Victimes françaises du 7 octobre : 25 familles ont porté plainte auprès du parquet antiterroriste à Paris

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25 familles de victimes françaises de l’attaque du Hamas du 7 octobre en Israël ont porté plainte en France auprès du parquet antiterroriste, notamment pour « crime contre l’humanité ». Une enquête a été ouverte. A l’occasion de l’hommage aux victimes organisé ce mercredi, « l’Obs » fait le point.

C’est l’attentat commis à l’étranger ayant fait le plus de victimes françaises depuis l’explosion du DC10 de UTA au-dessus du Niger en septembre 1989. A ce jour, 42 Français et Franco-Israéliens ont perdu la vie lors de l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas le 7 octobre dernier en Israël ayant fait 1 200 morts. Six autres ont été blessés, quatre otages ont été libérés, trois sont toujours présumés détenus à Gaza.

Après Israël, la France, qui rend ce mercredi un hommage à ces victimes aux Invalides, est l’un des trois pays les plus touchés, avec les Etats-Unis et la Thaïlande.

Une enquête ouverte dès le 12 octobre

Très rapidement, la justice française s’est donc saisie des faits. Dès le 12 octobre, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet national antiterroriste (Pnat) des chefs d’« assassinats en relation avec une entreprise terroriste », de « tentatives d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste »« enlèvements, séquestrations à l’égard de plusieurs personnes en bande organisée et en relation avec une entreprise terroriste » et « enlèvements, séquestrations à l’égard de plusieurs personnes mineures âgées de moins de 15 ans, en bande organisée et en relation avec une entreprise terroriste ».

Une célérité saluée par les familles des victimes. « La justice française est compétente pour enquêter sur les crimes terroristes commis à l’encontre de victimes françaises à l’étranger », explique-t-on du côté du parquet national antiterroriste, dont le procureur Jean-François Ricard s’est rendu en Israël en novembre, une demande d’entraide internationale ayant été adressée aux autorités locales.

Confiées à la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) et à la sous-direction antiterroriste (Sdat), les investigations seront toutefois limitées. « Lorsque le pays dans lequel les faits ont eu lieu ouvre une enquête, l’enquête ouverte par la France est dite “enquête miroir”, indique-t-on au parquet antiterroriste. Elle vise essentiellement à informer les victimes et leurs proches qui vivent en France des investigations réalisées par le pays où ont eu lieu les faits. »

Cette enquête miroir permet la réalisation d’investigations en France, comme des auditions des victimes ou de leurs familles ou bien des enquêtes sur leur personnalité. Plusieurs témoignages de proches ont déjà été recueillis. Dans le cadre de la coopération judiciaire internationale, ces actes d’enquêtes viendront nourrir la procédure israélienne.

« Tous les éléments du crime contre l’humanité »

A ce jour, le Pnat a reçu 25 plaintes de familles. « Pour le moment, seule la qualification d’“assassinats en relation avec une entreprise terroriste” a été retenue, commente Me Nathanaël Majster qui défend une douzaine de familles. Nous espérons qu’à terme la qualification sera étendue à des faits de “crime contre l’humanité”. »

Les avocates Mes Yaël Scemama et Ilana Soskin sont d’ailleurs sur le point de déposer auprès du Pnat une plainte contre X, le Hamas et ses dirigeants pour « crime contre l’humanité », au nom de plusieurs familles, dont celle d’Avidan Tordjman, Franco-Israélien de 26 ans, assassiné lors de l’attaque du festival Tribe of Nova, sous l’estrade qu’il était venu démonter au petit matin. Me Scemama explique :

« Tous les éléments constitutifs du crime contre l’humanité, à savoir l’assassinat visant une population civile en exécution d’un plan concerté émanant d’une organisation, dans une attaque généralisée et systématique”, sont présents. »Sa consœur Ilana Soskin ajoute : « Les éléments de planification ressortent de plusieurs choses : ce n’était pas improvisé, il y avait de nombreux participants, ce qui a nécessité des moyens logistiques, matériels et humains. Cela a été nécessairement organisé en amont. Des documents montrent des listes de matériel, des mesures de distances, des instructions en hébreu traduites en lettres arabes comme “Enlève ton pantalon”, “Où sont les clés de la voiture ?”. La manière dont le crime a été conduit, par le meurtre, la torture, l’enlèvement, etc., répond aussi à la définition même du crime contre l’humanité. »

« On a eu des Juifs »

« Les documents diffusés disant “On a eu des Juifs” montrent l’intention raciste », préciseMe Soskin. « Ma consoeur et moi-même réfléchissons aux qualifications pénales que les quatre mois passés ont permis de mettre à jour, ajoute Me Scemama. Nous nous orientons vers un crime contre l’humanité à visée génocidaire. » La question de savoir si le Hamas désignait des juifs ou des Israéliens ne change rien en droit. Pour rappel, le Hamas, dans sa charte, prône la destruction de l’Etat d’Israël.

