Complotisme, «buzz à tout prix », télé-réalité… : qui est Kamil Abderrahman ?

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Depuis le 7-Octobre, cet ancien « nounou » de candidats de la télé-réalité multiplie les déclarations complotistes, accusant le « lobby sioniste » de contrôler les médias et le pouvoir.

« Ils nous prennent vraiment pour des cons » : c’est par ces mots que Kamil Abderrahman a commenté l’image d’une caméra de vidéosurveillance montrant l’auteur de l’incendie criminel qui a visé il y a quelques jours la synagogue Beth-Yaacov de La Grande-Motte. Manière de dénoncer une mise en scène destinée, selon lui et bien d’autres, à porter préjudice aux défenseurs de la cause palestinienne.

Il faut dire que celui qui se rêve journaliste, lanceur d’alerte et star des plateaux télé a trouvé son créneau. Depuis les attaques du 7 octobre 2023, l’influenceur s’enfonce presque chaque jour un peu plus dans le complotisme. Sur X (ex-Twitter) et Instagram, où il cumule respectivement 52 000 et 54 000 abonnés, il cultive la même obsession pour les Juifs et Israël.

Le carburant de ce complotisme ? Une accumulation de fake news selon lesquelles les médias et les responsables politiques ne seraient que des marionnettes dans les mains des « sionistes ». Peu soucieux de vérifier les informations qu’il partage, Kamil Abderrahman retweete plus vite que son ombre. Sa spécialité : la compétition victimaire. Selon lui, « il n’y a aucune différence entre Hitler qui déportait des êtres humains dans des camps pour ensuite les gazer et Netanyahu qui déporte des êtres humains dans des camps pour ensuite les bombarder ». Citant l’auteur « antisioniste » Jacob Cohen, un ancien membre de l’association soralienne Égalité & Réconciliation, Kamil Abderrahman reprend à son compte l’idée d’une France dominée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), qui s’affairerait à empêcher les musulmans d’accéder aux places qui leur reviennent de droit dans les médias ou encore la politique.

En ligne, l’internaute se décrit comme un « journaliste sans actualité ». Journaliste, vraiment ? À 37 ans, l’intéressé raconte avoir abandonné ses études de langue, enchaîné plusieurs petits boulots avant de travailler dans le monde de la nuit et la télé-réalité. Il passe bien par une école, l’ACADémie Audiovisuelle de Paris, pour une formation accélérée en journalisme, mais échoue, selon son directeur, Richard Joffo :

« C’est une diva. Je ne lui ai pas donné son diplôme parce qu’il n’était pas assidu et ne respectait aucune règle éthique. Pour lui, c’était le bruit et le buzz à tout prix. Il accommodait l’information en fonction de l’éclat que cela pouvait lui donner. »

Une carrière professionnelle non identifiée, donc, qui fait de lui un spécialiste de tout… et surtout de rien. C’est à partir de 2019 qu’il parvient pourtant à se faire un nom. À mille lieux des valeurs humanistes et antiracistes qu’il revendique. Dans le prolongement de « Touche pas à mon poste » et de Cyril Hanouna – son modèle –, il lance l’émission « Salade Tomate Oignon ». D’abord diffusée sur le média digital VL, puis sur Le Média TV, elle est consacrée au commentaire de l’actualité, imitant les codes du genre : un présentateur, des chroniqueurs et des invités. Parmi eux, plusieurs personnalités compromises avec le complotisme : l’entrepreneur Alexis Poulin, l’avocat gilet-jaune François Boulo, l’ex-directeur du Collectif contre l’islamophobie en France (le CCIF, dissous en 2021 en conseil des ministres – ndlr), Marwan Muhammad, l’ex-conseiller municipal de Saint-Denis Madjid Messaoudene (co-organisateur en 2019 de la Marche contre l’islamophobie – ndlr), l’inflluenceur en médecine « holistique » Houcine Sekkiou ou la militante antispéciste Azelma Sigaux (fille du régisseur de DieudonnéJacky Sigaux – ndlr). Récemment sur Le Média sont aussi intervenus l’avocat covido-sceptique Fabrice Di Vizio et l’ancienne « quenellière » et employée de RT France Meriem Laribi, aujourd’hui collaboratrice régulière… du Monde diplomatique !

À l’antenne, Kamil Abderrahman se présente en arbitre impartial, avenant, à l’écoute des avis divergents. Une posture qui contraste avec la désinformation qu’il répand régulièrement sur les réseaux sociaux : le 9 octobre, deux jours après la tuerie massive perpétrée par le Hamas contre la population israélienne, il déclare sans ambages que « la France devient une dictature sioniste ».

