Pourquoi la fin de l’aide américaine aux forces palestiniennes inquiète les Israéliens

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Une loi «antiterroriste» américaine pourrait entraîner les fins de l’aide américaine aux Forces de sécurité palestiniennes, le tout dernier fil reliant encore Washington à Ramallah. Un développement qui inquiète en premier lieu… les Israéliens. «Libération» a rencontré l’analyste Neri Zilber.

«Pourquoi le département d’Etat [américain] est-il en train de faire passer les desiderata de l’OLP [Organisation de libération de la Palestine, ndlr] devant la justice pour les victimes américaines ?» Dans le maelstrom du shutdown, ce tweet outragé du sénateur Chuck Grassley est passé inaperçu. Et pourtant, un Républicain pur jus qui accuse les services du secrétaire d’Etat Mike Pompeo de trop de sympathie palestinienne mérite qu’on s’y arrête, alors que l’administration Trump a méthodiquement brûlé tous les ponts avec Ramallah. Tous, sauf un : celui du soutien logistique, financier et diplomatique aux Forces de sécurité palestiniennes (FSP), bras armé de l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie. C’est ce dernier fil, ténu, qui est sur le point d’être rompu par une loi américaine «antiterroriste» votée au Congrès dans une relative indifférence en octobre.

Alors que le texte doit entrer en vigueur début février, ce sont pourtant les hauts gradés de l’Etat hébreu et les lobbys pro-Israéliens à Washington qui ont milité discrètement ces dernières semaines pour le faire amender dans une capitale américaine paralysée. Malgré la rhétorique anti-Abbas de la majorité des classes politiques israélienne et américaine, la coordination sécuritaire avec les FSP est chère aux Israéliens, car elle est perçue comme vitale pour maintenir le fragile statu quo en Cisjordanie occupée et contenir les attaques terroristes. «Aucun officiel sécuritaire israélien n’a, à ma connaissance, jamais souhaité la fin de l’assistance américaine aux FSP. C’est une erreur dangereuse, qui doit être réparée», a résumé Daniel Shapiro, l’ex-ambassadeur américain à Tel-Aviv durant la mandature Obama. Quant à l’ex-chef d’Etat-major de Tsahal, Gadi Eizenkot, ce dernier a profité de son discours d’adieux mi-janvier pour appeler à «renforcer» les FSP.

Pour comprendre les implications de cet imbroglio diplomatico-juridique, Libération a rencontré à Tel-Aviv Neri Zilber, chercheur américain affilié au Washington Institute (influent think tank focalisé sur «les intérêts américains au Moyen-Orient») et auteur d’une histoire des FSP. Ce sont ses analyses qui ont alerté sur les ramifications de cette législation.

Concrètement, que prévoit cette loi américaine et pourquoi met-elle en péril l’assistance aux forces palestiniennes ?

Ce texte, baptisé Atca pour «Anti-Terrorism Clarification Act», découle d’une série de poursuites engagées aux Etats-Unis contre l’Autorité palestinienne et l’OLP par des familles américaines de victimes d’actes terroristes en Israël et en Cisjordanie, les accusant d’un degré de responsabilité dans ces crimes. Dans deux affaires, l’OLP et l’AP ont été condamnées par un tribunal civil américain à payer des dommages à hauteur de 600 millions de dollars. Evidemment, les Palestiniens n’ont aucune intention de payer, ne reconnaissant pas cette juridiction. Est alors venue au Congrès l’idée d’une loi visant à faire pression sur les Palestiniens. Ainsi, le texte établit que toute entité étrangère acceptant une aide américaine s’expose et se soumet à d’éventuelles poursuites devant la juridiction américaine. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre palestinien a fait savoir mi-janvier qu’il renonçait désormais à tout financement américain.

