Les frères Belhoucine, accusés toujours recherchés, présumés morts en Syrie

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Les frères Belhoucine sont parmi les accusés les plus proches d’Amedy Coulibaly, le terroriste qui a abattu une policière à Montrouge, puis des otages de l’Hyper Cacher. Ils sont présumés morts en Syrie. Mais ils sont toujours visés par un mandat de recherche et seront jugés par défaut par la cour d’assises spéciale.

Mohamed et Mehdi Belhoucine sont nés à Bondy, en Seine-Saint-Denis. Mohamed est l’aîné, né en juin 1987. Mehdi, le cadet, voit le jour en 1991. Leurs parents, Djelloul et Halima, ont immigré en France, rêvant d’un quotidien plus heureux. Dans la famille Belhoucine, les parents, fonctionnaires de mairie, enseignent aux enfants le goût de l’école et du travail bien fait. Mohamed et Mehdi sont de bons élèves. Ils deviennent de brillants étudiants.

Après un bac scientifique, Mohamed décroche le concours de la prestigieuse école des mines d’Albi, dans le Tarn. Ses parents sont fiers et ne comprennent pas pourquoi leur fils aîné abandonne si soudainement ses études en deuxième année. C’est que loin d’eux, Mohamed s’est mis à délaisser l’école d’ingénieur et se passionne désormais pour le djihad. Sur internet, Mohamed Belhoucine est en contact avec des candidats djihadistes pour l’Afghanistan et le Pakistan, et il rêve lui-même d’aller en terre de combat. En 2008, il répond ceci à une internaute : “Ça me fait plaisir de voir des sœurs qui soutiennent le djihad et les moudjahidin, qu’Allah t’en récompense”, ainsi que le rapporte le journaliste Matthieu Suc dans son livre-enquête Femmes de djihadistes.

Mohamed Belhoucine rencontre Amedy Coulibaly en prison

Un matin, à l’aube, en 2010, Mohamed Belhoucine est interpellé. Les policiers l’ont mis sous surveillance dans le cadre d’une enquête sur une filière pakistano-afghane. Mohamed Belhoucine est soupçonné d’être le cyberdjihadiste de la filière, celui qui a traduit et mis en ligne des vidéos de propagande d’Al Qaïda. Face aux enquêteurs, Mohamed Belhoucine plaide l’erreur de jeunesse. Mais voilà le brillant étudiant derrière des barreaux, incarcéré en détention provisoire à la prison de Villepinte. C’est là qu’il rencontre Amedy Coulibaly, délinquant qui deviendra l’un des trois terroristes des attentats de janvier 2015. Le procès a lieu à l’été 2014. Mohamed Belhoucine est condamné à une peine de deux ans de prison, dont un ferme. Il ressort libre du tribunal, sa peine est déjà purgée. Il rentre retrouver son épouse, Imène, et leur petit garçon. Mohamed et Imène Belhoucine se mettent à fréquenter Amedy Coulibaly et sa fiancée Hayat Boumeddiene.

Mohamed Belhoucine entretient aussi des liens avec l’un de ses camarades de l’école des mines, reconverti en prêcheur radical de la mosquée des Radars, à Sevran. En 2014 et 2015, beaucoup de jeunes qui priaient dans cette mosquée ont rejoint les rangs de l’État islamique, à tel point que ladite mosquée, désormais fermée, a été surnommée “la mosquée de Daech”. Cette mosquée des Radars s’est retrouvée au cœur des débats d’un procès d’assises, le procès de la filière dite de Sevran, qui s’est déroulé en janvier 2020 : 24 accusés, la moitié avait fréquenté la mosquée, comme Mohamed et Mehdi Belhoucine. Les deux frères ont été jugés dans le cadre de cette filière, jugés en leur absence. À ce procès, leurs parents ont témoigné. Ils ont expliqué à la cour qu’ils n’avaient pas vu la radicalisation de leurs fils. “Si j’avais su qu’ils allaient partir, je les aurais dénoncé tout de suite. Je préfèrerais les voir en prison”, a dit à la barre la maman des Belhoucine.

Mehdi Belhoucine rêvait d’un pays où s’appliquait la charia

De ses deux fils, Mohamed semblait le plus influent. Mais c’est Mehdi, le cadet, qui s’était mis à pratiquer la religion musulmane avec une assiduité sans borne quand il était au lycée. Mehdi et Mohamed Belhoucine ont été élevés dans la foi d’Allah, mais leurs parents étaient pieux sans être radicaux. À l’adolescence, Mehdi Belhoucine commence à contester les valeurs de la République et à défendre la charia. Il entame de brillantes études d’ingénierie mécanique à la faculté de Jussieu, mais comme son grand frère, stoppe tout, soudainement. Mehdi Belhoucine s’envole pour l’Égypte où il veut apprendre l’arabe, dit-il, comme tant d’autres vétérans du djihad ; les frères Clain ou Merah sont aussi allés prendre des cours en Égypte. Au retour du Caire, Mehdi Belhoucine revient vivre chez ses parents qui ne détectent rien d’anormal. La maman des frères Belhoucine se met quand même à porter le voile, à la demande de ses fils.

