et de ne pas avoir réussi aussi vite qu’il le souhaitait. Je reste persuadé qu’avec le temps sa matinale aurait marché. C’est un grand, Patrick. » L’audience d’Europe 1, quant à elle, a continué de s’écrouler.

Etudiant en droit

Jamais le passionné de radio n’avait vécu une telle blessure professionnelle. Tout lui avait toujours réussi. Dès l’âge de 15-16 ans, il a l’idée de devenir journaliste. Il étudie alors au lycée Charlemagne, à Paris, avec un an d’avance. Déjà très éclectique, il achète Le MatinLe Quotidien de Paris et Le Monde. Il vit à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, avec son père, qui dirige une PME de chaudronnerie, sa mère, au foyer, et son jeune frère.

Ses parents se sont rencontrés au Maroc : lui est marocain et catholique (seul le père de son père est juif), elle sicilienne et catholique également. Sa mère meurt d’un cancer quand il a 18 ans. Patrick Cohen est alors étudiant en droit à Tolbiac et vice-président étudiant de Paris-I, sous l’étiquette UNEF, tendance communiste. A la présidentielle de 1981, il votera d’ailleurs Georges Marchais au premier tour et François Mitterrand au second. En 1983, il entre à l’ESJ, l’école de journalisme de Lille.

« Patrick, c’était une voix, une présence, un charisme, se souvient son ex-camarade Christian Prudhomme, aujourd’hui directeur du Tour de France. Il avait une forte culture politique, une mémoire d’éléphant – il connaissait tous les vainqueurs du Tour – et une façon de s’exprimer remarquable. C’était la personnalité qui émergeait de la promo. » Diplômé, il enchaîne les stations : RFO en Guyane, France Info, RTL (treize ans), France Inter, Europe 1. D’un ton dénué de forfanterie, il constate : « J’ai eu beaucoup de chance. Jusqu’à ce que je me fasse sortir de la matinale d’Europe 1, on m’a toujours désiré. »

Patrick Cohen est un dingue, disent ses confrères. Un dingue de boulot. Ancien de Libé, L’Obs et Marianne, aujourd’hui à Arte et à Franceinfo, le journaliste Renaud Dély l’a connu reporter politique à RTL, lorsque tous deux couvraient le FN, au milieu des années 1990. « Il veut tout lire, tout entendre, tout savoir en permanence, raconte-t-il. L’info, c’est comme de l’oxygène pour lui. Un jour, il a eu plusieurs heures de retard sur l’actualité, par ma faute. On fêtait mon anniversaire dans ma maison en baie de Somme, sans réseau. La soirée avait été très arrosée. Le dimanche matin, tout le monde dormait, quand j’ai vu Patrick, hirsute, débouler dans ma chambre. Il avait trouvé un coin avec un peu de réseau et appris que DSK s’était fait arrêter dans la nuit à New York. » C’était le 15 mai 2011, ils sont rentrés à Paris fissa.

Son petit côté surdoué fascine ou… insupporte. D’autant que le travail d’équipe n’a pas toujours été son sport favori. « En 2007-2008, quand il présentait le journal de 8 heures à France Inter, il avait un caractère difficile et était si exigeant que, lorsqu’il est parti, les journalistes ont dit ouf », se souvient Philippe Val, qui tenait alors une chronique au sein de la matinale. Depuis, Patrick Cohen le jure, il s’est « adouci ».

Correspondante au Québec (entre autres pour Le Monde), Hélène Jouan le connaît depuis vingt-cinq ans. Elle avoue qu’il lui a fallu du temps pour l’apprécier et dépasser ses faux airs arrogants. « Il est toujours plus fort que tout le monde, raconte-t-elle. En 1998, on était en reportage en Nouvelle-Calédonie, lui pour RTL, moi pour RFI. Il connaissait l’île par cœur. Plus tard, on s’est retrouvés en Corse. Il connaissait les mouvements autonomistes par cœur. Même s’il cherche à aider, ça énerve un peu ! »

A Inter, elle a présenté deux ans la revue de presse dans sa matinale. « Un lundi matin, je lui parle d’un article des Echos sur les réfugiés, traité sous un angle économique. Il lève un sourcil : “Mais t’as pas lu La Tribune de Genève samedi ? Il y avait le même angle.” J’ai failli arrêter au bout de trois semaines. Un jour, on s’est parlé, à 5 heures du matin, et ensuite il a été adorable. Patrick, il est cadenassé, pas toujours à l’aise dans les rapports humains et il faut régler son complexe d’infériorité vis-à-vis de lui. » Elle l’a suivi à Europe 1 en 2017 et, depuis, le voit régulièrement : « Ça me fait marrer que certains redécouvrent aujourd’hui que c’est un bon journaliste. » C’est ce qui étonne tous ses amis.