Techniquement donc, ce n’est pas Washington qui stoppe ses versements aux FSP mais Ramallah qui les refuse – bien que cela revienne au même. C’était la toute dernière aide américaine aux Palestiniens, les fonds d’aide au développement, à l’UNRWA [l’office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, ndlr], aux hôpitaux de Jérusalem-Est et aux programmes de réconciliation israélo-palestinienne ayant tous été supprimés durant l’année 2018.

C’est donc une décision du Congrès et non de Trump ?

Oui, mais l’exécutif l’a signée. Par le passé, la Maison Blanche et le département d’Etat auraient sûrement imposé une «clause de sécurité nationale» repoussant sa mise en œuvre [comparable à celle qui avait gelé le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem pendant un quart de siècle]. D’autant plus que la mission de coordination américaine avec les FSP, dirigée par un général trois étoiles depuis Jérusalem, devra fermer si aucune solution n’est trouvée. L’impression que j’ai, c’est que les Américains n’ont compris que tardivement les conséquences de cette législation et l’embarras provoqué chez les Israéliens, sans pouvoir y changer quoi que ce soit à cause du shutdown. Et on sait que si les Américains se fichent pas mal de ce que pensent les Palestiniens, ce n’est pas du tout le cas quand les critiques viennent des généraux israéliens.

Quelle est la dépendance des forces palestiniennes aux Américains ?

Par le passé, les Etats-Unis finançaient les FSP à hauteur de 100 millions de dollars par an. En 2018, c’était tombé autour de 60 millions. Cela ne couvre pas les salaires – environ 30 000 hommes, payés par le budget de l’Autorité palestinienne, lui-même venant principalement de subventions européennes. L’aide américaine est axée sur l’équipement et la mission de coordination. Les militaires américains agissent en tant que facilitateur entre Israéliens et Palestiniens, et prennent en charge la formation des FSP que les Israéliens, pour des raisons évidentes, ne peuvent faire directement. A moyen et long terme, c’est la professionnalisation de ces forces qui est en jeu, alors qu’il s’agit de la première institution palestinienne résultant des accords d’Oslo.

Comment expliquer la fébrilité des Israéliens ?

Les coupes américaines dans le budget de l’UNRWA avaient déjà inquiété l’appareil militaire israélien, surtout ses conséquences à Gaza, mais heureusement, les pays arabes et européens sont venus combler ce vide. Là, les Israéliens craignent avant tout du message que cela envoie aux Palestiniens. D’autant que le comité central de l’OLP a passé plusieurs résolutions demandant à Abbas d’arrêter la coordination sécuritaire avec Israël, car elle est très impopulaire chez les Palestiniens. La plupart voient les FSP comme des sous-traitants de l’occupation. Mais c’est une ligne rouge qu’Abbas n’a jamais voulu franchir, à la différence d’Arafat.

Cette affaire n’est-elle pas révélatrice du double langage des responsables israéliens et américains, qui, d’un côté, accusent Abbas de «financer le terrorisme» et de refuser d’être un «partenaire», mais de l’autre font tout pour le maintenir au pouvoir ?

L’AP et Israël travaillent main dans la main tous les jours dans la lutte antiterroriste. C’est un fait même si aucune des deux parties ne veut le médiatiser car cela affaiblit l’AP aux yeux de son propre peuple. La traque des membres du Hamas et du Jihad islamique est un intérêt partagé par la fameuse «Sécurité préventive» palestinienne et le Shabak (renseignement intérieur israélien). Concrètement, les FSP [accusées par plusieurs ONG de torture et d’emprisonnement d’opposants politiques, ndlr] sont les garants de la stabilité du régime d’Abbas. Et donc, du point de vue israélien, de la stabilité en Cisjordanie. Pour ces mêmes raisons, du côté de Washington, les discussions sécuritaires n’ont jamais cessé avec Ramallah, malgré toutes les mesures imposées par Trump. L’écart entre rhétorique et réalité du terrain est énorme.

Guillaume Gendron

Source liberation