Raphaël Glucksmann : le nouvel espoir de la gauche ?

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La future tête de liste PS-Place publique aux européennes entend réunir les déçus de Macron et de la Nupes. Il rappelle qu’entre Mélenchon et lui, il y a un « gouffre ».

Tout est né d’une engueulade. Dans le public qui patiente en file indienne pour la dédicace d’un de ses livres en 2018 à Metz, à l’époque où l’idée de se faire élire fait plutôt fuir Raphaël Glucksmann, une dame d’un certain âge se faufile, très remontée. Elle arrive à sa hauteur, l’alpague : « Vous n’avez pas honte, monsieur Glucksmann ! Ce n’est pas un jeu, la politique. Quand je suis née, mon père a mis la carte de la SFIO dans mon berceau. Quand vous parlez, tout est clair. Si vous croyez en ce que vous dites, arrêtez de jouer les commentateurs, lancez-vous ! » Sonné par la charge, l’essayiste rumine dans le train du retour. « Qu’est-ce que tu vas devenir ? Une espèce de Finkielkraut de gauche qui ressasse en permanence que tout va mal ? Tu vas finir par devenir pathétique… Je me suis dit : “Faut essayer !” »

On le prendrait volontiers pour un doux dingue, un don Quichotte égaré en politique avec sa grande carcasse et son regard habité, un énième avatar de cette gauche pétitionnaire moralisatrice et incantatoire qui l’a vu pousser. Il sait qu’il doit corriger cette image, lui si souvent résumé par esprit moutonnier à son patrimoine familial, comme s’il n’était qu’un « fils de », rejeton brillant et bien né du philosophe André Glucksmann et de Françoise Glucksmann, activiste engagée qui lui a insufflé son esprit de révolte. « Glucks » et « Fanfan », des parents copains, géants disparus.

Gamin, il a côtoyé dans le salon familial du 10e arrondissement bourgeois de Paris toute l’intelligentsia – BHL, Bruckner, Cohn-Bendit – et le tragique du monde. « J’ai eu une enfance heureuse, j’étais super entouré, dans un quartier normal, dans un collège public normal. Chez moi, je croisais des gens qui sortaient de prison, d’Amérique latine, d’Europe de l’Est. J’ai toujours su qu’il y avait dans le monde quelque chose de dur. » Il aurait pu devenir l’un de ces intellos qui restent assis sur leur banc. Il a choisi de s’engager en politique au moment où elle est, peut-être, le plus décriée.

Candide aguerri

On le prend pour un rêveur, un poseur, c’est un redresseur de torts. Il a cette phrase, qui pourrait prêter à sourire s’il ne fallait pas la prendre très au sérieux : « On nous prend pour des Bisounours, mais on est des pirates ! » D’ailleurs, il veut faire entendre sa voix sur des sujets essentiels comme cette semaine, la loi immigration, notamment dans un tweet incendiaire où il n’hésite pas à affirmer que « le drapeau de la France humaniste est à terre. Nous allons le relever. »

Son éditeur et ami depuis plus de vingt ans, Guillaume Allary, sourit de cette image germanopratine éthérée. « Certains le prenaient pour un héritier hors-sol mais c’est lui qui a fait prendre conscience à la génération 1968 qu’elle avait perdu le combat culturel. Dans son premier livre [NDLR : Génération gueule de bois. Manuel de lutte contre les réacs, Allary Éditions], il leur disait : “Vous avez de bonnes idées, mais vous ne vous êtes pas assez intéressés à la vie des gens et n’avez pas pris assez au sérieux l’extrême droite”. » Signant ainsi la faillite des soixante-huitards. 

En cinq ans au Parlement européen, où il a débarqué en 2019 tel Candide, il s’est aguerri, densifié. Il a « bouffé » de l’amendement, des heures de commission, ouvert le capot de l’Europe pour en faire une tribune de combat contre la Russie de Poutine, la Chine génocidaire des Ouïgours, la fast fashion devenue une « arme de destruction massive » de la planète, et les multinationales qui, cingle-t-il, « font du fric jusqu’à l’infini sur des cadavres »« Il est passé de l’intellectuel avec des idées brillantes, formé à l’école de son père, à un homme politique ancré dans la réalité. Il a compris l’Europe, ses défauts et pourquoi on a besoin d’elle », loue Daniel Cohn-Bendit, qui lui a offert le cadeau dont il n’osait rêver pour lancer sa campagne en rompant bruyamment avec Emmanuel Macron pour appeler les électeurs à voter Glucksmann aux européennes du 9 juin. « Il a réussi à trouver le modèle entre l’activiste et l’homme politique. Il a amené une génération à la politique par des combats clairs », approuve Olivier Faure, patron du PS, qui était bien seul à gauche à croire en ses chances il y a cinq ans et apprécie sa constance : « Quand on lui serre la main, on n’est pas obligé de recompter ses doigts. » En février, Raphaël Glucksmann sera investi à la tête d’une liste commune PS-Place publique, son parti, cofondé à l’automne 2018, sans que nul, chez les socialistes, n’y trouve plus à redire.

