À Amsterdam, le nouveau Musée national de la Shoah, ouvre ses portes

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Le premier musée national de la Shoah a été inauguré dimanche 10 mars 2024 à Amsterdam, aux Pays-Bas, un pays dont 102 000 Juifs sont morts pendant la Shoah, sur une population juive totale de 140 000 personnes.

Si Amsterdam compte déjà la maison d’Anne Frank, l’un des sites touristiques les plus fréquentés chaque année, et de nombreux monuments commémoratifs dont le récent Mémorial des Noms de l’architecte américain Daniel Libeskind, la capitale hollandaise n’avait pas encore de musée de la Shoah qui raconte la vie de cette communauté juive si diverse, les persécutions, déportations et anéantissement, et le souvenir et la reconstruction après la guerre.

Ce musée arrive tard, mais ce délai reflète aussi les retards de la mémoire collective aux Pays-Bas : il fallait un contrepoids à Anne Frank devenue l’icône déjudaïsée d’un universalisme certain et à la timidité des Pays-Bas à se confronter à leur histoire, en particulier la collaboration de sa police avec les nazis et la passivité complice de la population. Le Musée National de l’Holocauste était en préparation depuis plusieurs années. Il est situé en plein centre d’Amsterdam, sur la grande avenue Plantage Middenlaan, en face du Hollandsche Schwouwburg, un ancien théâtre à la façade néoclassique qui avait été transformé en “théâtre juif” pendant l’occupation allemande, puis comme lieu de rassemblement des Juifs arrêtés en Hollande et attendant d’être déportés vers un camp de transit, le plus souvent celui de Westerbork au nord du pays. Plantage Middelaan est une artère importante, avec ses arrêts de tramway devant les deux bâtiments, ses voies larges pour les voitures et ses trottoirs généreux pour piétons. Personne ne pouvait ignorer les rafles, l’internement des Juifs dans le théâtre, leur entassement dans des conditions inhumaines et insalubres. À la fin des années cinquante, le théâtre est devenu un lieu de mémoire partiellement à ciel ouvert, puisque la salle de spectacle et la scène ont été démolies pour laisser la place à une cour vide avec un monument commémoratif extérieur. Les étages supérieurs restent dédiés à des séminaires et à la consultation de bases de données.

En face du Schouwburg, un autre bâtiment tout aussi chargé d’histoire : l’ancien centre de formation d’enseignants et, collé à ce dernier, une crèche dirigée par Henriette Pimentel, une institutrice et infirmière juive active dans la résistance. Dès l’occupation, la crèche devient un lieu de rassemblement pour les enfants juifs dont les parents sont internés dans le théâtre en face. Henriette Pimentel organise le sauvetage clandestin d’environ 600 enfants, qu’elle arrive souvent à faire sortir par le collège d’enseignants, pour les remettre à des familles non-juives. Elle sera arrêtée et déportée à Auschwitz en 1943.

Ces deux immeubles d’importance historique abritent le nouveau musée national de la Shoah, parfaitement intégré au quartier culturel juif – qui inclut la synagogue portugaise, le musée juif d’Amsterdam et le musée pour les enfants.