Dès lors, la machine est lancée et ne s’arrêtera plus. L’influenceur va, selon les termes de sa propre émission, « découper l’actu » à sa guise, au mépris des faits et au plus grand profit du complotisme. D’abord en questionnant la réalité matérielle des attaques. Ainsi, concernant le massacre du festival Nova, il assure, le 29 octobre, que « la plupart des victimes des kibboutz et de la rave party ne seraient pas mortes des tirs du Hamas mais de la riposte israélienne ». Et de renvoyer à une vidéo partagée par Tali Atzmon, épouse du musicien Gilad Atzmon, une figure bien connue de la mouvance antisémite. Une fake news démentie partout, notamment par Libération et France 24.

Rien pour arrêter Kamil Abderrahman, qui persiste et signe, un mois plus tard, en relayant des images du média gouvernemental russe RT.  « La question maintenant c’est pourquoi l’armée israélienne a participé au massacre de ses propres citoyens ? » écrit-il. En janvier 2024, il tweete de nouveau : « L’armée israélienne a reconnu avoir tiré délibérément des obus de char sur une maison du kibbutz Beeri. » Une affaire, là encore, tirée au clair notamment par CheckNews, qui fait état d’un affrontement entre Tsahal et des membres du Hamas, retranchés dans une maison du kibboutz. Comme le soulignait récemment Conspiracy Watch« il existe au moins un cas dans lequel des civils ont pu être victimes de tirs provenant de l’armée israélienne : au kibboutz Be’eri, 14 otages étaient retenus dans une maison par des terroristes lorsque Tsahal l’a attaquée. 13 de ces otages ont perdu la vie. »

Il faut dire que les sources d’information auxquelles s’abreuve Kamil Abderrahman prêchent toutes la même vision déformée de l’information. À commencer par Quds News Network, une agence de presse palestinienne affiliée au Hamas, ou encore le pure player du gouvernement qatari AJ+ et Nouvelle Aube, version française du quotidien islamiste turc pro-Erdoğan Yeni Şafak.

Désinformation

À plusieurs reprises, Kamil Abderrahman va répandre des fake news ou informations non vérifiées sur l’État hébreu et la situation à Gaza. Le 17 octobre 2023, il partage un contenu émanant d’un faux compte Facebook se présentant comme le porte-parole arabophone de l’armée israélienne, ironisant sur le bombardement de l’hôpital Al-Ahli Arabi et parlant de « mort par euthanasie ». L’intox, rapidement réfutée, aura également été partagée par Marwan Muhammad et Meriem Laribi…

L’influenceur apporte aussi son soutien en ligne à des figures controversées, sinon ouvertement complotistes : l’ancien sénateur Yves Pozzo di Borgo qu’il retweete, l’ancienne basketteuse Emilie Gomis (exclue de l’organisation de Paris 2024 pour ses propos légitimant le massacre du 7-Octobre) mais aussi l’eurodéputée LFI Rima Hassan : toutes deux ont répandu des fake news sans source ni vérification sur le conflit Israël-Hamas.

Le 21 avril dernier, Kamil Abderrahman partage d’ailleurs des images de fosses communes déterrées, tweetées par Anne Tuaillon, présidente de l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS). Elle avance que ces fosses ont été creusées par l’armée israélienne depuis le début de la riposte. Un propos, là encore détaillé et en partie réfuté par plusieurs médias, notamment CheckNews : « Si des zones d’ombre demeurent sur les conditions dans lesquelles ces personnes ont été tuées et enterrées, au moins une partie de ces fosses communes avaient été creusées avant l’arrivée des forces israélienne sur le site de l’hôpital » note ainsi CheckNews. Kamil Abderrahman, lui, préfère les phrases chocs à la précision historique. Quelques jours plus tard et à plusieurs reprises, il avance sans autre précision que « le Hamas a été créé et financé par Israël ». Un propos trompeur qui reflète, là encore, une distorsion complète de la réalité historique et un écrasement de toute la complexité de la situation.

Pour Kamil Abderrahman en réalité, peu importent les faits, la rigueur journalistique ou la vérité historique. Il s’agit pour lui de prouver à tout prix qu’un « lobby sioniste » dicte leurs feuilles de route aux médias. Ainsi de BFM TV qu’il présente comme « la chaîne de propagande israélienne française » ou les médias français qualifiés de « 100% sionistes et complices du génocide en cours » (sic).

Une obsession pour le CRIF

Comme on l’a vu, Kamil Abderrahman va même jusqu’à imputer le racisme anti-musulman en France à l’influence du CRIF, qu’il décèle jusque dans les actes et les paroles du ministre des affaires étrangères Stéphane Séjourné. C’est une autre de ses obsessions. L’influenceur croit percevoir les « injonctions du CRIF » et du « lobby sioniste » dans toutes les strates de la société. Le 20 avril, suite à l’annulation de plusieurs conférences de la France Insoumise, il déclare, avant de supprimer son tweet : « La France est une colonie israélienne ». L’organisation parviendrait, selon lui, à asseoir sa suprématie par le chantage à l’antisémitisme : quelques semaines auparavant, au mois de février, il réagissait en ces termes à une intervention de Yonathan Arfi, président du CRIF : « Traduction : nous sommes le peuple élu. Nous pouvons coloniser et massacrer les Palestiniens depuis 75 ans et nous positionner en victimes s’ils répliquent et jamais la vie même de 35.000 palestiniens ne vaudra celle d’un seul israélien ». La concurrence victimaire, encore.