Ironie de l’histoire, Ramzi Khiroun est un des premiers à l’encenser : « Incisif, exigeant, objectif. » C’est à se demander pourquoi il l’a viré de la matinale. « Patrick a subi la décrue amorcée par les équipes précédentes, explique-t-il désormais. Après coup, je peux dire que ce n’était pas un problème d’animateur mais un problème d’offre, avec un journal trop court. Avec la vice-présidente d’Europe 1, Constance Benqué, nous sommes remontés jusqu’en 2006 pour nous rendre compte que la part de l’information avait été réduite de 40 % dans la matinale. Le problème vient de là. On a tous des regrets et des remords, mais Patrick est toujours à nos côtés et on est très contents de lui. » Lorsque le journaliste a demandé, fin juin, à arrêter les émissions du week-end « pour partager du temps avec ses enfants », Constance Benqué n’a pas traîné pour lui proposer le journal de 12 h 30. « Je n’ai pas eu envie de le laisser partir, dit-elle. Il est très précieux pour Europe 1. »

Parmi ses ex-collègues d’Inter, Léa Salamé se dit contente pour lui. « Je suis heureuse qu’il ait été une des voix de la crise sanitaire. C’est une belle revanche pour Patrick, après trois ans à mordre la poussière. Même si son départ nous a bouleversés sur le moment, je ne ressens aucune rancœur. Je garde de lui un beau souvenir. Je venais d’une chaîne d’info (i-Télé), tout ce qu’il déteste, il m’a appris à ne pas courir après le buzz. »

L’humoriste Charline Vanhoenacker est plus circonspecte. Ce n’est pas une petite chronique dans « C à vous » qui va la faire sauter au plafond : « Ah, il revient dans le game ? » On la sent un brin amère. « Il a hissé la matinale d’Inter première de France, il est le roi du pétrole et il part à la concurrence pour se prendre camouflet sur camouflet. Un petit pourcentage en moi a du mal à comprendre. C’est un personnage énigmatique. »

Pas mondain pour un sou, l’homme ne se livre qu’à un petit cercle d’amis, qui tracent de lui un portrait assez tendre. Philippe Val en fait partie. L’ancien directeur de Charlie Hebdo et de France Inter, qui l’a embauché comme matinalier en 2010, a rencontré Patrick Cohen grâce à Cabu. Un jour de la rentrée 1996, l’inventeur du Grand Duduche avait appelé sa voix préférée au débotté, à RTL : « Bonjour, je voudrais parler à Patrick Cohen. Oui, voilà, je m’appelle Cabu, je suis dessinateur… » Il se demandait pourquoi il venait de changer d’émission. Ils ont déjeuné chez Lipp et sont devenus amis.

« Avec Cabu, ils avaient en commun une profonde gentillesse, assure Philippe Val. Ils allaient ensemble écouter du jazz et partageaient leur amour de la chanson française », de Trenet à Gainsbourg. C’est d’ailleurs Cohen qui a eu l’idée de la chronique musicale dans la matinale d’Inter. « Il y a deux périodes dans la vie de Patrick, confie Val. Avant et après 2015. Les attentats de Charlie Hebdo et la mort de Cabu ont été un bouleversement pour lui et le sont toujours. Même si je me refuse à tirer quelque chose de positif de cet événement, je trouve que, depuis, Patrick laisse passer beaucoup plus de sensibilité. Il est plus ouvert, il peut même changer d’avis dans une conversation. » L’homme de radio s’avoue mal placé pour confirmer, mais reconnaît être « profondément marqué » par ce 7 janvier « Ça me hante. »

Grande pudeur

Peu de temps avant, en 2013, il avait traversé une autre période difficile, lorsque Dieu­donné répétait chaque soir dans son spectacle des propos antisémites à son encontre. Depuis, le polémiste a été condamné en appel, en avril 2016, pour provocation à la haine raciale. « Cette histoire l’a beaucoup touché », se souvient son amie Muriel Attal. Cette ex d’Inter dirige aujourd’hui la communication de France Télévisions : « Patrick, il a pu projeter une image un peu dure, austère, en fait, il est tout le contraire. » Selon Emmanuel Perreau, « c’est un grand sentimental ». A l’écouter trois heures durant, on n’en doute pas. L’émotion submerge parfois cet obsédé des faits, qui se planque derrière une grande pudeur.

En cette rentrée médiatique, le journaliste est ravi : il a sauvé ses week-ends. Fin juin, il nous disait ne pas vouloir refaire une saison au même rythme. Il avait l’air décidé. « Personne ne vit comme ça, en travaillant sept jours sur sept, se privant de loisirs, de vie de famille. Si, quelques brutes… » Peut-être arrêtera-t-il de s’assoupir sur un plateau télé. Mais il nous a aussi montré les alarmes de son téléphone portable, dont celle-ci : « 2 h 30 en semaine ». Soit l’heure du réveil pour assurer une matinale radio. « Je ne l’ai pas effacée, peut-être par superstition, avait-il confié. J’ai dû me dire, tiens ça pourrait revenir un de ces jours. » C’est vrai, on ne sait jamais, maintenant que la roue a tourné.

Source lemonde

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