La nouvelle ligne 310 rejoint Stamford Hill, le quartier de prédilection de la communauté hassidique, au quartier plus bourgeois à forte minorité juive de Golders Green. En cette période de hausse de l’antisémitisme, elle leur permettra de limiter leurs interactions avec d’autres communautés.
Les jeunes jumeaux courent jusqu’au panneau des horaires de bus. « Il sera là dans 23 minutes », annoncent-ils en yiddish à leur mère. Le reste de cette famille juive hassidique arrive à son tour. Les deux garçons trépignent à l’idée d’emprunter cette nouvelle ligne de bus. Le 1er septembre, Transport for London (TfL), l’entité responsable de la gestion des transports publics de la capitale, a ouvert la ligne 310.
« Depuis de nombreuses années, nous recevons des demandes de la part de membres du public et de responsables locaux, qui souhaitent qu’un service de bus direct soit mis en place entre Golders Green et Stamford Hill », précise l’entreprise sur des affichettes disposées à chaque arrêt de la ligne. Golders Green est, avec ses voisins Finchley et Hamstead, l’un des quartiers traditionnels de la communauté juive bourgeoise. Stamford Hill, situé dans l’arrondissement d’Hackney, beaucoup plus pauvre, est le lieu de prédilection des orthodoxes hassidiques.
La ligne 310 n’est pas réservée à la communauté juive. À l’intérieur du bus, en dehors de la famille et de deux garçons adolescents également en tenue hassidique traditionnelle, les passagers ne présentent pas de signes extérieurs religieux. Elle a pourtant été ouverte à leur intention, comme il l’a expliqué à la BBC, Sadiq Khan, le maire de Londres. Musulman d’origine pakistanaise, il affirme avoir « été frappé par les conversations qu’ (il a) eues ces derniers mois avec la communauté juive. Ils étaient effrayés par la montée massive de l’antisémitisme depuis le 7 octobre de l’année dernière. »
1 000 % d’actes antisémites en plus fin 2023
Depuis l’embrasement du conflit déclenché par les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre, les crimes et actes antisémites ont explosé à Londres. Entre octobre et décembre 2023, Scotland Yard, la police londonienne, en a enregistré 1156, soit une hausse de 1 000 % par rapport aux 116 crimes enregistrés lors des mêmes mois en 2022. Depuis, leur nombre a ralenti, mais 998 ont néanmoins été enregistrés entre janvier et août 2024, contre 424 lors de la même période 2023.
Plus spécifiquement, Sadiq Khan précise que « des familles (lui) ont raconté être effrayées par les insultes reçues lorsqu’elles changeaient de bus entre Stamford Hill et Golders Green à Finsbury Park ». Finsbury Park est un quartier à forte minorité musulmane, où se trouve notamment la mosquée centrale du nord de Londres, fermée en 2003 en raison du soutien au terrorisme de son imam Abu Hamza al-Masri, avant de rouvrir en 2005. D’où sa réputation encore sulfureuse. Même si dans les faits, les autorités britanniques ont applaudi les réformes de sa direction en faveur d’une ouverture et d’un engagement avec les autres communautés du quartier.
Une ligne à l’essai pendant un an
Pendant les cinquante minutes du trajet jusqu’à Golders Green, aucun autre hassidique n’est monté dans le bus. Il a en revanche été emprunté par de nombreux locaux, dont plusieurs femmes voilées. Si le London Jewish Forum et le Board of Deputies of British Jews se sont « réjouis » de cette nouvelle ligne qui « apportera une amélioration significative pour notre communauté strictement orthodoxe », impossible d’en savoir plus auprès des hassidiques présents dans le bus, réticents à répondre à nos questions. Si ce n’est pour indiquer, un peu perdus à leur sortie à son terminus de Golders Green, qu’ils allaient « passer le shabbat chez des proches ».
Les affichettes de TfL indiquent que « la ligne 310 sera mise à l’essai pendant 12 mois » afin « d’évaluer si c’est une route viable qui bénéficie à la communauté et que des gens utilisent ». Les passagers locaux ne semblent pas perturbés par cette initiative. « Si cela permet de faire gagner du temps et de rassurer les juifs qui veulent rejoindre les deux quartiers, tant mieux, commente Margaret, une retraitée. Et cela change, puisque depuis quelques annéesnous sommes plutôt habitués aux fermetures de lignes de bus ! »
Tristan de Bourbon