Le coronavirus fait peur mais nous avons vu pire, par Victor Kuperminc

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Lorsqu’on évoque de méchantes maladies, la sagesse se trouve dans la tradition juive. Le COVID 19 est un sérieux problème, mais moins bien mortel que nombre d’épidémies qui ont frappé les Juifs – et les non-Juifs, dans le passé.

Comparé à la peste noire qui a eu un taux de mortalité de 50 à 70 pour cent, ce nouveau coronavirus, dont le taux  ne dépasse pas les deux pour cent (bien que ce taux soit contesté, et pourrait être bien inférieur),  semble beaucoup moins effrayant. Mais, se répandant rapidement, il nous oblige à décider comment y répondre.

En 1863, des ouvriers travaillant dans la rue des Juifs dans la ville de Colmar, proche des frontières suisse et allemande, ont découvert un trésor caché  derrière un mur. Des bagues, broches et pièces de monnaie, à l’époque où la peste bubonique s’était répandue en Europe.

Il semble bien que les propriétaires du trésor aient eu l’intention de revenir, à la fin de l’épidémie, mais succombèrent eux-mêmes. Peut-être de l’épidémie, ou peut-être des persécutions qui s’ensuivirent.

En 1348, survint la menace de la Peste Noire, une épidémie qui fit près de 25 millions de victimes en Europe. Les Juifs sont accusés d’empoisonner les puits. En ce début de 1349 la peste n’a pas encore atteint Strasbourg, mais les nouvelles de sa propagation à travers l’Europe germanique créent un climat de panique parmi la population, climat entretenu par certains provocateurs, dont le but inavoué est de se libérer des dettes contractées auprès des Juifs et de s’approprier leurs biens ; le peuple réclame leur extermination. Le pogrom de Strasbourg, connu aussi sous le nom de « Massacre de la Saint Valentin[1] », eut lieu le samedi 14 février 1349.  2000 juifs  strasbourgeois furent brûlés vifs. La chronique rapporte qu’un juif, du nom de Agimet, de Genève, sous l’influence d’une « légère torture » confessa avoir empoisonné les puits de Venise et… Toulouse.

Le rabbin Israël Salanter, un des plus importants dirigeants du judaïsme lithuanien du XIX° siècle, insistait pour que les Juifs rompent le jeûne de Yom Kippour, pendant l’épidémie de choléra de 1848. On rapporte même que le grand rabbin fit le kiddouch dans la synagogue, afin de donner à boire à ceux qui jeûnaient, alors que le manque de liquide les mettaient en grand danger.

La Bible nous ordonne de ne point rester immobile lorsque « le sang de notre frère se répand. » Cependant, les autorités rabbiniques nous enjoignent de rester à la maison, et ne pas aller à la « shoul » si on soupçonne être atteint d’une maladie contagieuse ; et de se laver régulièrement les mains, et d’avoir une bonne hygiène personnelle ; et de ne pas poser vos doigts sur la mezouza de votre porte. En un mot, faites preuve de bon sens ; ce bon sens qui est la caractéristique essentielle de l’enseignement juif depuis toujours.

L’épidémie de grippe de 1918, dite « Grippe Espagnole », parce que l’Espagne et le Portugal – non engagés dans la Première Guerre Mondiale –  en révélèrent les dégâts en premier, fit des milliers de victime, à travers le monde. Parmi ces victimes, un grand nombre de célébrités : Guillaume Apollinaire, Franz Kafka, Edmond Rostand, et … Friederich Trump, le grand-père de Donald, et bien d’autres.

C’est à cette époque, que les autorités de New-York interdirent aux citoyens d’éternuer. Très difficile et dangereux ! B. Kovner -nom de plume de Jacob Adler– raconta son aventure dans l’édition yiddish du Forward (prononcez Forverts) :

« Savez-vous, « kinderlech » (les enfants) que la grippe espagnole serait terminée depuis longtemps si, nous le Peuple, avions cessé d’éternuer ? Chaque éternuement, disent les journaux, contient une myriade de bacilles qui se répandent dans l’air – comme les graines semées par les paysans – et vous conduit droit au cimetière. Et tous les journaux, tous les docteurs de hurler : « N’éternuez pas, pour l’amour de Dieu, sauf si voulez la mort de toute l’Amérique (y compris le Canada) »

L’autre jour, me sentant en pleine forme, j’embarque dans un bus plein à craquer. Soudain, je sens le nez qui me chatouille. J’ai tout de suite réalisé qu’un tout petit éternuement demandait à sortir, à voir le jour. Le voilà qui joue des coudes. Ai-je le droit de lui refuser de s’exprimer, de sortir de sa sombre prison ?

HOPTCHA !!! (Atchoum, en yiddish),  retentit dans le bus.
Huit sièges se libèrent immédiatement, et leurs occupants se précipitent sur la chaussée.
Je pense : « chouette, je peux m’asseoir ! »
Les gens du bus me jettent un regard terrorisé, comme s’ils avaient vu leur mort arriver. Et ceux qui le peuvent, s’éloignent de moi.
Et, de nouveau, le nez me chatouille. Là, ça va devenir intéressant !

HOPTCHI !!! (Atchoum, avec l’accent litvak). Et le bus freine brutalement, stoppe en pleine circulation.
Six passagers au moins se précipitent dehors. Un vieux juif et deux dames encore plus vieilles, un jeune homme avec une drôle de casquette, et deux jeunes filles très maquillées.
Je pense : encore un éternuement, et voyons ce qui se passe. C’est la première fois que je vais me trouver seul dans un bus de New-York, avec le conducteur et le contrôleur.
Et juste pour rigoler, j’en fais un troisième .

HOPTCHI !!! Succès. Avant que je m’en rende compte, dix-sept bus, plein de passagers freinent pour éviter MON bus, qui ne va plus nulle part.

Dix minutes plus tard je suis  arrêté. Motif : répand les microbes de l’influenza et trouble la circulation urbaine.
A mon procès, le lendemain, j’ai écopé d’une amende de 5 dollars.
Cher. Mais ça valait le coup.

  1. Kovner, né dans l’Empire austro-Hongrois était un humoriste yiddish qui émigra aux USA à l’âge de 17 ans. Après un début de carrière ratée comme tailleur, il rejoignit le FORWARD en 1895.

[1] L’Histoire a retenu deux autres massacres de la Saint Valentin : en 1929, à Chicago, 7 morts ; et en 1952, au Moule, en  Guadeloupe, 4 morts.

Victor Kuperminc