En Israël, Benyamin Nétanyahou glisse (encore) plus à droite

Abonnez-vous à la newsletter

De plus en plus fragilisé, promis à la vie civile voire à la prison en cas d’élections, le Premier ministre israélien encourage l’Etat hébreu à glisser vers l’isolement et la radicalisation.

Le 6 mars, une commission d’enquête israélienne a reconnu que Benyamin Nétanyahou était «personnellement responsable» de la mort de 45 pèlerins ultraorthodoxes dans une bousculade sur le mont Méron, en avril 2021. De catastrophe en catastrophe, beaucoup auront fait le lien avec son rôle dans les faillites sécuritaires du 7 Octobre, qu’il refuse toujours de reconnaître. Son cercle rapproché, généralement incompétent, reste fidèle mais, au niveau local, personne au Likoud n’a voulu faire campagne avec Nétanyahou pendant les élections municipales fin février. Le roi Bibi est devenu toxique.

L’étau politique se resserre. Les partis ultraorthodoxes, piliers de sa coalition, refusent de lâcher leur exemption de conscription, alors que les hommes commencent à manquer sur le champ de bataille. «Ce serait 65 000 soldats de plus, demain», s’époumone le chef de l’opposition Yaïr Lapid, qui essaie tant bien que mal de se frayer une place dans le débat politique. «Sans la Torah, il n’y aurait pas de succès militaire», rétorque le grand-rabbin séfarade Yitzhak Yosef, qui insiste : «Si vous nous forcez à nous engager, nous émigrerons tous.» Benyamin Nétanyahou veut sauver les meubles, insiste qu’une solution sera trouvée – mais en attendant, il perd peu à peu le soutien de son infatigable allié Arieh Deri, politicien aussi acéré que corrompu à la tête du parti ultraorthodoxe Shas.

«Une campagne militaire et une campagne diplomatique»

Le chef du Likoud ne veut pas d’élections perdues d’avance : tous les sondages le condamnent à la vie civile, et sans doute à la prison pour corruption. Il se raccroche donc aux suprémacistes juifs, qui prennent ce qu’ils peuvent. Le ministre de la Sécurité nationale, le colon incendiaire Itamar Ben-Gvir, boude parce qu’il ne fait pas (encore) partie des décisions stratégiques, mais il a déjà eu l’occasion, mardi 19 mars, de célébrer l’octroi de 100 000 permis de port d’armes depuis le 7 Octobre. En Israël, on a relevé que les budgets des ministères tenus par l’extrême droite, à l’agenda parlementaire, avaient augmenté. On prend dans les milieux défavorisés et on donne aux colonies en Cisjordanie ; on prend à la recherche scientifique et on donne 25 millions de shekels (plus de 6 millions d’euros) au ministère de l’Identité juive du micro-parti homophobe Noam.

Pour l’instant, les sionistes religieux le rendent bien à Nétanyahou. Compétents et efficaces, ils organisent le peu de soutien populaire qu’il lui reste autour du message «la guerre à tout prix». C’est mineur en face de la lame de fond qui demande le départ du Premier ministre. Lui temporise, retardant même d’un jour le départ de la délégation chargée de négocier la libération des otages au Qatar. Il préfère s’exprimer quotidiennement sur la nécessité de continuer la guerre dans la bande de Gaza, et en particulier à Rafah, mais aussi sur les autres fronts : «Nous sommes engagés dans une double campagne : une campagne militaire et une campagne diplomatique», a rappelé Benyamin Nétanyahou devant le comité des affaires étrangères de la Knesset mardi.

Protecteur du peuple juif devant un monde ligué contre lui : c’est une image messianique que le leader a cultivée depuis le début de sa carrière politique. La majorité de la société israélienne le déteste, mais, traumatisée et paranoïaque, elle l’entend. L’armée continue à dire qu’il n’y a pas de famine à Gaza, et que le manque d’aide humanitaire n’est dû qu’à l’ONU. Benyamin Nétanyahou refuse encore de formuler un plan clair pour la fin de la guerre, alors même que les médias couvrent toute expression de solidarité avec les Palestiniens, en particulier à l’étranger, comme la preuve d’un antisémitisme rampant. En février, 99 députés israéliens sur 120 ont voté pour refuser sur le principe toute déclaration «unilatérale» d’un Etat palestinien, une gifle pour les partisans de l’autodétermination. Pour Bradley Burston, éditorialiste au journal Haaretz, souffler sur les braises du sentiment d’assiégé fait partie de la stratégie Nétanyahou, qui veut prouver aux Israéliens que «le monde nous haït, qu’il est le seul à pouvoir nous sauver».

Benny Gantz à Washington et Londres

Si des élections se tenaient aujourd’hui, les sondeurs sont convaincus que Nétanyahou perdrait sa place au profit de Benny Gantz. Le leader centriste, qui ne semble pas avoir plus d’idée de ce à quoi ressemblera le futur israélo-palestinien, commence à se montrer plus agressif. Il a capitalisé sur les tensions palpables entre Nétanyahou et Biden pour aller discuter début mars à Washington de la situation à Gaza, sans l’aval du Premier ministre. Londres lui a aussi déroulé un tapis rouge digne d’un chef de gouvernement. Benyamin Nétanyahou, pivoine, aurait empêché toute coordination avec la diplomatie israélienne, laissant Benny Gantz sans immunité. Cela aurait pu tourner à la catastrophe pour l’ancien chef d’état-major.

Le 12 mars, Gideon Saar, ancien poids lourd du Likoud dont la faction dissidente avait rejoint Benny Gantz en 2020, a décidé de faire scission, demandant à rentrer dans le cabinet de guerre pour y encourager des positions plus agressives. Selon lui, c’est une question de stratégie, pas de politique. Mais ce faucon, fervent supporter du «grand Israël», veut déjà se positionner en tant «qu’alternative issue de la droite nationaliste». Même si Nétanyahou part, la relève politique sera à l’image de l’Israël qu’il a contribué à former, et que le 7 Octobre a calcifié : un Etat hébreu radicalisé, guerrier et de plus en plus isolé.

par Nicolas Rouger, correspondant à Tel-Aviv