Un traitement qu’il réserve à la plupart des associations de lutte contre l’antisémitisme : le 12 novembre, il voulait voir dans le recensement des 182 000 personnes ayant participé à la grande manifestation républicaine contre l’antisémitisme, initiée par les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, « les chiffres de Tsahal ». Le 6 juillet dernier, lors de la dernière campagne des élections législatives, il commentait un tweet de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). L’organisation critiquait le soutien du rappeur Médine au Nouveau Front Populaire (un rappeur qui avait fait polémique pour certains de ses textes et sa tendance à exécuter des quenelles, le signe de ralliement des amis de Dieudonné). Il écrit : « Une grande majorité des associations juives participent aujourd’hui à la persécution et la stigmatisation des musulmans en France ». Il formule les mêmes accusations envers des personnalités qui ont pour seul point commun leur judéité : en mai dernier, il réunissait dans un « arc judéo-raciste » la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet et la patronne du très droitier magazine Causeur Elisabeth Lévy. Un message lourdement critiqué – et supprimé depuis.

L’« extrême sionisation de la France »

L’altercation de Kamil Abderrahman avec la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) témoigne de son amateurisme : le 19 avril dernier, l’association antiraciste associait le tweet de l’influenceur présentant la France comme une « colonie israélienne » à l’héritage de l’écrivain antisémite Edouard Drumont et à La France juive, son pamphlet dénonçant la soi-disant mainmise des Juifs sur le pays : « quel autre sens que la thèse de l’ « invasion juive » donner à un tel propos ? » critiquait la Licra à propos de Kamil Abderrahman.

Réponse de l’intéressé : « Mdrrrrr Je ne connais ni la France juive ni Édouard drumont par contre je connais la Licra qui est la preuve parfaite de l’extrême sionisation de la France que je dénonce. Ce que je dis est parfaitement factuel. Je ne vise aucunement les juifs mais l’influence du gouvernement d’extrême droite israélien sur la France grâce notamment à des officines comme la vôtre. »

Contacté par Conspiracy Watch, Kamil Abderrahman n’a pas souhaité répondre. Son amateurisme a-t-il dérangé ses anciens collaborateurs ? Après plusieurs années à l’antenne de VL, radio associative et bénévole, Kamil Abderrahman arrête ses émissions. Le directeur de l’antenne, Emmanuel Sémo, n’a pas non plus répondu à notre demande de contact. Mais une source proche rapporte plusieurs appels d’auditeurs s’alarmant du traitement de l’actualité à ses heures d’antenne.

Kamil Abderrahman dérive à partir de septembre 2023 sur Le Média TV, mais pour seulement une poignée d’émissions. La dernière en date, en présence de Fabrice Di Vizio et Meriem Laribi, a été diffusée fin février 2024. Elle apparaît sur la chaîne YouTube du Média TV mais pas sur son site. Pourquoi l’animateur n’a-t-il pas poursuivi sa collaboration avec Le Média ? Contacté, le rédacteur en chef du Média TV n’a pas donné suite, lui non plus.

Des plaintes pour escroquerie et abus de confiance

Il n’est d’ailleurs pas qu’en ligne que Kamil Abderrahman disparaît sans laisser de traces. Son détour par la télé-réalité, d’abord comme « nounou » de candidats puis en tant qu’agent d’influenceurs, ne s’est pas non plus déroulé sans encombre. L’animateur est aujourd’hui visé par au moins deux plaintes, dont une que Conspiracy Watch a pu consulter, pour « escroquerie » et « abus de confiance ». Des plaintes déposées par Alix Desmoineaux et Luna Skye, deux influenceuses avec qui Kamil Abderrahman a collaboré. Les jeunes femmes disent avoir été arnaquées par leur ancien ami : il aurait détourné, par le biais de son agence, plusieurs dizaines de milliers d’euros versés par les marques dont elles faisaient la promotion sur leurs réseaux sociaux. L’ex-agent est également visé par une plainte d’Alix Desmoineaux pour « abus de biens sociaux » dans le cadre du rachat commun d’un commerce.

Luna Skye, elle aussi, l’a bien connu. Dans la vie et au travail. La jeune femme décrit un homme « toxique », habitué des violences psychologiques, qui insulte, menace et harcèle ses collaborateurs : « Il me rabaissait tout le temps. Vous savez ce que c’est que de se faire insulter au quotidien ? » L’intéressé, lui, préfère se décrire comme un « leader d’opinion sur la scène médiatique ». En avril dernier, Kamil Abderrahman ose même le tout pour le tout : « Je serai candidat aux prochaines élections législatives de 2027 ».

Perla Msika