Pourquoi l’homme d’affaires Michel Ohayon garde malgré tout la dette hors de l’eau

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Après la liquidation judiciaire de Camaïeu, le dépôt de bilan de Go Sport et les difficultés rencontrées par ses hôtels et ses 26 Galeries Lafayette régionales, le Bordelais semblait sur la pente raide. Il vient pourtant de récupérer la gestion d’une partie de son patrimoine.

Il en va parfois de la vie des affaires comme de la vie politique. La fin ne s’écrit pas toujours comme les faits le laissent penser. Ce jeudi 21 mars, le tribunal de commerce de Bordeaux a validé le plan proposé par l’homme d’affaires Michel Ohayon pour reprendre l’exploitation de 26 enseignes Galeries Lafayette. Celles-ci avaient été placées en procédure de sauvegarde le 22 février 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux à la suite des difficultés de leur gestionnaire et propriétaire, qui a enchaîné une série de déconfitures, auxquelles s’ajoutent des poursuites judiciaires (lire encadré ci-dessous). Contre toute attente, Michel Ohayon a néanmoins, à ce jour, réussi à sauver des entreprises significatives de son groupe. Un retour aux commandes qui surprend nombre de ceux qui ont été en affaires avec lui. «Visiblement il est redevenu fréquentable pour Bercy, ce qui n’était pas le cas il y a un an», constate un vieux routier des entreprises en difficulté.

Flash-back sur le mois de septembre 2022. Les 511 boutiques de l’enseigne de vêtements Camaïeu sont placées en liquidation judiciaire et 2 600 emplois supprimés, l’un des plus importants plans de licenciement d’un secteur en déconfiture. Michel Ohayon avait racheté l’entreprise en août 2020, à la barre du tribunal de commerce de Lille. Quatre mois après la fin de Camaïeu, les 83 magasins de la chaîne Go Sport, qu’il avait rachetés en décembre 2021, sont à leur tour placés en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Bordeaux, plombés par un passif de 14 millions d’euros. Ils sont cependant sauvés de la fermeture grâce à leur rachat par un concurrent, le groupement de commerces indépendants Intersport. Dans la foulée, Michel Ohayon est également obligé de déposer le bilan de la Grande Récré : une centaine de magasins de jouets, qui seront également repris par un concurrent, JouéClub. Celui qui avait commencé par tenir une boutique de fringues Daniel Hechter à Bordeaux avant de créer, trois décennies plus tard, un groupe immobilier et commercial valorisé à 1,4 milliard d’euros, semble avoir sérieusement perdu la main.

Deux pièces maîtresses à conserver

Ses détracteurs prédisent alors l’effondrement, tel un château de cartes, d’un empire hétéroclite qui comprend aussi bien des immeubles de bureaux que plusieurs hôtels de luxe. A ce moment-là, Bercy, qui a accordé des prêts garantis à Go Sport durant la pandémie de Covid, est particulièrement remonté contre Michel Ohayon. Tous les éléments sont donc réunis pour l’estocade. Des administrateurs judiciaires travaillent d’ailleurs sous l’égide du tribunal de commerce de Bordeaux afin de trouver d’éventuels repreneurs pour les biens qui demeurent encore dans son patrimoine.

Décrit unanimement comme un combatif qui ne laisse jamais tomber, l’intéressé est pour sa part bien décidé à tout faire pour conserver deux pièces maîtresses de son édifice : trois hôtels de luxe, le Sheraton, situé au sein même de l’aérogare de Roissy, le Trianon Palace de Versailles et l’Intercontinental de Bordeaux, ainsi que les 26 Galeries Lafayette de région, acquises en 2018 et 2021. Il s’adjoint les conseils de deux cabinets d’avocats parisiens et d’un expert-comptable rodé aux grandes opérations financières. Leur ordre de mission est clair : faire preuve de créativité et d’agilité tant juridique que financière afin de sauver les meubles.