À l’intérieur du nouveau musée, le visiteur est frappé par deux choix muséologiques qui distinguent cette institution d’autres lieux de mémoire : des textes parcimonieux mais qui interpellent le public ; la quantité et la variété impressionnantes d’objets personnels qui montrent la vie de la communauté juive hollandaise avant, pendant et après la Shoah. Dans de petits films en noir et blanc, on sourit en voyant de nouveaux mariés s’embrasser ou une femme courant en maillot de bain sur la plage. Et on relie chaque destin individuel à l’histoire plus large d’une école, d’une ville, d’une communauté. Le baby-foot qu’un garçon a confié à son copain pour qu’ils reprennent leurs parties “quand je reviendrai”; la jolie paire de gants qu’une fillette portait au mariage de sa sœur en juillet 1942; les marionnettes fabriquées par un père de famille à l’attention de ses deux jeunes fils qui seront assassinés. Plus de 400 objets, disposés dans 80 vitrines, donnent une dimension personnelle, humaine, émotionnelle au récit dont on connaît l’issue insupportable. La commissaire de l’exposition, Annemiek Gringold, et son équipe ne versent jamais dans le sentimentalisme et ne font pas l’économie des documents et images d’archives, même si certains peuvent choquer. On voit les exécutions de Juifs dans des tranchées, des scènes humiliantes à Westerbork et les visages creusés de personnes portant l’étoile jaune. Mais point de reconstitution, de wagon à bestiaux dans lequel on se serre ou de barbelé courant le long de la salle ; ce serait une distraction. La scénographie est sobre et claire, le propos est ancré dans le documenté, l’objet ou le document original. L’objectif de ce musée est avant tout pédagogique et il s’adresse aux jeunes générations, aux scolaires et aux personnes non-juives. L’alternance heureuse entre les objets, les documents, les photos, les films et quelques œuvres d’art rendent la visite intéressante, jamais répétitive ou prévisible. Certaines salles sont un peu chargées, mais c’est l’étroitesse du bâtiment d’origine qui dicte les volumes à disposition.

L’exposition relève davantage du parcours que de la démonstration académique, dans le sens où le visiteur est constamment appelé à se poser des questions, à comprendre les mécanismes qui ont permis la discrimination, la déportation et l’extermination des Juifs hollandais – des voisins, des amis, des collègues – avec la collaboration de la police et d’autres institutions locales. Cet enchaînement infernal commence à petite échelle, l’interdiction de jouer au foot, d’aller à la piscine ou au cinéma. Elle se poursuit par le recensement des Juifs, le port obligatoire de l’étoile jaune, les spoliations et les arrestations, au vu et au su de la population hollandaise qui est resté largement passive. « Qu’est-ce qui permet à une personne de devenir un tel criminel ? Que se passe-t-il dans l’esprit d’un délinquant pour qu’il reconnaisse l’être humain en face de lui, le Juif, non pas comme un être humain mais comme “quelque chose”, pas même une personne, “quelque chose” qu’il va détruire? Quelles sont les étapes, les mécanismes qui rendent cela possible ?  Comment un être humain peut-il tuer volontairement une autre personne, faire partie de la machine d’extermination d’Auschwitz, ou appuyer sur la gâchette en regardant quelqu’un en face, encore et encore ? »

Plutôt qu’une frise historique, les scénographes ont choisi de tapisser de manière chronologique les murs d’ordonnances, de décrets et d’actions à l’encontre des Juifs hollandais. C’est l’un des rares défauts de ce nouveau musée : trop de textes qui mélangent les lois et les événements, des caractères trop petits et les pans de murs noircis de petits caractères ne donnent pas envie de s’y plonger.  L’intégration de quelques œuvres d’art contemporaines paraît un peu forcée et n’apporte pas grand-chose au message puissant véhiculé ici.

Les héros discrets ne sont pas oubliés, les efforts de reconstruction des différentes communautés – portugaise, allemande, orthodoxe – et les commémorations font partie de la dernière des douze sections, avant que le visiteur ne ressorte, sonné, touché, triste, mais également encouragé à se lever contre le moindre signe d’intolérance et d’antisémitisme. Dans l’idéal tout du moins car, pendant que les premiers invités visitaient le musée le dimanche 10 mars, des milliers de manifestants scandaient des slogans très hostiles à l’encontre d’Israël et de son président, tandis que le leader d’extrême-droite Geert Wilders, vainqueur des dernières élections, cherche encore à former un gouvernement de coalition. Mais il faut garder espoir en même temps que toute sa vigilance, aux Pays-Bas comme ailleurs dans le monde.

La musée national de l’Holocauste se situe à Plantage Middenlaan 27, Amsterdam, et est ouvert tous les jours de 10h à 17h.
Plus d’informations sur le site du Quartier culturel juif.

Brigitte Sion

Source tenoua