Bobo, vraiment ? Les horreurs de la guerre, il connaît, merci. À 44 ans, il a eu mille vies. « Je me suis formé dans les fosses communes du Rwanda », dit-il au risque de l’emphase. 1994, premier déclic : les images du génocide défilent sur CNN dans le salon des Glucksmann. Il en fera son premier documentaire, Tuez-les tous !, réquisitoire contre la responsabilité des autorités françaises dans le massacre des Tutsis. Un certain Michel Hazanavicius, des années avant d’être oscarisé pour The Artist, accepte, seul, de le produire. Ils ne se sont plus quittés.

Les années révolution

Août 2008, deuxième déclic : des incidents éclatent à la frontière géorgienne, suivis d’une riposte massive des chars russes de Poutine et de Medvedev. BHL le presse de partir filmer. L’Europe de l’Est est une affaire de famille. Glucksmann se retrouve à un checkpoint de l’armée russe au sud de Gori, avec deux journalistes, quand un soldat fonce soudain sur eux, l’arme au poing. « Et là, on croise le général Borissov, chef de l’armée d’invasion, qui nous insulte : “Tas de péd…, rentrez chez vous bais… vos nègres ! Ici, c’est la Russie, pas l’Europe”. » Plaqué au sol avec sa caméra, il comprend que les images sont vaines. « La seule manière que j’avais d’aider l’Europe, c’était de rester pour aider les Géorgiens à virer les Russes. » À 5 heures du matin, il atterrit à Tbilissi dans le bureau du président géorgien, Mikhaïl Saakachvili, rencontré pendant la « révolution des roses » et devenu son ami. Il se retrouve conseiller chargé de l’intégration européenne, rédige ses discours. Dans l’ombre, pour l’heure encore.

Il reste quatre ans sur place, épouse Eka Zgouladze, la mère de son fils aîné, figure géorgienne promue à 27 ans seulement vice-ministre de l’Intérieur, des années avant qu’il ne croise la route de Léa Salamé sur le plateau de Laurent Ruquier. 25 mai 2014, l’ultime déclencheur : parti à Kiev épauler la révolution pro-européenne de Maïdan, il reçoit comme une gifle le résultat des européennes en France. Pour la première fois, le FN de Marine Le Pen se hisse en tête d’un scrutin national. « Je me suis dit : “T’es en Ukraine en train de combattre une extrême droite imaginaire, ultraminoritaire, et en France elle fait 25 % des voix. Qu’est-ce que tu fous là ?” » Jordan Bardella et Marine Le Pen, il rêve de les renvoyer « dans les poubelles de l’histoire européenne ». On lui souhaite bien du courage, tant il lui faudra parvenir, dans cette campagne balbutiante, à se frayer un chemin au milieu des blockbusters électoraux que sont le RN et Renaissance.

Le retour du tragique

Peut-il devenir le nouveau messie de cette gauche qui s’est perdue, et pour partie déshonorée, dans un pacte faustien avec les Insoumis ? Il ambitionne de rassembler ces électeurs prisonniers depuis trop longtemps d’un vote de raison, un jour pour la Nupes, l’autre pour Macron. Il est l’anti-Mélenchon. Jamais il ne fera alliance avec LFI. « Un gouffre, dit-il, nous sépare sur le fond. »« Entré en politique pour défendre l’union de la gauche, aujourd’hui parmi ceux qui veulent la rompre », éreinte Manon Aubry, tête de liste LFI aux européennes. Quand toute la gauche tergiversait pour qualifier les massacres du 7 octobre commis en Israël, lui posait les mots, nommait les choses dès le lendemain, lors d’un meeting à Paris. « Le Hamas ne veut pas la paix, il veut la guerre et il s’en fout des Palestiniens qui vont encore mourir sous les bombes », lançait-il, dénonçant, lui, des « attaques terroristes ».

