Astérix l’ashkénaze

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Un type en costume un peu fripé avec un drôle de sourire, entouré de petits lutins, nommés Astérix, Iznogoud, Lucy Luke, ou le petit Nicolas.

C’est la drôle de statue inaugurée hier, celle de René Goscinny, désormais statufié au pied de l’immeuble où il vivait, dans le 16e arrondissement de Paris -à deux pas de la Maison de la radio. Une délégation de grévistes est d’ailleurs venue en vain y chercher le ministre de la Culture Franck Riester, qui s’est décommandé.

Au cours de cette cérémonie la fille du créateur d’Astérix, Anne Goscinny, a pris la parole, et de son discours l’AFP a retenu ceci : « N’oubliez jamais que l’un des symboles de la France dans le monde, est à moitié juif ashkénaze. Comme vous il vient d’Ukraine et de Pologne, a été victime des pogroms et a échappé de justesse aux nazis. Tant qu’il vivra, il résistera: prenez exemple sur lui ».

C’est à l’âge adulte que j’ai découvert la judéité de Goscinny, comme celle de Gotlib, ces deux enchanteurs de mon enfance. Et depuis, je cherche entre les cases, entre les bulles, où tous deux ont bien pu cacher cette judéïté, pour qu’elle échappe si bien à l’enfant que j’étais. Car c’était l’époque où les « identités« , au sens d’aujourd’hui, ne se portaient pas en bandoulière. Sans nullement penser à les cacher, d’ailleurs. Pilote était ce petit miracle hebdomadaire, qui recherchait chaque mardi le sourire, ou le frisson, universels. L’antimilitariste Duduche de Cabu y voisinait avec le fana-mili Charlier, et ses pilotes Tanguy et Laverdure, sans que personne s’en étonne. On sautait les pages que l’on voulait. Ou plutôt, on n’en sautait aucune.

Où donc Goscinny avait-il caché (y compris à lui-même) sa judéïté ? Dans la longue errance de Lucky Luke, si mélancoliquement « far away from home » à la dernière case de chaque album, sur fond de cactus et de soleil couchant ? Passe encore. Mais Astérix, le Gaulois, cette quintessence de franchouillard ?

Laissons parler la dessinatrice Catelqui vient de consacrer à Goscinny un roman graphique : « Il est évident que quand il écrit Astérix le Gaulois, quand il décrit la première case avec les Romains qui arrivent avec des bottes, qui marchent deux par deux pour attaquer le village résistant, on ne peut s’empêcher de penser aux nazis. Mais lui ne le voyait pas et ne voulait pas dire ça ».

Mille fois je suis repassé sur cette image comme sur les autres, sans jamais penser aux nazis. Goscinny et Uderzo, quand ils construisent cette toute première case du tout premier album, ont peut-être, dans un coin reculé de leur tête, les armées nazies. Mais alors ils s’en excusent dès la deuxième case, où ils inaugurent une interminable vengeance, sur le mode burlesque, à l’encontre du dictateur victorieux. Et ils ne cesseront plus, tout au long des albums suivants, de ridiculiser la force brutale des valeureuses légions romaines. Ce qui est peut-être, pourquoi pas, une manière de l’exorciser. Il va falloir tout relire, une fois de plus. Douce violence.