Match France-Israël : « Un juif décide de ne pas avoir peur »

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Après les violences à Amsterdam, le Stade de France sera sous haute surveillance ce jeudi soir pour le match de football entre les Bleus et Israël. Des supporteurs de confession juive témoignent.

Il était inimaginable pour Sarah Yaïche de rater ce match France-Israël, jeudi 14 novembre au Stade de France. Même si elle confesse directement sa légère méconnaissance du sport – « le football, ce n’est pas trop mon truc » –, cette Française juive de 32 ans voulait absolument assister à cette rencontre : « Après avoir été choquée par les images des violences d’Amsterdam, j’ai pris la décision d’aller au stade. Tout simplement parce qu’on ne peut pas laisser faire, il ne faut pas leur donner raison en se cachant. Non, je ne veux pas et plus avoir peur. Je m’y rends pour montrer que quoi qu’il arrive, nous resterons unis face à la montée de l’antisémitisme. »

Après le déchaînement des violences antisémites à Amsterdam, le soir du match de Ligue Europa entre l’Ajax Amsterdam et le Maccabi Tel-Aviv, le risque d’agressions pour les supporteurs de confession juive ce jeudi soir au Stade de France est réel. Sur le plateau de TF1 mardi, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a déclaré que « s’il n’y a pas de menace particulière, le risque zéro n’existe pas », avant d’ajouter : « Des mesures ont été prises avant le match, pendant et après, près du stade, mais aussi, dans le RER et dans les transports en commun. On a mobilisé beaucoup de forces de l’ordre, les stadiers et les ressources de notre droit pour effectuer des contrôles, des fouilles, des palpations. » Pour l’occasion, 4 000 forces de l’ordre, dont le Raid, et 1 600 agents de sécurité seront mobilisés.

« Les récents événements d’Amsterdam m’ont fait peur »

Pierre Grundmann, 75 ans, se rendra aussi au match ce jeudi soir. Malgré lui, ce Français, lui aussi juif, ne voit pas cette rencontre comme un match classique. « Je crains d’être haï et pour un match de football, cela m’interroge. Et bien sûr que les récents événements d’Amsterdam m’ont fait peur, mais au-delà de ça, je suis dégoûté et en colère. Pour moi, c’est naturel d’aller à ce match en tant que supporteur, et je ne devrais pas me poser des questions sur ma sécurité avant de me rendre à un événement sportif. »

Ce jeudi matin, sur la matinale de France Info, le préfet de police de Paris Laurent Nuñez a tenu à rassurer les spectateurs du match, notamment concernant leur sécurité aux abords du stade : « Il n’y a pas de menace caractérisée, mais ça reste un match à haut risque. […] Ce qu’on a retenu d’Amsterdam, c’est que l’on doit être présent dans l’espace public, y compris en profondeur, en dehors du stade. On détectera tous regroupements de personne sur l’espace public. » « Exceptionnellement, les forces de l’ordre seront à l’intérieur du stade, dans les coursives, prêtes à intervenir », a ajouté le préfet.

Un dispositif que salue Pierre Grundmann, qui en profite pour raconter un bout de son histoire familiale : « Ma grand-mère et ma tante, alors âgée de 16 ans, ont été arrêtées par la police française pendant la rafle du Vél’d’Hiv’, puis internées à Drancy avant d’être déportées et tuées à Auschwitz. Ce jeudi soir, sur le chemin du Stade de France, nous passerons à quelques kilomètres de Drancy et le fait que cette fois-ci, les forces de l’ordre françaises assurent la sécurité des Juifs au lieu de les interner, pour moi, c’est très important. »

« Si on ne peut plus se rendre à un match de football, quelle sera la suite ? »

Michael, 45 ans, se rendra au match avec son frère. De son côté, fini de craindre les intimidations antisémites. « J’ai décidé de ne pas avoir peur », lance-t-il. Mais au vu des menaces présentes, il a tout de même refusé que ses enfants l’accompagnent. « Je ne voulais pas prendre le moindre risque… »

Comme Sarah Yaïche, les récentes agressions à Amsterdam l’ont d’autant plus motivé à se rendre à cette rencontre France-Israël, « pour montrer que nous ne sommes plus en 1940 ; un Juif ne doit pas courber l’échine en 2024. Si on ne peut plus se rendre à un match de football, quelle sera la suite ? Les universités ? Les transports en commun ? »

Michael, Pierre Grundmann et Sarah Yaïche font tous les trois partie d’un groupe de près de 300 supporteurs venant avec l’association No Silence, un collectif féministe créé au lendemain du 7 Octobre pour dénoncer les viols commis par le Hamas comme arme de guerre. « Ça limite nos risques », glisse Michael. « Comme j’y vais seul, en cas de problèmes, ils peuvent m’aider, abonde Pierre Grundmann. Et c’est avant tout un groupe de supporteurs. »

Des consignes de sécurité données aux supporteurs

Mélanie Pauli-Geysse, présidente de l’association féministe, tenait à saluer la décision de l’État de maintenir ce match « face aux obscurantismes ». « Avant même les violences à Amsterdam, nous souhaitions nous rendre à ce match. Et nous recevions déjà des menaces de “chasses à ces putes de Juifs (sic)” sur les réseaux sociaux. » Pour elle, se rendre à ce match est un acte militant en soi. C’est ce que pense aussi Michael : « Venir est un soutien clair dans la lutte contre l’antisémitisme. J’ai d’autant plus été motivé par les appels au boycott de La France insoumise ; la dernière fois qu’on a boycotté des Juifs, c’était lors des heures sombres de l’Histoire… »

« Je comprends ceux qui ne veulent pas y aller face à la volonté de certains de “casser du Juif” », ajoute aussi Mélanie Pauli-Geysse. Par souci de « lucidité », elle ne balaie pas le risque d’attaques. C’est pourquoi elle et son association ont livré une série de conseils aux supporteurs. « Pour des raisons de sécurité, je ne peux pas toutes vous les citer. Mais nous avons demandé à tout le monde de se soumettre aux fouilles, nous avons donné une liste d’itinéraires à privilégier, pour éviter tout guet-apens notamment. Nous avons aussi demandé d’éviter de venir en voiture. »

Pour permettre aux supporteurs de se rendre et partir du stade, des bus de compagnies privés en région parisienne ont été affrétés par l’association. De son côté, Sarah Yaïche indique qu’il lui a été fortement déconseillé de porter tout signe distinctif ce jeudi soir.  » C’est si triste, le simple fait d’avoir une étoile nous met en danger… Alors, on la cache, car ça peut arriver à tout moment.  »

« J’aimerais que le prochain match France-Israël puisse se dérouler sans la présence de 4 000 policiers, conclut Pierre Grundmann. Il faut que nous puissions à nouveau vivre ensemble. »

Par Nathan Tacchi