Portrait : René Frydman, langes gardien

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Le gynéologue-obstétricien, pionnier des nouvelles techniques de procréation, sort en ces temps de «réarmement démographique» commandé par le Président un ouvrage pour s’inquiéter de «la Dictature de la reproduction».

Ce sont d’abord des mains. Tous ses proches vous le disent : «Vous avez vu ses mains ? Massives, habiles, il s’en sert magnifiquement.» Des mains d’accoucheur, bien sûr. C’est aussi une voix. Il parle bas, il faut tendre l’oreille, on dirait qu’il ne veut pas faire de bruit. Une voix chaude, douce comme s’il ne fallait pas réveiller le monde qui nous entoure. Aujourd’hui, c’est aussi un monsieur qui a dépassé les 80 ans, et cela déroute, lui que l’on a toujours connu triomphant, magnifique, jonglant avec les prouesses médicales, entre bonhomie et chaleur«Mais je ne me sens pas vieux», lâche René Frdyman, souriant. Et bien sûr, on ne le croit pas.

Depuis deux ans il n’accouche plus, mais il reste «conseiller stratégique» dans le service du professeur Jean-Marc Ayoubi, à l’hôpital Foch, celui-là même qui a initié en 2019 les greffes d’utérus en France. Et surtout René Frydman écrit. Il publie régulièrement. Lui le père des fécondations artificielles vient de sortir, début 2024, un ouvrage au titre provocateur : la Dictature de la reproduction. Et il ne peut qu’être enchanté : son livre tombe en plein «réarmement démographique», comme y incite notre président de la République. Peut-on rêver mieux ? Un magnifique clivage. Frydman versus Macron. La dictature de la reproduction contre le réarmement démographique. «Réarmement ? s’interroge d’abord Frydman. Ce n’est pas franchement mon vocabulaire, mais la question est juste et n’est pas nouvelle. En 2018, j’ai sorti un livre sur le libre choix, avec tout un chapitre pour demander un plan fertilité. Car oui, il y a un problème. Nous nous sommes trop focalisés sur la technique scientifique, il y a de vrais soucis en termes de santé publique. La reproduction reste un mystère…» Notre pape des naissances aurait-il changé de position ? Comment ne pas y voir un léger mea culpa au regard de ces années où les fécondations artificielles étaient vantées au cours de reportages enchantés ? N’importe qui, à n’importe quel âge, disait-on, pourrait désormais goûter aux joies de l’enfantement.

C’est évidemment un peu plus compliqué. Reprenons. René Frydman a été de tous les bouleversements du secteur depuis quarante ans. Dans les années 70, lui l’enfant juif, réfugié pendant la guerre dans les montagnes pyrénéennes, a d’abord voulu être chirurgien orthopédique avant de bifurquer vers l’obstétrique. Militant d’extrême gauche, il soigne des Palestiniens réfugiés en Jordanie, avant de s’engager dans le combat pour le droit à l’avortement, pratiquant non sans courage des IVG clandestines, avant de se retrouver à la maternité de l’hôpital Antoine-Béclère pour se lancer dans l’aventure des procréations artificielles. Il sera, dès lors, de tous les premiers pas : bébé-éprouvette en 1982, congélation des embryons puis des ovocytes, bébés-médicament, mais aussi diagnostic préimplantatoire.

«Il est incroyablement intuitif», dit de lui la chercheuse Nathalie Ledée qui fut sa chef de clinique. Elle ajoute : «Je me méfie de ses remarques, car elles sont toujours pertinentes.» La docteure Joëlle Brunerie-Kauffmann : «René a de l’audace, il n’a pas peur d’essayer, d’y aller, en même temps il est d’une présence très sécurisante.» L’homme est aimé. Il est habile. Jusqu’à récemment, il répétait : «Avec toutes les normes et les barrières administratives qu’il y a désormais, je n’aurais pas pu me lancer dans les bébés-éprouvette.» Que s’est-il passé pour qu’aujourd’hui il semble faire un pas de côté ? Les portes qu’il avait ouvertes seraient-elles devenues sources d’inquiétude pour le futur ? «C’est un constat partagé», tranche un obstétricien de renom, «70 % d’échecs en procréations médicalement assistées, ce n’est pas rien. On a un peu trop raconté l’aventure sur le seul versant de la belle épopée : quand une femme de 40 ans vient vous voir, on lui dit : “D’accord on y va.” Or, on sait qu’elle a très peu de chances. Dans les cohortes de femmes âgées de 41-42 ans, sur 5 000 tentatives de PMA, on a juste 5 naissances, c’est quand même un problème.»