Il y a chez lui une joie radieuse malgré la noirceur du monde. « Je ne veux pas vous déprimer mais je ne suis pas ultra-optimiste sur l’avenir de l’Europe… On est vraiment à un moment où on peut tout perdre, où la démocratie est d’une fragilité extrême. L’Europe est une construction non finie, menacée de toutes parts, qui peut s’effondrer, scande-t-il. On est un continent hyper-riche, ultra-développé et on n’est pas foutus d’assurer nous-mêmes notre sécurité ! Le 5 novembre 2024, il y a une élection aux États-Unis, et on n’a jamais réfléchi à ce qu’on ferait si papa décidait de se barrer de la maison… »

Il a ce sens du tragique que trop de politiques ont perdu. « Des somnambules, accuse-t-il. Pour eux, la politique c’est un jeu, un rapport de force, c’est : “Je vais te pendre à un croc de boucher, mec, je suis un dur.” Et quand ils se retrouvent face à Poutine, un vrai méchant, ils se liquéfient. Ils n’ont pas conscience que le pouvoir est une question de vie ou de mort, de guerre ou de paix. Ça fait plus de six cents jours qu’une guerre est menée contre les démocraties européennes et le même homme qui a utilisé 50 fois le mot “guerre” pour nous parler d’un virus n’a pas su faire un seul discours pour nous expliquer la guerre réelle. » Voir l’Union européenne ouvrir enfin ses portes à l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie, il s’est battu pour ça toute sa vie. Un pas « très important », dont il redoute qu’il reste vain si l’armée ukrainienne s’effondre, faute d’obus et de munitions. Convaincu qu’on peut encore s’en sortir pour peu qu’on se retrousse les manches, il cite à l’envi le vers du poète allemand Friedrich Hölderlin : « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve. »

Deuxième gauche

À l’heure du grand relativisme macroniste où tout se vaut, lui revendique un socle de valeurs, « des convictions fortement ancrées » puisées dans la deuxième gauche de Pierre Mendès France et Michel Rocard. Pas du genre, dit-on, à tolérer des petits arrangements, loin des remugles de IVe République que renvoient les partis à l’Assemblée nationale. Il se targue de valeurs « old fashion », comme la sincérité, la gentillesse même, au risque du procès en naïveté. Ce qui lui attire l’estime de ses pairs jusque sur les bancs des Républicains. « Mon grand problème, c’est que je ne vais pouvoir vous en dire que du bien. Il a su rester lui-même », confesse le député européen François-Xavier Bellamy, qui devrait pourtant l’affronter. « Raphaël n’est pas un braillard, il n’est pas dans la posture ou le sectarisme. Chez lui, tout part du fond, c’est ce qui dicte ses prises de position », décrypte sa colistière, l’économiste Aurore Lalucq. Ensemble, ils ont parfois voté au Parlement européen des résolutions portées par la droite, comme celle condamnant les atteintes aux droits humains à Cuba, « deux petits points verts dans un océan de points rouges »« Je n’ai pas une libido politique extraordinaire, mais il est le seul qui peut m’enthousiasmer, confie Michel Hazanavicius. Les gens comme moi, dont la gauche va de Blum à Mendès et Rocard, sont perdus. Raphaël, c’est un honnête homme. Quelqu’un qui, contre l’époque, a accepté de se mettre au service du collectif. Il y a un mot en yiddish : c’est un mensch [NDLR : un homme de bien]. »

Enfant chéri de la gauche réformiste, Glucksmann s’adresse aux macronistes de gauche comme aux électeurs écolos las des lubies intersectionnelles, qu’il espère, sans l’avouer, siphonner. « Dans une élection proportionnelle comme les européennes, vous faites le plein chez vos voisins », calcule, à froid, un soutien. Première visée : la liste écolo de Marie Toussaint. « Leur meeting de lancement, avec les danses twerk, était un magnifique suicide ! » raille un élu de droite.

« Présidentialite »

À ceci près que le discours anti-décroissance de Glucksmann est du genre décapant. S’il milite pour un impôt européen sur les « ultra-riches » – Mélenchon, sors de ce corps ! –, il est aussi de ceux qui plaident pour réindustraliser l’Europe pour en faire une « championne de l’écologie »« La transition écologique doit être pensée comme un projet industriel qui redonne à l’Europe plus de puissance. Ça suppose d’arrêter de faire de la sortie du nucléaire une fin en soi. La transformation écologique, c’est aussi un rapatriement des industries : plus d’usines et pas moins, plus de CDI et pas moins. » Il ira l’expliquer dans les fermes, les usines, aux pêcheurs, aux salariés, à la France des oubliés de la mondialisation qui vote Le Pen, à portée de baffes. « On a dit aux agriculteurs pendant quarante ans qu’ils étaient des héros de la modernité, et maintenant on leur explique qu’ils sont des criminels qui polluent les nappes phréatiques et tuent nos enfants, tout ça pour gagner 700 euros. À la fin, ils se tirent une balle ou votent RN ! Je suis sûr qu’on peut en embarquer une grande partie. »