D’autres dossiers ont également été fournis au Pnat, même s’il ne s’agit pas à ce stade de plaintes proprement dites, mais de constitutions de parties civiles. « Nous y décrivons les circonstances des assassinats commis », explique Me Muriel Ouaknine-Melki, présidente de l’Organisation juive européenne (OJE), qui défend, avec ses confrères et consœur Nicolas Salomon, Sandra Ammar et Oudy Bloch, cinq familles de victimes françaises. « Nous attendons des éléments complémentaires avant de déposer une plainte étayée. Des négociations étant toujours en cours pour la libération des otages, nous sommes précautionneux. »

Ces cinq familles sont celle de Karin Journo, 24 ans, décédée dans l’explosion de l’ambulance près de laquelle elle s’abritait au festival Tribe of Nova ; celle d’Eitan Yahalomi, 12 ans, kidnappé au kibboutz Nir Oz et libéré après 54 jours, et de son père Ohad Yahalomi, toujours otage à Gaza ; celle de la famille, souhaitant rester anonyme, d’une jeune fille de 21 ans rescapée du festival Tribe of Nova ; celle de la famille de Maya Bitton, décédée lors de cette même attaque de la rave party ; celle enfin de la famille L., rescapée du kibboutz de Nir Oz, qui vit désormais de nouveau en France.

« Pour le moment, ce n’est pas la volonté du Pnat de faire évoluer les qualifications retenues, confie Me Patrick Klugman qui défend cinq familles de victime. On peut le comprendre car, en Israël, le cadre retenu est celui d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste et puis, pour le moment, toutes les victimes n’ont pas encore été identifiées, la scène criminelle n’a pas encore été figée, l’action militaire se poursuit. Mais de notre point de vue, c’est un cadre qui va à terme s’avérer insuffisant. »

Coté parquet antiterroriste, on assure que si l’enquête est ouverte à ce jour uniquement pour des qualifications terroristes, « une réflexion est néanmoins en cours sur une éventuelle qualification de crimes internationaux ».

Le procureur général de la CPI en Israël

La plupart de ces avocats ne s’interdisent pas de déposer plainte dans un second temps auprès de la Cour pénale internationale (CPI).Pour le moment, onze familles de victimes israéliennes, mais aucune de victimes françaises, ont porté plainte, le 3 novembre, devant l’instance internationale via Me François Zimeray, avocat à la CPI, pour « crime de guerre, crime contre l’humanité et crime de génocide ».

« Recourir à la justice internationale était pour moi une évidence, explique l’avocat,ancien ambassadeur de France pour les Droits de l’Homme. Nous sommes face à un crime contre l’humanité à caractère génocidaire. C’est un terme qu’on ne peut employer à la légère, mais il est acquis que l’objectif du Hamas était bien d’éliminer des civils pour ce qu’ils étaient, en exécution d’un plan concerté. 1 200 personnes, jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, autant de juifs n’avaient été massacrés en un seul jour. C’est l’équivalent de dix fois les attentats du 13-Novembre en nombre de victimes, dans un pays dix fois moins peuplé. Le 7 octobre pour Israël, c’est donc cent fois le 13-Novembre 2015 pour la France ; on imagine mal ce que cela représente, d’autant que pour beaucoup d’Israéliens, ce pogrom a réactivé le traumatisme des persécutions qui sont à l’origine de leur immigration en Israël. » Le procureur général de la CPI Karim Khan s’est rendu sur place.

A noter qu’il existe une forme de défiance de l’Etat hébreu envers les institutions internationales telles que la Cour pénale internationale. Le pays ne fait pas partie des signataires du Statut de Rome, traité qui a créé la Cour. « Israël est enfermé dans l’idée que le monde ne le comprend pas, que le monde ne l’aime pas et qu’on n’y changera rien, explique Me Zimeray. Ils se vivent en survivants, et, quand on est dans une logique de survie, on ne se connaît pas d’amis. C’est ce qui explique un rapport au monde difficile avec des conséquences tragiques pour tous. »

Des journalistes palestiniens visés par une plainte

Les familles des victimes du 7 octobre ne sont pas les seules à avoir saisi la justice française. Selon nos informations, l’association France-Israël, créée en 1926 et dédiée à la promotion du dialogue et de l’amitié entre les deux pays, a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour « complicité de crime contre l’humanité » auprès du doyen des juges d’instruction du pôle crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre du tribunal de Paris. Cette plainte vise six journalistes palestiniens. « Les atrocités ont été filmées par des photojournalistes et journalistes basés à Gaza et travaillant pour les agences de presse Associated Press et Reuters, dont la présence tôt le matin dans la zone frontalière violée soulève de sérieuses questions éthiques », peut-on lire dans la plainte dont « l’Obs » a eu connaissance. Deux photographes se seraient notamment vantés sur les réseaux sociaux de leur participation aux massacres.

Pour les plaignants, ces journalistes auraient outrepassé leurs fonctions d’information du public en « servant le crime par la glorification photographique des agissements terroristes du Hamas ». Me David-Olivier Kaminski, l’avocat de l’association, explique : « La responsabilité de tous ceux qui ont prêté aide ou assistance au Hamas doit être engagée. Ici, ce sont des journalistes accrédités dont le fil conducteur a été en connaissance de cause de photographier et filmer les terroristes en train de commettre des viols, des décapitations, des tueries de masse d’innocents civils. »

Une plainte similaire vient d’être déposée en France par la même association, visant cette fois-ci six des employés de l’UNRWA, une agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens accusée par les autorités israéliennes de collaborer avec le Hamas. Le bornage de leurs téléphones laisse penser que ces six personnes étaient présentes en Israël le 7 octobre 2023, selon les autorités de l’Etat hébreu. Un de ces employés est soupçonné d’avoir kidnappé une femme et son jeune fils, un autre d’avoir aidé à enlever le corps d’un soldat et d’avoir stocké à son domicile puis distribué des munitions aux terroristes le jour de l’attaque.

Par Cécile Deffontaines et Vincent Monnier