Pour ces spécialistes, le facteur essentiel reste l’âge féminin, mais aussi masculin. Mais quid de la congélation des ovocytes qui devait permettre de repousser les échéances ? «C’est un espoir fragile. Seulement 40 % vont réussir», lâche un gynécologue. «Il y a une fuite en avant dans la technologie, reconnaît de son côté René Frydman, car nous ne comprenons pas tout. Pourquoi y a-t-il tant d’anomalies, de fausses couches, d’infertilités ?» Et notre accoucheur aux mains d’or de développer : «C’est pour cela que la prévention est importante. Notre environnement, avec tabac, alcool, pollution, problèmes de nutrition, stress psychologique, n’est pas bon pour la fertilité.» Y a-t-il eu des erreurs, des emballements ? «Non, répond-il. On découvre en marchant.» Mais quand même, la technique médicale n’aurait-elle pas pris trop de place ? «Je ne crois pas, j’ai les mêmes idéaux, même si j’appréhende différemment les réalités.»

Frydman concède que l’on a un peu vite glissé du désir d’enfant au droit à l’enfant, mais «rien n’est plus complexe que cette variabilité des attentes». Pour autant, lui, le partisan de la prévention, reste très attentif aux avancées médicales, même s’il se veut vigilant. Ainsi, il s’intéresse au projet de «biobag», une sorte de poche fonctionnant comme un utérus artificiel tardif pour prendre en charge les très grands prématurés, avant 21 ou 22 semaines d’aménorrhée. «Oui, c’est une vraie possibilité.» En revanche, il se dit sceptique concernant l’utérus artificiel dès la fécondation. L’azoospermie, technique qui consiste à fabriquer des spermatozoïdes à partir de cellules souches, ce qui permettrait de venir à la rescousse des hommes sans spermatozoïdes ? «A voir. Il faut faire et puis évaluer.»

René Frydman a cinq petits-enfants et vit avec sa femme peintre depuis plus de cinquante ans. Il a voté aux deux tours pour Macron. Ce voyageur, qui raffole des visites de zoos, adore aussi le cirque médiatique. Il se dit à l’écoute, mais n’hésite pas à signer des pétitions, quitte à être accusé de transphobie pour s’être déclaré réservé face aux demandes de mineurs de changer de genre. Il ne s’en émeut pas. Mais oui, il se montre très méfiant, devant le poids de l’argent : «Ma véritable crainte est là : la commercialisation du corps. C’est pourquoi je suis farouchement opposé à la gestation pour autrui [GPA]. Toujours, il y a une question d’argent.» Il ajoute que ce n’est pas rien que de porter un enfant. «Entre la mère et le fœtus qui grandit, il y a des réactions immunitaires qui se nouent. Ce n’est pas juste un ventre.» Et il écrit : «Une GPA, c’est un abandon organisé, programmé, monnayé.» Fermez le ban. Et pour ceux qui en doutent, sans élever d’un ton sa voix, douce et chaleureuse : «Les grands groupes financiers se mettent à investir, comme on le voit en Espagne dans les PMA. C’est là le risque…»

1943 Naissance.
1973 Signe le manifeste des 331 médecins qui ont pratiqué des IVG.
1982 Naissance d’Amandine, premier bébé né d’une FIV en France.
2000 Première naissance après un diagnostic préimplantatoire.
2011 Premier bébé-médicament.
2024 La Dictature de la reproduction (Odile Jacob).

par Eric Favereau