Le 2 janvier 2015, ses fils s’envolent pour la Syrie à l’insu de leurs parents. Ce jour-là, tout est minutieusement préparé, calculé. Tous deux ont décollé de l’aéroport de Madrid mais dans deux avions différents, pour se faire plus discrets. Ils ont aussi emprunté deux routes distinctes pour arriver jusqu’en Espagne. Mohamed Belhoucine a pris un bus depuis Paris, avec sa femme. Mehdi Belhoucine est descendu en voiture avec Amedy Coulibaly et Hayat Boumeddiene. L’exfiltration de France d’Hayat Boumeddiene, cinq jours avant que son mari ne commette son premier attentat à Montrouge, semble bel et bien avoir été confiée à Mehdi Belhoucine. Puisque sur les images de vidéosurveillance de l’aéroport, c’est Mehdi Belhoucine qui embarque seul avec Hayat Boumeddiene. Selon l’enquête, Mehdi Belhoucine avait plusieurs fois rencontré Amedy Coulibaly au cours des mois précédant les attentats de janvier 2015.

Départ en Syrie, le 2 janvier 2015, avec Hayat Boumedienne

Ce 2 janvier 2015, Mohamed Belhoucine, lui, est parti par le vol suivant, juste après son frère. Mais les enquêteurs sont persuadés que les deux frères se sont retrouvés dès l’atterrissage à Istanbul et qu’ils ont franchi ensemble la frontière syrienne pour mettre à l’abri Hayat Boumeddienne, notamment. Qu’ont-ils fait dès leur arrivée en Syrie ? Les enquêteurs antiterroristes pensent que Mohamed Belhoucine a participé à la vidéo de revendication posthume d’Amedy Coulibaly. Dans cette vidéo, on voit Coulibaly poser devant une arme et glorifier ses attaques commises au nom de Daech. Mohamed Belhoucine a-t-il achevé le montage de cette vidéo, ensuite postée sur les réseaux sociaux, depuis la Syrie, après la mort de Coulibaly tué dans l’assaut du RAID et de la BRI à l’Hyper Cacher ?

En tout cas, Mohamed Belhoucine a rédigé le serment d’allégeance au calife Abou Bakr Al Baghdadi que les enquêteurs ont retrouvé sur Coulibaly. Les enquêteurs sont aussi certains que c’est Mohamed Belhoucine qui a créé les adresses net.courrier qui ont été utilisées par Amedy Coulibaly pour échanger avec un individu qui a donné des ordres avant les attaques. Ce donneur d’ordres était-il Mohamed Belhoucine, lui-même, le créateur des adresses ? Les juges d’instruction estiment que c’est une hypothèse “vraisemblable” mais n’ont pas réussi à le prouver durant les quatre ans d’enquête. Le donneur d’ordre avait écrit : “4/ écrire lettre, dire moi charger de ta “gadji”* et demander ce que tu veux (maison voiture cours) comme ça reste avec nous sans problème”. De son côté, Amedy Coulibaly écrivait dans un message non crypté : “je voudrais que le frère s’occupe de ma femme dans les règles de l’islam”. Les juges d’instruction ont aussi prouvé que Mohamed Belhoucine était aux côtés d’Hayat Boumeddiene pour l’une des ventes de voiture achetée via une escroquerie.

Les frères Belhoucine seront jugés parmi les quatorze accusés

Pour les magistrats instructeurs, il est donc évident, avec tous ces éléments, que Mohamed Belhoucine s’est rendu complice des crimes et délits terroristes commis par Amedy Coulibaly. Il encourt une peine de réclusion criminelle, tout comme son frère Mehdi. Les deux frères ont déjà été condamnés en janvier 2020 : condamnation à perpétuité pour Mohamed Belhoucine, 30 ans de réclusion pour Mehdi Belhoucine, jugés pour leur départ en Syrie. Mais selon les services de renseignement, les frères Belhoucine seraient morts depuis 2016. Mohamed Belhoucine, en combattant, à l’âge de 28 ans. Mehdi Belhoucine aurait succombé à 24 ans, à une blessure de guerre mal soignée. Leur mort restant incertaine aux yeux de la justice française, ils seront donc jugés, par défaut, pour la deuxième fois en un an donc.

*gadji : femme

Sophie Parmentier

Source franceinter