En ce qui concerne les trois hôtels, l’angle d’attaque est, somme toute, assez simple. Ils ont été acquis avec un prêt consenti par la Bank of China, qui réclame 170 millions d’euros d’échéances non réglées et demande ni plus ni moins que la vente des hôtels afin de récupérer son dû. Les conseils de l’homme d’affaires bordelais saisissent donc leur machine à calculer et évaluent le prix de ces trois établissements : 500 millions d’euros, soit trois fois plus que le montant de la dette. Débute alors une négociation pied à pied. Pas question donc de vendre ni de brader, d’autant que la saison touristique 2024, dopée par les JO, devrait être particulièrement bénéficiaire. A l’issue des discussions, un accord est trouvé. Michel Ohayon obtient d’étaler le remboursement sur quatre ans. Fin de la première manche.

Plus d’effort supplémentaire

Lors de leur placement en procédure de sauvegarde, le devenir des 26 Galeries Lafayette et de leurs 1 000 salariés (170 millions de chiffre d’affaires en tout) se révélait plus complexe. Ils avaient été vendus en 2018 par leur maison mère, qui ne souhaitait pas conserver ces magasins de taille modeste dans des villes moyennes et préférait se recentrer sur des «paquebots», notamment à l’international. Pour autant, le groupe Galeries Lafayette, détenu par la famille Houzé, continuait à les fournir en marchandises, notamment en vêtements, et à prélever une redevance de 3,5 % de leur chiffre d’affaires pour utilisation de sa marque. Le groupe n’avait pas vraiment envie de voir son nom associé à un vaste plan de fermeture. Ni de voir sa réputation écornée par le plan de licenciement qui s’ensuivrait. En outre, les maires d’un certain nombre de villes où sont installés ces magasins ont envoyé force lettres aux administrateurs judiciaires chargés du dossier, pour défendre le maintien de l’enseigne dans leur centre-ville. Ce type de grand magasin joue souvent le rôle de locomotive et attire ou maintient en activité des boutiques de plus petite taille.

Autant de considérations dont Michel Ohayon et ses avocats ont pu se servir comme levier dans leurs discussions. Du bout des lèvres, la famille Houzé a accepté de tirer un trait sur 20 millions d’euros de factures impayées. Les 8 millions restants verront leur paiement étalé sur dix ans. C’est visiblement l’un des arguments qui a pesé dans la décision du tribunal de commerce de Bordeaux pour valider le plan proposé par Michel Ohayon. Contactée par Libération, une source au sein des Galeries Lafayette laisse entendre qu’il n’y aura désormais plus d’effort supplémentaire : «C’est la dernière chance accordée à Michel Ohayon». L’homme d’affaires va également devoir retrouver la confiance de ses 1 000 salariés, dont les représentants ont émis un avis défavorable sur son plan de continuation. «Nous attendons de voir. Les salariés se sont retroussé les manches. Nous avons des magasins qui se sont dégradés avec le temps et ont besoin d’investissements», précise Muriel Scanzi, déléguée centrale CFDT. Les 12,5 millions d’investissement sur deux ans annoncés pour relancer l’enseigne seront donc surveillés à l’euro près par les salariés, qui attendent également un «rajeunissement» des marques proposées dans les rayons textiles. Faut-il y voir un signe ? Le magasin de Pau, promis à la fermeture parce que dépourvu de bail et de locaux, ferait désormais l’objet d’un forcing de la mairie pour assurer sa pérennité.

Les flux financiers des sociétés de Michel Ohayon dans le collimateur de la justice

Tout a commencé par un signalement des commissaires aux comptes au parquet de Grenoble, révélé par «Libération» en janvier 2023. En cause, deux mouvements de trésorerie de 36 et 18 millions d’euros prélevés sur les comptes de Go Sport et utilisés pour deux autres enseignes d’habillement, Camaïeu et Gap, également détenues par Michel Ohayon. La justice grenobloise ouvre alors une information judiciaire pour «abus de bien sociaux». Go Sport a en effet bénéficié de deux prêts garantis par l’Etat d’un montant de 55 millions d’euros. La question est donc de savoir si ces fonds ont eu une autre destination. Depuis cette date, l’enquête a été délocalisée à Paris auprès de la juridiction nationale de lutte contre le crime organisé (Junalco), une structure créée pour traiter de la délinquance complexe. Au mois de février, des perquisitions ont été menées au domicile et dans les bureaux de Michel Ohayon. Les enquêteurs étaient visiblement à la recherche de documents sur ces différents mouvement comptables entre les sociétés du groupe.

par Franck Bouaziz