Il aime se mettre dans la tête de celui qui ne pense pas comme lui. Un jour qu’il visite la jungle de Calais, une riveraine lui avoue, gênée, préférer Le Pen. « Elle m’a dit : “Marine, c’est la seule qui n’a pas honte de nous sur la photo”. » Il peut tenir des discours sur la souveraineté et la sécurité que ne renierait pas la droite. « Il est profondément patriote et défend une fierté française et européenne face à la Russie ou à la Chine », ose un de ses proches, en soufflant qu’il a glissé dans l’urne en 2007 un bulletin Sarkozy. « On a besoin de la gauche, mais la gauche doit parler à tout le monde, plaide Glucksmann. Je ne suis pas pour une gauche de videur de boîte de nuit, “t’as pas les bonnes baskets, tu ne rentres pas”. »

Lui, le Parisien formé à Henri-IV et Sciences Po se targue d’être de cette gauche qui n’a pas oublié le peuple, capable de parler des heures avec un quidam. Il moque Emmanuel Macron : « Pour exercer le pouvoir, faudrait qu’il passe un peu plus de temps au McDrive ! » Le futur président avait tenté de l’approcher entre les deux tours de la présidentielle de 2017. Il n’a pas donné suite, instruit des déboires de son père, qui s’était laissé bercer en 2007 par les promesses de Sarkozy. « Macron, j’ai toujours pensé que c’était fake. »

Groupies

Jusqu’où ira-t-il ? Il se garde de s’assigner un objectif, mais il vise cette fois un score à deux chiffres, déçu en 2019 de ses 6,2 % alors qu’il espérait la troisième marche du podium. « Je le vois à 12 ou 13 % », parie un intime. Et ensuite ? « Je n’ai pas conçu ma vie pour devenir président de la République », élude Glucksmann en épinglant la « présidentialité », cette maladie infantile de la politique française. S’il n’y songe pas – on n’est pas obligé de le croire –, d’autres y pensent pour lui.

Des défricheurs de talents comme Cohn-Bendit ou Jacques Attali, qui avait repéré Macron, ont perçu un potentiel en lui. « Il lui reste à ne pas apparaître comme un loup solitaire, à rassembler, à s’intéresser sérieusement aux enjeux économiques, financiers, technologiques mondiaux et aux solutions d’après-demain. S’il le fait, tout lui sera possible », professe l’ancien conseiller spécial de Mitterrand. À condition, préviennent des proches, de ne pas demeurer un gourou des réseaux sociaux avec ses 800 000 abonnés sur Instagram et autant de groupies. Un ami alerte : « Il faudra élargir. Pour l’instant, il parle à un électorat jeune, bobo de gauche, où il est starisé et où toutes les filles sont amoureuses de lui. Ça fait un socle, mais, il le sait, c’est en décalage avec le pays. »

Repères

1979 Naissance de Raphaël Glucksmann à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Études Diplômé de l’IEP de Paris.
2004 Premier documentaire sur le Rwanda.
2009 Conseiller du président de la Géorgie.
2015 Publie Génération gueule de bois. Manuel de lutte contre les réacs (Allary).
2018 Cofonde le mouvement politique Place publique.
Depuis 2019 Député européen.

Par Nathalie Schuck

source lepoint

2 Comments

  1. Mon petit fils (nous sommes belges) a reçu le nom de Raphaël. Chez les non-Juifs, qui sait que cela veut dire « le médecin de D-ieu » ? Qui sait que les prix Nobels sont innombrables parmi les Juifs comme aucun autre peuple n’en possède ? C’est d’ailleurs le cas dans toutes les disciplines scientifiques bien qu’ils soient moins de 15 millions sur terre. Le professeur Gergely, directeur de l’institut Martin Buber à l’Université Libre de Bruxelles, les estime et les a calculé comme réceptionnaire de 22 % des prix Nobel scientifiques (Physique, Médecine, Chimie, Economie, mathématiques, …) alors que les Juifs représentent un peu moins de 2 millièmes de la population humaine.

  2. Eh bien puisque vous êtes si « intelligent » continuez, à vous vanter du… nombre-de-prix-Nobel-juifs ! Mais le problème est que si tout le monde ne peut pas être prix Nobel, tous les bipèdes naissent libres et égaux en droit. Et basta, avec ce nombrilisme et ces vantardises qui servent uniquement à alimenter l’antisémitisme

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