La justice allemande a rejeté, le 24 mai dernier, la requête d’un homme réclamant le retrait de la sculpture médiévale antisémite de la « Truie des Juifs » ornant l’église Sainte-Marie de Wittenberg, berceau de la réforme protestante.
Le 24 mai, la justice allemande a débouté Michael Düllmann, un membre de la communauté juive allemande, qui réclamait le retrait d’une sculpture datant de 1305 et ouvertement antisémite, ornant l’église Sainte-Marie de Wittenberg, en Saxe-Anhalt. Cette représentation médiévale, appelée « Judensau » ou « Truie des Juifs », présente des personnages juifs tétant une truie tandis qu’un rabbin examine la croupe de l’animal.
Le plaignant estimait que l’église commettait un outrage et l’insultait lui et les autres Juifs en conservant cette représentation. Le tribunal du district de Dessau-Roßlau a statué que le fait que l’église ne retire pas le bas-relief ne pouvait être considéré comme un outrage. Selon son avocat, Michael Düllmann a décidé de faire appel de cette décision.
En Europe, il existerait une trentaine de « Truie des Juifs », majoritairement en Allemagne, et au moins une en France, autour de la porte Saint-Nicolas de la Collégiale Saint-Martin à Colmar. La plus ancienne date de 1230 environ et se trouve dans le cloître de la cathédrale de Brandebourg. Le but de ces représentations : déshumaniser le peuple juif en l’associant à un animal considéré comme impur et sale.
Une sculpture déjà controversée en 2016
En 2016, une polémique autour de cette statue avait déjà éclaté. Richard Harvey, un théologien installé à Londres, et qui se définit comme un Juif messianique, a lancé une pétition en ligne, signée à l’époque par 8 000 personnes, demandant le retrait de la sculpture.
Cette pétition est destinée au pasteur Johannes Block, opposé au déplacement du bas-relief. Celui-ci propose alors d’ajouter une description sous la statue pour en expliquer le sens et la replacer dans son contexte historique, ou d’installer un autre bas-relief représentant un prêtre et un rabbin se serrant dans les bras.
Une association se forme pour réclamer le retrait du bas-relief et plusieurs manifestations se tiennent à Wittenberg avec, à sa tête un pasteur de Leipzig, Thomas Piehler, qui souhaite le déplacement de la sculpture dans un musée. L’AfD (Alternative pour l’Allemagne), le parti politique nationaliste et eurosceptique allemand, s’en mêle et lance une contre-pétition.
Face à l’ampleur de la polémique, le conseil municipal de Wittenberg se saisit de l’affaire. Le 5 juillet 2017, il vote une mention, approuvée à l’unanimité, pour conserver le bas-relief comme témoin d’une époque troublée, estimant que Wittenberg a déjà pris position en 1988. Cette année-là, la ville a fait installer une plaque de bronze en mémoire des six millions de Juifs morts pendant la Seconde Guerre mondiale, et a également planté un cèdre d’Israël à côté de cette plaque.
Luther et le « Judensau » de l’église de Wittenberg
La ville de Wittenberg est considérée comme le point de départ de la Réforme protestante. Martin Luther (1483-1546), le père du protestantisme, a prêché pour la première fois en allemand dans l’église Sainte-Marie de Wittenberg, aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’Unesco.
En 1543, Martin Luther décrit le bas-relief de la façade de l’église en ces termes : « Ici à Wittenberg, on peut voir, sur notre église, une truie sculptée dans la pierre. Dessous, se trouvent des porcelets et des juifs qui la tètent. Derrière, se tient un rabbin qui soulève la patte droite de la truie, tire sa queue avec sa main gauche, se penche et contemple avec zèle le Talmud sous la croupe de l’animal, comme s’il y lisait quelque chose d’extraordinaire. Ce qui signale certainement l’endroit où se trouve leur Shem Hamphoras (le nom de Dieu, NDLR). »
Des propos écrits par Luther, auxquels s’ajoutent son incitation à brûler des synagogues et son libelle « Des Juifs et de leurs mensonges ». Des faits qui lui valent d’être qualifié d’antisémite par des historiens.